Au même titre que la conclusion du marché de travaux, la réception est un temps capital de l’acte de construire ; le maître de l’ouvrage reçoit l’ouvrage dont il a exprimé le besoin et l’entrepreneur est déchargé d’une part de ses obligations. La réception permet en effet de :
- procéder au règlement des comptes ;
- transférer la garde de l’ouvrage au maître de l’ouvrage ;
- marquer le point de départ des garanties.
Cet acte juridique majeur est cependant unilatéral.
Deux arrêts rendus par la troisième chambre de la Cour de cassation en janvier dernier ont apporté des précisions, d’une part sur le caractère contradictoire de la réception (12 janvier 2011, « Epoux Charrière », n° 09-70262) et, d’autre part, sur la réception tacite (25 janvier 2011, « Société Honasu », n° 10-30617). A la lumière de ces deux arrêts, on rappellera les conditions de la réception expresse, puis celles de la réception tacite en droit commun et en droit administratif.
La réception expresse
Jusqu’en 1978, la réception n’a pas eu de définition légale. Seul l’article 2270 rappelle, à cette époque, qu’elle constitue le point de départ des garanties des constructeurs. Divers actes se rapprochent de la réception, tels que : le règlement des comptes, la prise de possession ou l’achèvement des travaux. La jurisprudence de la troisième chambre reconnaît dans ces notions des éléments révélant la réception, sans en donner une définition de référence, renvoyant en général au « pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ».
Il n’était pas impossible de considérer la réception comme un élément inhérent au contrat qui procède de la « commune intention des parties » (par exemple ) : mais « attendu que c’est dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, pour la recherche de la volonté des parties, que les juges d’appel ont estimé que la prise de possession des lieux… valait réception des travaux ».
Cependant, les décisions les plus récentes, inspirées peut-être par la loi Spinetta du 4 janvier 1978, mettaient déjà en avant une « volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir les travaux » (Cass. 3 civ., 22 mai 1997, « SMABTP »). Avec cette loi, la réception est devenue un acte unilatéral émanant du maître de l’ouvrage. L’article 1792-6 indique : « La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement », ce qui ne lui enlève pas son caractère d’acte unilatéral.
Or, le caractère contradictoire doit être prouvé, notamment par l’existence d’un procès-verbal ; un usage permanent mais non défini légalement. Si le procès-verbal ne constitue pas une convention entre maître d’ouvrage et entrepreneur (CA Nîmes, 5 février 1992), la haute juridiction exige cependant qu’il soit signé par les deux parties. Un arrêt du 18 juin 1997 (« Blairon ») relevait ainsi : « Que le procès-verbal de réception signé par le maître de l’ouvrage, ne l’ayant pas été par la société Blairon... la réception des ouvrages ne pouvait être considérée comme intervenue… »
L’arrêt du 12 janvier précité a opéré sur ce point un revirement : la jurisprudence considère désormais que « l’exigence de la contradiction ne nécessitait pas la signature formelle du procès-verbal de réception dès lors que la participation aux opérations de réception de celui qui n’a pas signé ne fait pas de doute… la réception ayant été prononcée contradictoirement ».
La réception tacite en droit commun
Il est possible que le maître de l’ouvrage prenne possession des ouvrages sans qu’une procédure de réception ait été organisée ; les juges ont été saisis de demandes visant à faire déclarer - ou non - que la réception était acquise malgré l’absence d’éléments probants, tels que le procès-verbal ou une décision expresse.
L’examen d’une typologie de la réception tacite a, au fond, rejoint les évolutions jurisprudentielles sur la détermination de la nature même de la réception. Dans le droit fil de la décision du 10 juillet 1972 précitée, la Cour de cassation recherchait donc la commune intention des parties, qui pouvait résulter d’éléments de fait, tels que la prise de possession de l’ouvrage ou le paiement du prix. Depuis 1978, la Cour souligne désormais que ces éléments de fait ne sont que « secondaires » et ne doivent « qu’être analysés en tant qu’expression de la volonté non équivoque du seul maître de l’ouvrage de recevoir les travaux ».
C’est le sens de l’arrêt « Société Honasu » du 25 janvier : suite à un abandon de chantier, le maître de l’ouvrage avait pris possession de l’ouvrage et invoquait la garantie décennale en vue de la réparation de désordres. La compagnie d’assurances refusait sa garantie au motif que la réception n’avait pu intervenir, l’ouvrage n’étant pas habitable. Le juge répond sans nuance : « La constatation par le juge de la réception tacite par le maître de l’ouvrage d’un immeuble d’habitation n’est pas soumise à la constatation que cet immeuble soit habitable ou en état d’être reçu… » Ce qui compte par-dessus tout, au-delà des critères « secondaires », c’est bien la volonté du maître de l’ouvrage, et elle seule.
La réception tacite en droit administratif
Dans le cadre des marchés publics de travaux, la réception est soumise à un régime spécifique. A cet égard, trois arrêts du Conseil d’Etat semblent fondamentaux.
En premier lieu, le Conseil d’Etat a rappelé que la réception est un droit pour l’entreprise. L’article 12-I-8 du Code des marchés publics précise que les marchés passés selon une procédure formalisée doivent prévoir les modalités de réception. L’entreprise peut ainsi solliciter la réception judiciaire du contrat (CE 31 mars 1954, « EITP », cité sous l’article 41.1.3 du CCAG travaux de 2009).
En second lieu, lorsque le CCAG est visé comme pièce contractuelle sans dérogation à l’article 41.8, il ne peut y avoir réception tacite par prise de possession de l’ouvrage, cet article stipulant que : « Toute prise de possession de l’ouvrage doit être précédée de la réception. » Le Conseil d’Etat fait une lecture stricte de cette disposition () : il considère « qu’en l’absence de toute initiative prise… par les constructeurs, aucune réception, même tacite, ne peut être regardée comme ayant eu lieu, alors même que le maître de l’ouvrage a pris possession sans réserve des ouvrages achevés ».
En troisième lieu, ce n’est que dans le silence du contrat que le juge peut interpréter si la prise de possession vaut réception tacite de l’ouvrage ().
Dès lors, en cas de désordres importants, nonobstant le paiement des travaux et la prise de possession de l’ouvrage, la réception tacite n’est pas admise (CAA Bordeaux, 4 juillet 2006, « Mandon Fils » et CAA Douai, 29 décembre 2010, « Commune de Dainville »). Le juge administratif semble s’attacher désormais, lui aussi, à rechercher la seule intention du maître de l’ouvrage, laquelle est acquise pour lui lorsque l’ensemble des critères caractérisant sa volonté de réceptionner l’ouvrage sont présents de manière cumulative (). Dans ce contexte, on ne peut qu’encourager les parties à faire usage des articles 17.2.2.1.3 de la norme Afnor P 03-001 et 41.1.3 du CCAG travaux dans sa rédaction de septembre 2009, lesquels permettent heureusement d’obtenir la réception en cas d’inaction du maître de l’ouvrage.
