Depuis quelques années, les promoteurs subissent un effet ciseau bien connu, lié à une succession de crises : pénurie de matériaux, envolée des coûts de construction, défaillances des entreprises de travaux, instabilité internationale, Covid, politique fiscale… Ces difficultés conjoncturelles, combinées aux aléas intrinsèques aux chantiers tels que les intempéries, les accidents ou encore l’état du sous-sol, contribuent à désorganiser les opérations de construction et entraînent des reports de livraison.
Face à cela, les acquéreurs en Vefa, souvent légitimement frustrés, n’hésitent plus à réclamer une indemnisation pour les préjudices qu’ils estiment avoir subis : loyer, perte de rentabilité locative, frais de stockage de meubles, etc. Alors qu’ils pensaient avoir bouclé financièrement leur opération, les promoteurs voient leur marge à nouveau rognée par ces demandes. De plus, celles-ci peuvent être formulées plusieurs mois, voire plusieurs années après la livraison de l’ouvrage. Il est alors d’autant plus difficile pour les promoteurs de prendre en charge ces demandes que les marges sont déjà faibles et qu’ils ont eux-mêmes subi les conséquences financières liées à la désorganisation du chantier. Il existe pourtant des solutions juridiques pour préserver les droits de ces professionnels.
Un premier levier : la prolongation du délai contractuel
L’article L. 261-11 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) est clair : tout contrat de Vefa doit stipuler « le délai de livraison » de l’ouvrage. Et, suivant une logique implacable, le Code civil prévoit que, les contrats légalement formés tenant lieu de loi (article 1103), tout débiteur peut être condamné au paiement de dommages et intérêts « à raison du retard dans l’exécution » (art. 1231-1).
Pour éviter de tomber sous le couperet de cette lecture combinée des articles du Code civil, les promoteurs peuvent faire valoir le décalage du délai contractuel. Pour cela, ils bénéficient d’abord de la protection apportée par l’article 1218 du Code civil, qui leur permet de prolonger ce délai contractuel en cas de force majeure.
Cependant, cette notion est enfermée dans des conditions très strictes, qui leur imposent de démontrer tout à la fois : que l’aléa rencontré ne pouvait être raisonnablement prévisible, qu’il les a placés dans l’impossibilité de poursuivre les travaux et qu’ils ne pouvaient prendre aucune mesure pour en réduire les effets… On perçoit bien la grande difficulté à actionner ce levier ; les importants débats menés autour de la possible qualification de force majeure du Covid sur les chantiers en sont la preuve.
La solution alternative consiste à intégrer, dans les contrats de Vefa, des clauses prévoyant des causes légitimes de prolongation de délai.
Une relative liberté dans la rédaction des clauses de prolongation de délai. Les clauses de prolongation de délai sont relativement simples dans leur principe. Les promoteurs listent un certain nombre d’aléas (intempéries, vols, défaillances d’entreprises…) qui, dès lors qu’ils sont rencontrés sur l’opération, ouvrent droit à un décalage du délai contractuel.
Ces clauses relevant de la liberté contractuelle des parties, ces dernières sont, en principe, libres de les aménager à leur convenance. La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que ces stipulations ne sont pas abusives, dès lors qu’elles n’ont « ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment des acquéreurs non-professionnels, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat » (Cass. 3e civ., 24 octobre 2012, n° 11-17.800, publié au Bulletin).
Pour autant, le juge restera attentif à ce que ces clauses ne permettent pas aux promoteurs de se dégager, in fine, de leur obligation de respecter les délais contractuels. On perçoit ici la difficulté majeure qui réside dans la rédaction et l’application de ces clauses : comment s’assurer qu’elles préservent l’équilibre contractuel entre les parties ? L’analyse de la jurisprudence apporte un certain nombre de clés de réponse.
- Tout d’abord, concernant la date de livraison en elle-même, les juges admettent qu’il soit difficile de s’engager en début d’opération sur une date précise, de telle sorte que le contrat de Vefa peut aisément viser un trimestre (CA Rouen, 16 avril 2025, n° 24/00600).
- Par ailleurs, il importe que les cas de prolongation de délais en eux-mêmes soient clairs, précis et tangibles, ce qui impose souvent de les lister, tout en conservant la possibilité de se prévaloir de causes qui n’auraient pas pu être anticipées.
- Ensuite, la durée de la prolongation de délai associée à l’émergence de l’aléa doit être cohérente. La jurisprudence adopte une position relativement souple et a ainsi pu valider une clause prévoyant une extension de délai équivalente au double de la durée de l’événement perturbateur, dès lors que celui-ci a effectivement impacté le bon déroulement du chantier (Cass. 3e civ., 23 mai 2019, n° 18-14.212, Bull.).
