Pas de grand soir de la décentralisation, mais un texte de "compromis". Le projet de loi portant la nouvelle organisation territoriale de la république, dit « Notre », a définitivement été adopté par le Parlement le 16 juillet. Ce texte est le troisième volet de la réforme territoriale, après la loi Maptam (modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles) du 27 janvier 2014 et la loi relative à la délimitation des régions du 16 janvier 2015. Pour le gouvernement, l’architecture du texte « est conforme à son ambition d’origine. Avec des communes confortées, des intercommunalités qui montent en puissance, des départements centrés sur la solidarité et des régions renforcées ». Bien des parlementaires, notamment à droite, fustigent le texte. Un recours devant le Conseil constitutionnel est annoncé. Ce qui conduirait une promulgation de la loi aux environs de la fin août.
Ce qui change
Les régions perdent la clause générale de compétence mais voient leur rôle stratégique renforcé en matière d’économie, d’aménagement du territoire, de soutien à l’accès au logement, d’amélioration de l’habitat, de soutien à la politique de la ville et à la rénovation urbaine.
Développement économique. La charge du dynamisme économique revient aux régions (aides, prestations de services aux entreprises). Elles élaboreront des schémas régionaux de développement économique d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) en associant les intercommunalités et les chambres consulaires. Ce schéma fixera les orientations pour ce qui concerne les aides aux entreprises, à l’investissement immobilier, à l’innovation des entreprises. Les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et métropoles interviendront exclusivement sur le foncier et l’immobilier d’entreprises.
Aménagement du territoire. Les régions auront la charge du schéma pour l’aménagement de l’espace (Sraddet) qui fixera les objectifs en matière d’implantation des infrastructures d’intérêt régional (numériques, axes routiers d’intérêt régional), d’habitat, d’intermodalité et de développement des transports, de maîtrise et de valorisation de l’énergie… Les documents d’urbanisme devront prendre en compte les objectifs de ce schémas et être compatibles avec lui. Des services unifiés pourront être créés entre plusieurs communautés et leurs communes membres pour l’instruction des autorisations d’urbanisme.
Mobilité, transports. En dehors des agglomérations, toute la chaine des transports (gares routières, transports interurbains, transports routiers non urbains, transports scolaires, transports à la demande) relèveront des régions en complément des compétences en matière ferroviaire (TER).
Déchets. Les déchets feront l’objet d’un plan régional. La collecte et le traitement des déchets seront transférées au 1er janvier 2017 aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération.
Eau, assainissement. Les compétences eau et assainissement seront obligatoirement transférées à l’intercommunalité (communautés de communes et communautés d’agglomération) au 1er janvier 2020. Mais elles peuvent être prise en option dès 2017.
Gemapi. La gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (Gemapi) reviendra à l’échelon intercommunal au 1er janvier 2018.
Impôt économique. Devant le Parlement le 16 juillet, la ministre de la Décentralisation a confirmé le transfert aux régions de 50% de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Les départements perdent là une source de revenus. Le président de l’Assemblée des Départements de France, Dominique Bussereau dénonce « un mauvais coup contre les départements » et une « asphyxie cynique des finances locales ».
« Une diminution de l’ordre de 50% de la CVAE perçue par les Conseils départementaux représenterait un nouvel étranglement » financier, regrettait aussi Benoît Huré, président du groupe de la droite, du Centre et Indépendants à l’Assemblée de départements de France, sénateur et président du Conseil départemental des Ardennes, à l’issue de la commission mixte paritaire entre le Sénat et l’Assemblée nationale dans un communiqué du 10 juillet.
Carte intercommunale. Les intercommunalités prennent du poids. Le seuil plancher pour la constitution d’une intercommunalité est dorénavant fixé à 15 000 habitants (avec des dérogations : zones de montagne, zones faiblement peuplées, les intercommunalités qui ont récemment constituées (entre le 1er janvier 2012 et la date de publication de la loi) mais qui ont au moins 12 000 habitants pourront restées en l’état).
Cela devrait conduire à de nouvelles fusions d’intercommunalités pour que celles-ci coïncident davantage avec les bassins de vie. 700 à 750 intercommunalités pourraient ainsi disparaître.
