Alors que les granulats recyclés deviennent incontournables, comme en témoigne leur place de choix dans la norme béton NF EN 206+A2/CN en vigueur depuis 2022, le législateur européen s'interroge. L'Agence européenne des produits chimiques (Echa) questionne les conditions d'application du règlement sur les produits chimiques, Reach, pour ces granulats, tandis que le Centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne étudie une possible sortie du statut de déchet afin de répondre au besoin impérieux d'harmonisation des conditions de mise sur le marché.
Les granulats recyclés à l'épreuve de Reach
Depuis 2010, les agrégats, tels que les granulats recyclés, sont considérés au titre de Reach comme des « articles », et non des « substances ». Ils peuvent donc être mis sur le marché sans enregistrement ni évaluation préalable.
Les fournisseurs sont uniquement tenus d'assurer l'absence de substances interdites ou soumises à restriction dans leurs produits et d'informer l'Echa et les consommateurs lorsque la concentration de « substances extrêmement préoccupantes » (SVHC) dépasse 0,1 % en masse (1).
Mais en 2024, l'Echa a commencé à envisager une requalification : les granulats seraient des substances, et non des articles. Conséquence juridique, les agrégats recyclés seraient soumis à une obligation d'enregistrement avant de pouvoir être commercialisés. Conséquence opérationnelle, les fabricants et fournisseurs devraient recueillir des informations sur les propriétés chimiques des agrégats et les communiquer à l'Echa. Pour alléger le poids des formalités, ladite agence évoque la possibilité pour les fabricants de bénéficier de deux exemptions d'enregistrement prévues pour les substances :
- les matériaux composant l'agrégat sont souvent exemptés (minéraux, minerais…), donc si aucune modification chimique n'a eu lieu pendant la phase de déchet, le matériau recyclé est également exempté d'enregistrement (art. 2b Reach) ;
- si les granulats ou les substances le composant sont identiques à des substances déjà enregistrées, ils peuvent bénéficier de l'exemption pour les substances valorisées identiques (art. 2d Reach).
Pour les acteurs du marché, un tel changement, au-delà d'être contestable juridiquement, induirait des difficultés quasi insurmontables en pratique. L'analyse des agrégats recyclés, qui résultent de mélanges complexes et hétérogènes de matériaux de démolition, pouvant ainsi contenir de nombreuses substances, occasionnerait des coûts difficilement supportables. L'applicabilité des exemptions dépendrait en outre de la composition spécifique des agrégats de chaque lot.
En filigrane, la question qui est ici posée est celle de l'acceptabilité environnementale des granulats recyclés. Mais c'est aussi celle de l'efficience de Reach. Qu'on ne s'y trompe pas, la requalification en substance n'induira pas nécessairement plus de sécurité chimique. En témoigne le rapport de l'Echa de 2022 sur les substances valorisées exemptées d'enregistrement, constatant qu'un quart des substances issues de déchets seraient en infraction (Echa-22-R-07-EN). En revanche, il est certain que cette mesure constituerait un risque majeur pour la concurrence avec les granulats naturels (exemptés).
Une sortie du statut de déchet en solution
En parallèle, le CCR étudie les conditions d'harmonisation des critères de sortie de statut de déchet (SSD) pour les déchets de démolition et les granulats recyclés. L'intérêt est double :
- éviter toute distorsion de concurrence entre les fabricants européens. Alors qu'en Wallonie (Belgique), par exemple, une procédure de SSD est prévue pour les metteurs sur le marché de granulats recyclés, en France, c'est inutile, et les fabricants s'inscrivent dans le cadre d'une SSD implicite ;
- le règlement de SSD permettrait d'encadrer les intrants et de définir un système de gestion de la qualité, et ainsi de limiter les risques environnementaux et sanitaires liés à ces produits.
Les travaux, en cours, doivent se poursuivre jusqu'en 2026.
(1) Seuil calculé au regard d'une approche probabiliste, en fonction des substances que l'article est susceptible de contenir.
Ce qu'il faut retenir
- L'Agence européenne des produits chimiques envisage depuis 2024 une évolution des conditions d'application du règlement sur les produits chimiques, Reach, aux granulats recyclés.
- Ceux-ci pourraient être qualifiés de « substances » et non plus d'« articles » au sens de Reach, ce qui entraînerait une obligation d'enregistrement avant mise sur le marché.
- Ces agrégats pourraient, selon l'agence, bénéficier sous conditions d'exemptions d'enregistrement. Ce changement de qualification engendrerait cependant des difficultés pratiques quasi insurmontables.
- Dans le même temps, le Centre commun de recherche de la Commission européenne étudie les conditions d'harmonisation des critères de sortie du statut de déchet pour les déchets de démolition et les granulats recyclés.
- Ces différentes réflexions devraient aboutir l'an prochain.