- Enfin, et surtout, se pose la question du moyen de justifier de la réalité de l’aléa et de son impact sur le chantier, afin de démontrer que le promoteur ne cherche pas à tirer parti de la survenance de cette difficulté pour couvrir un retard qui lui serait en réalité imputable.
On touche ici au nœud du problème, car la détermination des causes de retard et de leur impact effectif sur le chantier est souvent très compliquée. Cette difficulté est accentuée par le fait que les dérapages de calendrier sont souvent multifactoriels et que les conséquences d’un même aléa peuvent varier suivant la phase de l’opération.
Ainsi, il est communément attendu du promoteur qu’il apporte une double justification : une preuve objective de la survenance de l’aléa (relevé météorologique, compte rendu de chantier, constat d’huissier…) et une preuve circonstanciée justifiant de l’impact réel sur l’organisation. Ce deuxième élément est le plus délicat à établir de manière non contestable. La solution la plus courante, dont la validité a été confirmée à nouveau par la Cour de cassation récemment, consiste alors à faire acter la réalité de la cause de prolongation de délai et ses effets par certificat du maître d’œuvre (Cass. 3e civ., 30 avril 2025, n° 23-21.499). Ce dernier présente en effet l’avantage d’être sachant, tiers au contrat et de bien connaître les contingences de l’opération.
De prime abord idéal, ce type de justificatif peut néanmoins poser problème notamment en cas de défaillance ou de mésentente avec le maître d’œuvre. Aussi, bien que cela soit rarement prévu dans les contrats de Vefa, la préservation des intérêts du promoteur passera par l’ouverture à d’autres modalités de preuve.
La nécessaire traçabilité des aléas en cours d’opération.
On l’a compris, les promoteurs doivent s’assurer de la traçabilité au fil de l’opération, qui peut être illustrée à l’aide de deux cas d’école : les intempéries et la défaillance d’entreprises.
- Concernant les intempéries, le premier réflexe consistera à produire des bulletins météorologiques. La difficulté étant que s’ils font bien apparaître des intempéries, les acquéreurs contestent leur importance, et leurs conséquences réelles sur l’opération. Les débats sont alors d’autant plus vifs que les critères devant être réunis pour justifier de l’impact sur un chantier, tels que la vitesse du vent, le niveau de pluviométrie ou encore les températures, ne sont définis dans aucun texte réglementaire ou légal.
Néanmoins, la jurisprudence donne des clés pour éviter les débats parfois stériles sur le sujet. Idéalement, le promoteur doit fournir des bulletins météorologiques provenant de la station la plus proche possible de l’opération, établis par un opérateur indépendant et spécialisé et surtout répondant à des critères prédéfinis (idéalement dans le contrat de Vefa).
Ce dernier point est d’autant plus important qu’il permet de définir des critères objectifs, coupant court à tout débat. A titre d’exemple, le site de Météo France permet d’établir des relevés mensuels des intempéries sous réserve de renseigner les critères retenus.
Autant d’éléments qu’il est plus aisé de tracer en cours d’opération que rétrospectivement, notamment en les précisant dans les comptes rendus de chantier et/ou en récupérant les arrêts de travail actés par la caisse congés intempéries BTP.
- Un deuxième exemple classique auquel sont souvent confrontés les promoteurs est l’abandon de chantier par les entreprises de construction, que ce soit volontairement (situation de blocage liée à un désaccord) ou en raison de difficultés financières (redressement, liquidation).
Il est alors important que le promoteur puisse démontrer la réalité de l’abandon (notamment par constats d’huissiers), mais surtout, dans quelle proportion le remplacement de l’entreprise défaillante a impacté l’avancée des travaux (attestation du maître d’œuvre).
Ces conséquences sont, en effet, souvent plus lourdes qu’anticipé : surcoût, difficulté de trouver une entreprise disponible et/ ou qui accepte de reprendre un ouvrage, nouveau délai de préparation de chantier, désorganisation des autres lots… Une anticipation contractuelle rigoureuse et une documentation précise des événements en cours de chantier s’imposent donc. Or, en pratique, les promoteurs peinent parfois à apporter ces éléments.
En effet, en cours de réalisation, ils tendent à concentrer, pour des raisons largement compréhensibles, leur énergie sur la conduite opérationnelle. Ils estiment logiquement que la meilleure façon de se prémunir contre les risques reste de mener à bien l’opération et de respecter les délais de livraison.
La détermination des causes de retard et de leur impact effectif sur le chantier est souvent très compliquée.
