Décryptage

Responsabilités : les installations de production d'EnR sujettes à garantie des constructeurs ?

Une jurisprudence éparse fournit de premières réponses quant à la qualification de ces dispositifs comme ouvrage ou comme élément d'équipement.

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La garantie des constructeurs s'applique aux ouvrages au sens de l'. En théorie, pour déterminer si une installation de production d'énergies renouvelables (EnR) est soumise à la garantie des constructeurs, il suffirait donc de vérifier si elle répond ou non à la notion d'ouvrage au sens de cette disposition.

En réalité, la question est complexe en raison des multiples facteurs qui aboutissent à étendre ou au contraire à limiter l'application du régime de la garantie des constructeurs. La jurisprudence dessine quelques tendances selon le type d'énergie concerné par l'installation de production.

Une géométrie variable : ouvrage ou élément d'équipement

L'ouvrage, une notion multiforme. Il n'existe pas de définition juridique de l'ouvrage, si bien qu'il faut se référer à la jurisprudence. Celle-ci retient généralement deux critères cumulatifs pour admettre l'existence d'un ouvrage :

- d'abord un ancrage au sol qui se caractérise par la difficulté voire l'impossibilité de le déplacer ;

- puis des travaux de construction qui s'apprécient au regard de leur importance et de leur nature.

La notion est donc beaucoup plus large que celle de bâtiment mais les décisions de justice sont parfois imprévisibles. Des aquariums intransportables en raison de leur poids et de leur fragilité structurelle ont ainsi été considérés comme des ouvrages () alors que cette qualification a été refusée à des travaux sur une péniche ou à des abris de piscine simplement posés sur le sol ().

L'extension via la notion d'équipement. L' étend la garantie des constructeurs aux « dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert ». Les autres éléments d'équipement font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée de deux ans, dite garantie biennale (art. 1792-3). 

Toutefois, en 2005, devant l'extension de l'application de la garantie des constructeurs, le législateur a réagi en introduisant un article 1792-7 qui en exclut en substance « les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage ».

Une combinaison complexe. Appliquée aux EnR, la combinaison des dispositions précitées rend la qualification complexe. Qu'en est-il, par exemple, d'une centrale photovoltaïque montée sur le toit d'un hangar vide ? La centrale est-elle en soi un ouvrage ? Ou bien un élément d'équipement de l'ouvrage (qui serait alors le hangar) ? Et, dans ce cas, y a-t-il une activité professionnelle dans l'ouvrage ? Comme le montre ci-dessous la décision rendue par la cour d'appel d'Orléans, cette situation est loin d'être un cas d'école.

Garantie des constructeurs et centrales photovoltaïques

S'agissant de la garantie des constructeurs en matière de centrales photovoltaïques, il faut distinguer selon que les panneaux sont posés sur le bâti, ou en ombrière ou au sol.

L'installation de panneaux photovoltaïques sur le bâti. Il existe deux modes d'installation de panneaux sur le bâti : l'intégration et la surimposition.

Les panneaux dits en intégration au bâti sont apparus en premier. Les travaux consistent à remplacer une partie de la toiture par des bacs en acier devant accueillir les panneaux photovoltaïques. Dès lors, en sus de produire de l'électricité, les panneaux jouent le rôle de couverture et d'étanchéité en lieu et place des tuiles (ou de tout autre matériel). Ce mode d'installation aboutit à qualifier les panneaux non comme un équipement de l'ouvrage mais comme faisant eux-mêmes partie de l'immeuble. Cela a ainsi été jugé dans le cas décrit supra d'une centrale en toiture de hangar ().

La responsabilité des constructeurs s'applique donc facilement pour des panneaux photovoltaïques intégrés au bâti. La Cour de cassation a eu récemment l'occasion de poser le principe : elle a jugé que des panneaux participant de la réalisation de l'ouvrage de couverture dans son ensemble et donc assurant une fonction de clos, de couvert et d'étanchéité du bâtiment ne sont pas des éléments d'équipement à vocation professionnelle au sens de l'. Ils relèvent donc de la garantie décennale (, publié au Bulletin). Toutefois, la technique de l'intégration à la toiture est de moins en moins utilisée. En effet, en plus d'être coûteuse, elle ne permet pas de ventiler les modules, créant ainsi des échauffements, donc des risques d'incendie.

Les juges ne se sont pas prononcés sur le caractère d'ouvrage des panneaux photovoltaïques en ombrière ou au sol.

De plus en plus fréquemment sont désormais utilisés des panneaux dits en surimposition. Contrairement à la première méthode, ces panneaux ne sont pas encastrés dans la toiture mais posés en surélévation. Cela permet à la fois d'optimiser le rendement grâce à une inclinaison plus adaptée et de ventiler les panneaux. Si cette méthode comporte des avantages certains, la définition de l'ouvrage n'est plus aussi évidente en l'absence de fonction de « clos et couvert » des panneaux. Ainsi, dans un arrêt également récent, la cour d'appel de Nîmes a refusé la qualification d'ouvrage au sens de l' à une telle installation (). Celle-ci devient ainsi un élément d'équipement exclu du champ de la garantie des constructeurs si sa seule finalité est la revente d'énergie entre professionnels ().

