La version printanière du projet d’ordonnance transposant les directives européennes sur les marchés publics, publiée sur notre site le 24 avril, suscite des réactions. Les marchés globaux font encore parler d’eux. Sans surprise, l’article 28 du projet initial a été remanié de fond en comble dans le projet d’ordonnance nouvelle version. Il a été scindé en trois parties : conception-réalisation, marchés publics globaux de performance et contrats sectoriels. Point positif : cette version n’affecterait plus les lois sur la maîtrise d’ouvrage publique (MOP) et de mobilisation pour le logement du 25 mars 2009. Sa réécriture est « une bonne nouvelle », pour Syntec-Ingénierie car en effet c’est « la transposition à droit constant de la loi MOP ». Cette nouvelle rédaction « sous-entend que la conception-réalisation se fait pour des bâtiments existants », relève Christophe Mérienne, président de la commission juridique de l’organisation professionnelle.
La performance des contrats globaux en débat
L’article 28 bis qui crée les marchés publics globaux de performance concentre, en revanche les critiques. Il ne lie pas ces « ex-CREM » à des motifs techniques, remarque Denis Dessus, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes (Cnoa). « Or, ces marchés, dès lors qu’ils associent la conception et la réalisation, doivent respecter les conditions imposées par l’article 18-1 de la loi MOP [article sur la conception-réalisation, NDLR].En l'état cet article qui n'est pas à droit constant doit être réécrit», estime-t-il. Cet article, dans la nouvelle version du projet, adjoint exploitation-maintenance à la conception-réalisation, « nonobstant les dispositions de l’article 28 » sur la conception-réalisation. S’il restait en l’état, cet article élargirait les possibilités de recourir à un contrat global selon Syntec-Ingénierie, car il s’appuie sur des objectifs chiffrés de performance en des termes assez flous. Il pourrait s’appliquer aux bâtiments neufs, contrairement à ce qui existe actuellement.
En outre, la loi d’habilitation prévoit de circonscrire l’utilisation des contrats globaux, non d’élargir les possibilités de recours. Conclusion d’Olivier Ortega, avocat associé au cabinet Lefèvre, Pelletier & associés, Avocats : « Je ne vois pas bien l’intérêt d’avoir introduit des dispositions spécifiques pour la conception-réalisation. On pourrait simplifier davantage en intégrant ces marchés dans la nouvelle catégorie des marchés publics globaux de performance de l’article 28 bis. »
Interrogations persistantes sur les marchés de partenariat
« Le projet d’ordonnance est déséquilibré et accorde beaucoup trop d’importance aux marchés de défense, ainsi qu’aux marchés de partenariat. Il faut rappeler que les PPP ne pèsent que 5% de la commande publique », poursuit l’avocat. Le seuil de recours à un marché de partenariat (PPP) a été supprimé. Résultat : « Il ne faut qu'un bilan favorable dans l'évaluation préalable pour faire un PPP, déplore Denis Dessus. Bercy a oublié que l'ordonnance est cadrée par la loi d'habilitation n° 2014-1545 du 20 décembre 2014, article 42, qui lui demande de circonscrire ces contrats et impose le seuil plancher permettant le recours aux procédures PPP ! Il a également oublié les positions répétées du Conseil constitutionnel, et les rapports parlementaires comme le rapport sénatorial Sueur-Portelli sur les PPP, qui démontrent la nocivité de ces contrats sur les finances et la qualité du service public. Devant le constat des dérapages systématiques des opérations sous ce mode opératoire, les architectes demandent que le secteur bâtiment ne soit plus concerné par les PPP et que ceux-ci soient limités aux infrastructures. Ils demandent également un moratoire sur les contrats PPP en cours de négociation ou signés et non encore démarrés, la levée de l’opacité sur les contrats et consultations, et un contrôle de l’administration de la concurrence et des fraudes et des juridictions financières sur les conditions de passation des principaux marchés PPP ». Olivier Ortega se veut toutefois rassurant : « Ces contrats sont et doivent rester l’exception. Il ne s’agit pas de conclure des marchés de partenariat pour des piscines à 4 millions d’euros, même si le seuil de recours a disparu du projet d’ordonnance. Il y a de toute façon un « seuil de marché », en-dessous duquel le financement du projet sera hasardeux… ».
