Lancée de longue date, la réforme des contrats dits « spéciaux » franchit une étape importante, avec la diffusion d’un avant-projet sur le site du ministère de la Justice. Celui-ci rappelle avoir « mis en place un groupe de travail en avril 2020, dont la présidence a été confiée au professeur Philippe Stoffel-Munck, et composé d’universitaires et de praticiens, pour proposer une réforme des dispositions relatives à la vente, à l’échange, au bail, au louage d’ouvrage ou contrat d’entreprise, au prêt, au dépôt et au séquestre, aux contrats aléatoires et au mandat. » Objectif : donner un sérieux coup de jeune à ces articles du Code civil, qui « datent pour beaucoup de 1804 et ne correspondent plus aux besoins de la vie économique et sociale du XXIe siècle ».
La commission a rendu sa copie, et les avant-projets touchant aux contrats portant sur une chose ont été publiés en avril. Et surtout, ceux relatifs aux contrats de service, dont le contrat d’entreprise qui concerne le secteur de la construction, l’ont été en mai.
Le tout sera officiellement soumis à consultation publique en juillet, avant, enfin, que soit élaboré un avant-projet officiel de la Chancellerie.
Le « contrat de construction » enfin baptisé ainsi
Le sujet est éminemment technique, mais aura des conséquences concrètes pour le BTP. La présentation de l’avant-projet de réforme du contrat d’entreprise rappelle que ce chapitre du Code civil « ne consacrait à l’origine que treize articles aux "entrepreneurs d’ouvrages par suite de devis ou marchés", pensés pour la construction immobilière. » Le texte introduit de façon plus explicite le terme de « contrat de construction » (comme sous-catégorie, avec le contrat d’entreprise mobilière, du contrat d’entreprise) à l’article 1790 : « Le contrat de construction est celui par lequel l’entrepreneur se charge de la construction d’un ouvrage immobilier ».
Si elle ajoute des dispositions en matière de transfert de propriété de l’ouvrage dans un article 1791, la commission a pris le parti de « ne pas trop toucher aux dispositions actuellement prévues par les articles 1792 à 1799-1 du Code civil » (responsabilité des constructeurs, réception, garantie de paiement…) car celles-ci ont déjà été retouchées récemment. Cerise sur le gâteau, la réforme se ferait sans renumérotation des articles, une attention qu’apprécieront les praticiens aux habitudes bien ancrées !
Le « faible intérêt pratique » des Epers
Parmi les modifications néanmoins proposées, un serpent de mer : la suppression du régime des Epers, ces « éléments pouvant entraîner la responsabilité solidaire » du fabricant car conçus et produits pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l’avance.
La Cour de cassation a régulièrement proposé, dans ses rapports annuels, de faire la peau à cette bizarrerie du Code civil, inscrite à l’article 1792-4. La commission lui emboîte le pas. « L’imprécision du texte, son faible intérêt pratique, la possibilité d’agir sur d’autres fondements (droit de la vente, responsabilité du fait des produits défectueux) plaident pour la suppression de ce texte alors que les conséquences pour le fabricant, qui est, à ce titre, débiteur de la garantie décennale, sont importantes. »
Reste à voir comment cette proposition sera aujourd'hui accueillie. En 2013 par exemple, la Cour relatait dans son rapport annuel que la Direction des affaires civiles et du sceau s'était opposée à sa proposition d’abrogation. Et soulignait que "la jurisprudence rendue en application de cet article sembl[ait] cohérente aux professionnels du secteur et protectrice des intérêts des maîtres d’ouvrage. »
Mise à l’abri du vendeur après achèvement profane
Autre innovation importante proposée dans l’avant-projet : exclure le vendeur profane de l’article 1792-1, 2° du code, qui répute constructeur, et donc débiteur des garanties légales, « toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire ». La commission estime en effet que cette disposition est « trop sévère pour le constructeur-vendeur profane qui, en dépit de l’obligation pesant sur lui, n’a, la plupart du temps, pas souscrit d’assurance (ni dommages ouvrage, ni décennale) ». Ce dernier échapperait donc à la qualification de constructeur s’il indique bien à l’acquéreur, dans l’acte de vente, l’identité des constructeurs et de leurs assureurs.
A noter que le texte détaille et complète au passage, dans cet article 1792-1, la liste de ceux qui sont réputés constructeurs, pour davantage de clarté : y figurent nommément le constructeur de maison individuelle, le promoteur immobilier, le vendeur d’immeuble à construire ou à rénover…
Contrer la jurisprudence sur les éléments d’équipement
Sans prétendre à l’exhaustivité, une dernière proposition de retouche attirera l’attention, puisqu’elle vise à « revenir sur une jurisprudence, très décriée, de la troisième chambre civile [de la Cour de cassation, NDLR] ». Les rédacteurs ajoutent ainsi, à l’article 1792-7 du code, la mention selon laquelle « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage, au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 [relatifs aux garanties décennale et biennale, NDLR], les éléments d’équipement installés sur existant ».
Pour mémoire, en 2017 et de façon réitérée par la suite, la Haute juridiction a opéré un retentissant revirement quant au régime juridique applicable en matière de responsabilité et d'assurance des travaux neufs réalisés sur existant. Comme l’expliquait Pascal Dessuet dans les colonnes du « Moniteur », « désormais, la simple adjonction d'un élément d'équipement sur un existant est considérée comme éligible au régime de la responsabilité civile (RC) décennale. Si le désordre affectant l'équipement compromet la destination de l'ouvrage existant, les réparations relèvent du régime de l'assurance construction obligatoire ». Une évolution qui a suscité de nombreuses réactions hostiles de la doctrine et des praticiens, et que l’avant-projet entend donc contrer.