Le coup a dû être rude pour les équipes de Vinci actives dans la filière nucléaire : le 8 octobre dernier, la Commission européenne a donné son feu vert au montage financier du projet de centrale nucléaire d’Hinkley Point C, dans le Somerset, au Royaume-Uni. Ce "go" donné par l’exécutif de l’UE à EDF, qui exploitera les deux réacteurs EPR conçus par Areva pour une mise en œuvre en 2023, vaut également attribution d’un marché de 2 milliards de livres (2,47 milliards d’euros au cours de 2012) pour le consortium Bylor. Composé de Bouygues TP et de son collègue britannique Laing O’ Rourke, il réalisera le lot de génie civil de l’infrastructure. Un contrat remporté de haute lutte en juin 2012 par le numéro 2 du BTP hexagonal, à la barbe d’un autre tandem franco-britannique, Vinci et Balfour Beatty. Ce nouvel échec dans la course à la construction d’une centrale nucléaire intervient après celui de Flamanville 3 en 2006, dont le lot génie civil avait déjà été confié à Bouygues, et surtout du "contrat du siècle" à Abou Dhabi : 20 milliards de dollars pour quatre centrales nucléaires confié au sud-coréen Kepco, alors que le consortium français Areva-GDF Suez-Total-EDF-Vinci était donné favori depuis des mois.
La très "nucléaire" Vinci Énergies
Depuis ce dernier "raté", Vinci n’a annoncé aucun contrat de construction de nouvelle centrale, laissant des équipes aux compétences pointues dans ce domaine ronger leur frein. Et d’abord la filiale de Vinci Construction, Soletanche Freyssinet, leader mondial de la précontrainte des centrales nucléaires, qui a créé en 2008 Nuvia, une filiale dédiée. Celle-ci s'appuie sur ses deux implantations historiques – Nuvia France et Nuvia Limited au Royaume-Uni – et a créé des filiales en Inde, en Suède et en Italie. Elle emploie actuellement 1 500 ingénieurs et techniciens, pour un chiffre d’affaires d’environ 200 millions d’euros.
Vinci Énergies n’est pas en reste, avec deux filiales – Actemium et Omexom – qui représentent à elles deux 3 000 personnes et un peu moins de 300 millions d’euros en 2013 pour l’activité nucléaire. La première propose une offre spécialisée sur le combustible, en début de cycle (production) et fin de cycle (retraitement, recyclage, stockage du combustible usé). La seconde intervient lors de l’exploitation des centrales nucléaires en proposant une offre en électricité, mécanique, ventilation, ingénierie, contrôle non destructif ou encore maintenance. Si les deux entreprises sont, pour l’ensemble de leurs activités, présentes à l’international, leurs clients restent très français pour la partie "atome" (Areva, CEA, ANDRA, EDF). « Actemium a une activité essentiellement dans l’Hexagone sauf quand nous accompagnons nos clients à l’export ou que nous sommes sollicités par des gros clients à l’étranger comme [le gestionnaire de déchets suédois] SKB », indique Olivier Albessard, directeur d’Actemium. Omexom, lui, compte parmi ses références Electrabel en Belgique ou encore CGNPC en Chine.
Dans la division Vinci Énergies, il ne faudrait enfin pas oublier l’ingénieriste Cegelec, dont la "business unit" CEM (Cegelec Electro Mécanique), une division de Cegelec GSS réalisant 55 millions d’euros, possède des compétences extrêmement pointues dans les outillages spécifiques pour le secteur nucléaire.
Sans même tenir compte d’Eurovia, qui peut être amené à réaliser les accès aux centrales, voire Sogea Satom, sous-traitant d’Areva dans l’exploitation des mines d’uranium en Afrique, on voit que le géant du BTP européen possède une force de frappe non négligeable dans la filière. Vinci a pourtant fait le choix de ne pas regrouper l’ensemble de ces compétences dans une seule et même branche. « Ce n’est pas à l’ordre du jour, mais il existe un club nucléaire au sein du groupe », indique Olivier Monié, directeur d’Omexom. « Et même à l’intérieur de Vinci Énergies, nous fonctionnons par activités, non par filière », précise Pascal Champ, directeur commercial nucléaire de Vinci Énergies.
Si Vinci n’a pas emporté récemment de contrats de construction d’une nouvelle centrale, ni en France, ni à l’étranger, les services actifs dans l’atome ne sont pourtant pas restés l’arme au pied. Les activités de maintenance, de traitement des déchets ou encore de démantèlement génèrent un flux d’activité important, croissant et de long terme. Nuvia, avec Bouygues d’ailleurs, réalise actuellement l’enceinte de confinement du réacteur accidenté et du sarcophage de Tchernobyl (Ukraine) et participe au projet "Silos Direct Encapsulation" (SDP) sur le site de la centrale britannique de Sellafield. À noter également que la société a remporté en février 2013 le contrat de supervision de déclassement de la centrale de Kozloduy en Bulgarie. Pascal Champ estime également qu’une société comme Omexom a aussi une carte à jouer sur le projet de Hinkley Point C, où des lots annexes seront attribués.
L’Asie en ligne de mire
Reste que décrocher un gros contrat serait bienvenu, ne serait-ce que pour l’image de marque du constructeur, n°1 en Europe. Son président, Xavier Huillard, n’a d’ailleurs pas perdu tout espoir. Il confiait au Figaro, en février 2014, que Vinci avait des opportunités sur des « métiers de niche » en Chine, rappelant que son groupe « avait coulé le béton » pour la première centrale nucléaire dans ce pays à Daya Bay.
L’Asie constitue en effet la première source de projets, comme le confirme Pascal Champs : « Les marchés principaux à l’international sont en Chine, en Inde et en Russie, mais aussi au Vietnam et aux Émirats Arabes Unis. » Les organisateurs du salon "World Nuclear Exhibition 2014", qui s’est tenu du 14 au 16 octobre au Bourget, citent également la Turquie et rappellent que les nouvelles constructions de centrales vont générer une augmentation de 50% de la capacité nucléaire mondiale prévue d’ici 2025. Si la Chine pourrait constituer un objectif pour Vinci, le projet de centrale de Jaitapur, en Inde, semble tout de même le plus probable (voir ci-contre).
Le Royaume-Uni est l’autre terrain de chasse privilégié de Vinci qui, s’il a raté Hinkley Point C, pourrait se rattraper sur les autres projets de centrales. Contraint de renouveler entièrement un quart de sa production électrique, le gouvernement britannique a sélectionné sept autres cibles potentielles lors des prochaines années. Et Vinci sera sur les rangs, ainsi que le confirme Julian Gatward, "managing director" de Taylor Woodrow, branche génie civil de Vinci PLC, filiale au Royaume-Uni du constructeur, qui déclare avoir un « état d’esprit ouvert sur cette question ».
Plus d’information avec le BEM, la lettre de la construction à l’international