De son côté, Syntec-Ingénierie s’interroge sur le fait de pouvoir utiliser un marché de partenariat sans exploitation-maintenance. La note écrite en avril par le prix Nobel Jean Tirole et l’universitaire Stéphane Saussier pour le Conseil d’analyse économique « montre l’avantage pour un maître d’ouvrage de confier l’exploitation et la maintenance à l’entreprise conceptrice titulaire du contrat : cela la responsabilise. On comprend que, dans le projet d’ordonnance, les contrats globaux de l’article 28 bis seraient privilégiés, mais avec le risque d’y recourir pour de mauvaises raisons », regrette Christophe Mérienne.
Des avancées avec l’accord autonome, le double mandat et les recettes
Certaines modifications apportées aux marchés de partenariat apparaissent toutefois appréciables. « La sanctuarisation de l’accord autonome [article 81 bis : clause ou accord indemnitaire spécifique pour les cas d’annulation, résolution ou résiliation du contrat, NDLR] est une très bonne chose. Idem s’agissant du double mandat qui pourra désormais être donné au partenaire privé, pour d’une part collecter les recettes auprès des usagers [article 59-III, NDLR], et d’autre part céder des biens appartenant au domaine privé de la personne publique [article 79-III, NDLR]. Tout cela redonne de la stabilité et de la sécurité juridique aux PPP », analyse Olivier Ortega.
Syntec-Ingénierie est aussi satisfaite de l’introduction de la notion de recettes à l’article 76-II du projet consacré à la rémunération du titulaire. Selon la nouvelle version du projet, le contrat pourrait déterminer les conditions dans lesquelles les revenus annexes (issus de l’exercice d’activités annexes ou de la valorisation du domaine) viendraient diminuer le montant de la rémunération versée par l’acheteur.
Des progrès sur les OAB, l’allotissement et les interdictions de soumissionner
Autres modifications remarquées et appréciées : l’introduction d’un article sur les offres anormalement basses et l’affirmation du caractère obligatoire de l’allotissement (l’exception liée aux marchés publics globaux continue toutefois de contrarier l’Ordre des architectes). Quant à la rédaction de l’article 41 sur les interdictions de soumissionner facultatives, elle semble « plus équilibrée » pour Syntec-Ingénierie. Dans la version soumise à consultation publique, une entreprise pouvait être exclue d’un marché public si elle avait été sanctionnée par le passé pour la résiliation à tort d’un contrat. Dans la nouvelle version, l’acheteur a l’obligation de permettre à l’entreprise de se justifier. « C’était dans l’intérêt commun de ne pas ouvrir une porte à la multiplication des contentieux du fait des exclusions », se réjouit Christophe Mérienne.
Des regrets sur le in house et le paiement différé
L’article sur les quasi-régies (in house) n’apporte pas pour sa part les précisions escomptées. La règle pour déterminer le pourcentage d’activités 80/20 n’apparaît pas très claire. Syntec-Ingénierie déplore l’absence de réels moyens de contrôle qu’elle réclame depuis longtemps. Cette réforme des marchés publics est « une occasion historique », insiste Christophe Mérienne, pour installer un mode de recensement exhaustif de la commande publique (une recommandation de la note Tirole-Saussier faite au Conseil d’analyse économique). « Le projet d’ordonnance ne pose pas le principe d’un contrôle ni d’une sanction. On craint que si le sujet n’est pas abordé dans l’ordonnance, il ne le soit pas non plus dans le décret », s’inquiète Benjamin Valloire, délégué aux affaires juridiques de Syntec-Ingénierie..
Autre souci pour Olivier Ortega : « La nouvelle version du projet d’ordonnance ne comporte aucune avancée au profit des collectivités publiques. Par exemple, l’ouverture limitée et encadrée relative au paiement différé prévue dans la première version, a disparu ». L’article 51 du projet permettait en effet par exception le recours au paiement différé pour les marchés comportant des objectifs de performance directement liés à la construction des ouvrages ou équipements. « Contrairement aux idées reçues, ce mécanisme est très protecteur pour la personne publique. Elle peut ainsi appliquer plus facilement les pénalités sur la partie du prix non encore versée au titulaire du marché. Il est dommage d’avoir rayé ce dispositif du projet d’ordonnance ».