Souvent, la responsabilité des entreprises de travaux et des sous-traitants pourrait être recherchée.
Un second levier : la ventilation des responsabilités et/ou l’obtention d’une indemnisation par les assurances
L’analyse de la jurisprudence est frappante : les promoteurs ne répercutent que très peu les demandes indemnitaires sur d’autres intervenants. Cela peut s’expliquer par des raisons pratiques.
Mise en jeu de la responsabilité des constructeurs.
Beaucoup d’aléas surviennent sans qu’il soit possible d’identifier un responsable (vol, intempérie, incendie…) ou d’en démontrer le comportement fautif (retard dans le raccordement réseaux par le concessionnaire…). Dans certains cas, même lorsque les responsables sont identifiés et fautifs, ils ne sont pas toujours solvables (liquidation judiciaire). Pour autant, souvent, la responsabilité des entreprises de travaux et des sous-traitants pourrait être recherchée. Or, l’une des raisons pour lesquelles cette dernière n’est pas actionnée est en partie juridique. Les contrats excluent parfois, en effet, toute demande indemnitaire qui s’ajouterait aux pénalités de retard.
En outre, les entreprises de travaux, plus habituées à préserver leurs droits que les promoteurs, tendent à mieux cadrer les cas de prolongation de délai, notamment concernant les intempéries. En conséquence, les promoteurs peuvent se trouver coincés, contraints d’accorder aux entreprises de construction une prolongation de délai, qu’ils ne peuvent répercuter aux acquéreurs. La cohérence entre les exigences du contrat de Vefa et les contrats des entreprises mériterait souvent d’être plus soignée.
Mais surtout, les demandes indemnitaires interviennent fréquemment trop tard… Les décomptes généraux et définitifs (DGD) ayant été signés, les comptes entre les parties sont figés. Cette situation n’est cependant pas une fatalité. Il est possible de prévoir contractuellement et dans le DGD la faculté de répercuter les demandes indemnitaires ultérieures des acquéreurs. Bien que cette possibilité soit peu usitée, l’augmentation des contentieux ne saurait qu’inciter les promoteurs à l’exploiter.
Dédommagement par les assureurs. Parallèlement à la mise en jeu de la responsabilité des entreprises de travaux, il peut être intéressant de rechercher une indemnisation auprès des compagnies d’assurances.
Cette faculté s’ouvre tout particulièrement dans le cas de phénomènes fortuits, potentiellement couverts par les assurances « tous risques chantier » (TRC) [en cas de vol, de dommages sur l’ouvrage ou d’incendie par exemple]. Lesdits contrats, qu’ils soient souscrits par le promoteur et/ou les entreprises de construction, prévoient fréquemment la possibilité de bénéficier d’une indemnisation pour les préjudices immatériels. A ce titre, peuvent ainsi être pris en charge certains surcoûts engendrés par la survenance de l’aléa (frais d’encadrement, location de base vie supplémentaire…). Cette possibilité, souvent insuffisamment exploitée, nécessite, néanmoins, d’être activée dès l’apparition du dommage.
En outre, il peut être très intéressant pour le promoteur d’exiger de l’entreprise qu’elle actionne sa TRC, ce qui lui permet de ne pas imputer sa propre sinistralité. Pour autant, à nouveau, pour être efficace, ce sujet doit être anticipé dès la signature du contrat avec l’entreprise.
Ce qu'il faut retenir
- Les promoteurs immobiliers sont de plus en plus exposés à un « effet ciseau » : entre la hausse des coûts et les demandes d'indemnisation des acquéreurs liées aux retards de livraison, leurs marges se trouvent lourdement amputées. Ces retards, causés par des aléas multiples (Covid, intempéries, défaillances d'entreprises…), peuvent pourtant être juridiquement encadrés.
- Pour s'en prémunir, il existe plusieurs leviers à actionner. Le premier consiste à prévoir des clauses de prolongation de délai intégrées aux contrats de Vefa. Celles-ci doivent rester équilibrées et reposer sur des événements clairement identifiables. Mais leur efficacité impose la démonstration d'une double preuve : la survenance objective de l'aléa et son impact réel sur le chantier, idéalement acté par le maître d'œuvre.
- Le second levier consiste à répercuter tout ou partie de la responsabilité sur des tiers et/ou à rechercher une indemnisation auprès des assurances tous risques chantier. Bien que sous-exploités, ces outils peuvent limiter l'exposition financière des promoteurs.
- Ainsi, une anticipation contractuelle solide et une gestion rigoureuse des preuves sont indispensables pour limiter l'impact juridique et financier des retards de livraison.