L'installation de panneaux photovoltaïques en ombrière ou au sol. Les juges ne se sont pas encore prononcés sur le sujet, il existe donc une certaine insécurité juridique. Celle-ci est d'autant plus problématique que ces installations ont vocation à se développer au regard de l'obligation d'équipement en ombrière des parkings (futur , créé par la loi Climat et résilience du 22 août 2021, pour une entrée en application le 1er juillet 2023).

Concernant les installations au sol, au vu de la multiplication des projets, il y a fort à parier que cette problématique sera prochainement débattue devant les juridictions. Pour l'heure, la doctrine est divisée. Une partie estime que ces installations correspondent à la notion d'ouvrage telle qu'interprétée largement par le juge ; l'autre considère qu'il est inutile de faire des comparaisons avec d'autres types d'installations (vérandas, aquariums…) et privilégie l'application, au cas par cas, des critères de définition de l'ouvrage. Certes, l'installation de panneaux photovoltaïques demande une certaine expertise (étude du terrain, détermination de l'inclinaison, limitation des risques d'éblouissement…), si bien que le critère des travaux de construction semble rempli. En revanche, celui de l'ancrage au sol est plus problématique. Les panneaux ont certes une base fixe, mais leurs fondations étant relativement minimes, le démontage pose rarement des difficultés. Reste à savoir ce qu'en dira le juge…

Garantie des constructeurs et centrales hydroélectriques

La même analyse précise doit être menée s'agissant, ensuite, de l'hydroélectricité. Il existe trois principaux types de barrages : les barrages-poids, les barrages-voûtes et les barrages à contreforts. Chaque technique demande évidemment des savoir-faire pointus en termes de travaux de construction et de génie civil. Pour autant, comme rappelé supra, les éléments d'équipement qui ont uniquement pour but de permettre l'activité professionnelle n'entrent pas dans le champ de la garantie des constructeurs (art. 1792-7).

Avant l'introduction de cet article 1792-7 dans le Code civil, il a été jugé que les machines turbines et alternateurs, feraient-elles indissociablement corps avec les ouvrages du bâtiment dans lesquels elles se trouvent, ne constituaient pas des éléments d'équipement au sens de l'article 1792-2 du Code civil (Cass. 3e civ., 6 novembre 1996, n° 95-11010).

La distinction doit être faite entre les éoliennes implantées au sol et celles installées en toiture d'un bâtiment.

Plus récemment, la Cour de cassation a reconnu que « la construction, sur plusieurs kilomètres, d'une conduite métallique fermée d'adduction d'eau à une centrale électrique constitue un ouvrage », alors que les juges du fond avaient qualifié celle-ci d'équipement ayant pour fonction exclusive de permettre la production d'électricité à titre professionnel (Cass. 3e civ., 19 janvier 2017, n° 15-25283, publié au Bulletin).

Ainsi, en tant que tel, le barrage est un ouvrage, mais, selon la localisation du dommage, le constructeur ne sera pas nécessairement responsable au titre des articles 1792 et suivants du Code civil.

Garantie des constructeurs et centrales éoliennes

Concernant, enfin, l'énergie produite par le vent, les juges ont notamment retenu que la construction d'une éolienne domestique nécessite l'incorporation de matériaux dans le sol au moyen de travaux de construction (CA Limoges, 15 avril 2014, n° 12/01491), ce qui correspond à la notion d'ouvrage de l'article 1792 du Code civil.

Dans une espèce plus récente, les juges ont statué sur la nature des désordres (atteinte à la solidité ou impropriété à la destination), sans même discuter de la qualification d'ouvrage, partant du principe que l'éolienne répondait à une telle qualification (CA Angers, 5 avril 2022, n° 18/01413).

En revanche, il a été jugé qu'une installation éolienne posée sur une maison d'habitation constituait un élément d'équipement dissociable de l'ouvrage existant et donc ne relevant pas de la garantie décennale (CA Rennes, 10 décembre 2021, n° 18/03501).

Il semble donc que la distinction doit être faite entre les éoliennes implantées au sol et celles installées en toiture d'un bâtiment.

Responsabilité n'équivaut pas à obligation d'assurance

Pour rappel, en vertu de l'article L. 243-1-1 alinéa 2 du Code des assurances, les « ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution d'énergie » ne sont pas soumis à l'obligation d'assurance décennale obligatoire.

Cela ne signifie pas pour autant que de tels ouvrages sont de facto exclus du champ de la responsabilité décennale des constructeurs. En pratique, les assureurs offrent d'ailleurs de nombreux produits d'assurance facultative pour couvrir la potentielle responsabilité décennale du constructeur dans le domaine des EnR.

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