Le gouvernement vise une carte intercommunale rationalisée au 1er janvier 2017. « En montant en puissance, les intercommunalités disposeront de la taille et des moyens techniques et financiers nécessaires pour assurer le fonctionnement des services publics de la vie quotidienne. En mutualisant la gestion et le financement de ces derniers, elles permettront l’accès à des services nouveaux que les petites communes n’auraient pas pu financer seules : médiathèque, crèche, gestion de l’eau ou de l’assainissement, etc », indiquaient Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique et André Vallini, secrétaire d’Etat à la réforme territoriale, dans leur communiqué saluant l’accord trouvé entre les deux chambres du Parlement le 9 juillet. L’Assemblée des Communautés de France (AdCF) juge cependant l’échéance du 31 décembre 2016 pour fusionner les intercommunalités « pas adaptée à la réalité des situations de terrain » et « est persuadée que le réalisme l’emportera l’an prochain pour accorder des délais supplémentaires aux fusions les plus complexes ». Pour l’Association des Maires de France, « ces contraintes et modifications successives suscitent une forte exaspération des élus et risquent aussi d’entraîner la paralysie des actions locales ». L’Association des Maires Ruraux de France dénonce elle des « atteintes fortes contre la liberté d’actions des communes » en raison de l’introduction « de nouvelles régressions avec le transfert obligatoire de compétences ».
A noter. Les budgets des régions seront adoptés en avril 2016 pour les régions non fusionnées et en mai 2016 pour les régions qui auront fusionné.
Pour les opérations d’investissement financées par le fond européen Feder dans le cadre d’un programme de coopération territoriale européenne, la participation minimale du maître d’ouvrage s’élève à 15 % du montant total des financements apportés par des personnes publiques.
Les régions auront également un rôle de coordination dans la collecte de l’information géographique nécessaire à la description détaillée de leur territoire. Les régions vont commencer à intervenir dans l’accompagnement vers l’emploi.
En Corse, est créée une collectivité territoriale unique.
Ce qui ne change pas
Les départements devaient disparaître. Ils ont survécu à la réforme mais avec des compétences amoindries. Ils ont perdu la clause générale de compétence, les transports scolaires, le développement économique.
Solidarité. Les départements ont été reconnus dans leur rôle de solidarité. Ils pourront apporter leur aide aux communes et EPCI par le biais d’agences départementales (aide technique, juridique ou financière). Il en sera de même pour l’équipement rural et l’assistance technique en matière d’eau et de milieux aquatiques. Ils pourront apporter un soutien financier et à l’exercice des compétences des communes et EPCI. Et continuer à intervenir dans l’aménagement foncier, pour la répartition des aides en matière d’électrification, dans le financement des CAUE…
Collèges, voirie, ports. Les départements préservent les routes, les collèges. Les ports maritimes de commerce et de pêche relevant des départements peuvent être transférés aux autres collectivités territoriales ou à leurs groupements au plus tard le 1er janvier 2017, mais cela n’est pas une obligation.
Logement. Les départements resteront compétents pour définir leurs priorités en matière d’habitat, les délégations des aides à la pierre, les plans départementaux de l’habitat, le rattachement des offices publics de l’habitat.
PLUi. Les conditions de blocage par les communes du transfert automatique du plan local d’urbanisme à l’intercommunalité sont restées en l’état des dispositions fixées par la loi Alur (25% des communes correspondant à 20% de la population peut s’opposer au transfert de plein droit du PLU). Le PLUi reste donc l’expression d’une volonté des communes et ne sera pas obligatoire.
Clause de compétence générale. Les communes sont le seul échelon de collectivités qui conservent la clause de compétence générale.
Cette réforme territoriale ne s’est cependant pas accompagnée du volet financier : baisse des dotations de l’Etat, réforme de la dotation globale de fonctionnement (les associations d'élus réclament une loi spécifique sur le sujet) et de la fiscalité locale sont toujours des sujets de discussions et de dissensions. A quoi s’ajoute la réforme territoriale de l’Etat.