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Quand l'industrialisation fait recette

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La prise en compte du facteur carbone, des nuisances des travaux et du respect des délais favorise l'essor de la construction modulaire. L'usine se rapproche du chantier, ouvrant de nouvelles perspectives.

 

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Accélérer la mise en œuvre, s'affranchir des aléas climatiques, limiter les nuisances, réduire la pénibilité sur les chantiers : les avantages de la préfabrication en usine sont relativement consensuels. Toujours plus d'entreprises générales y ont recours en structure comme en façade béton, tandis que les spécialistes de la construction modulaire métallique ou bois ont gagné des positions significatives dans le tertiaire ou les équipements publics. Pour autant, la part de marché de la préfabrication en France reste encore faible. « On estime que 15 % des produits utilisés dans la construction neuve sont issus de la pré fa, alors que ce taux atteint 75 % dans certains pays d'Europe du Nord », détaille Florent Goumarre, directeur marketing du fabricant de produits béton KP1. Quant à la filière de la construction hors site, elle ne génère à ce jour que 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires sur les 130 milliards d'euros annuels du bâtiment en France.

Frein culturel. Ces procédés doivent encore convaincre les professionnels du bâtiment pour s'imposer réellement sur le marché français. « Il n'y a plus de frein technique, réglementaire ou assurantiel à nos solutions, mais un frein culturel, reconnaît le président de l'Acim, Eric Aurenche. La préfabrication, la standardisation et l'industrialisation sont vues comme des gros mots par certains maîtres d'œuvre et entreprises, alors qu'elles peuvent les libérer des aléas du chantier. Pour les maîtres d'ouvrage, en revanche, l'avantage économique est évident : un projet réalisé en un an au lieu de trois permet un retour sur investissement beaucoup plus rapide… » Aujourd'hui, les préjugés pourraient tomber sous l'effet de la pénurie de main d'œuvre qualifiée et d'un phénomène de métropolisation. « Le Grand Paris va donner un coup d'accélérateur : il faudra trouver des solutions pour gérer les contraintes liées à l'environnement urbain des chantiers et à la réalisation simultanée de nombreux projets », confirme Florent Goumarre. Les constructeurs modulaires attendent aussi beaucoup de la future réglementation environnementale du bâtiment (RE 2020) afin de valoriser le bilan carbone de cette approche. « Fabriquer en usine permet d'optimiser le dimensionnement des éléments, et donc de générer moins de déchets et d'emballages, tout en facilitant la gestion du recyclage, pointe Christophe Cougnaud, directeur général du leader français du modulaire, Cougnaud Construction. A partir de septembre, tous nos projets seront équipés de panneaux solaires en toiture, et nous allons renforcer la mixité des matériaux pour développer le bio sourcé. » La société a d'ailleurs fait de son nouveau siège de Mouilleron (Vendée), inauguré à la rentrée prochaine, le laboratoire de ses solutions constructives : structure métallique avec deux tiers d'acier recyclé, planchers béton bas carbone, et façades bois fabriquées par sa filiale Guillet, acquise en 2016.

Préfabrication et standardisation libèrent des aléas du chantier. Et assurent un retour sur investissement plus rapide.

Entreprises enquête de savoir-faire. Signe d'un intérêt croissant pour les savoir-faire de la filière sèche, notamment sur les éléments en trois dimensions, plusieurs entreprises générales ont également décidé de racheter des spécialistes de la construction bois ces dernières années. En février 2019, Eiffage intégrait trois sites des Charpentes françaises, réunis sous la marque Savare, pour étoffer son offre en complément des salles de bains préfabriquées HVA Concept. « Pour définir une solution technique, nous arbitrons traditionnellement entre les coûts, les délais et la qualité. Aujourd'hui, le paradigme évolue pour intégrer un quatrième critère : l'empreinte carbone », analyse Jacques Bouillot, directeur du département « filière sèche et solutions bas carbone » d'Eiffage Construction.

Le groupe de BTP entend d'ailleurs renforcer encore son portefeuille de solutions moins émissives dans les prochaines semaines, avec l'objectif de mieux servir le marché français. « La prise en compte de cette nouvelle dimension va questionner tous les modèles, y compris ceux de la construction hors site. Demain, il faudra composer avec le recours aux ressources locales, l'analyse du cycle de vie (ACV) des matériaux, leur caractère recyclable, l'éloignement des lieux de production et les transports induits », prédit Jacques Bouillot. Même les industriels du béton se mobilisent, à l'image de Rector qui commercialisera à la rentrée un système constructif de poteaux sur plancher-dalle ouvrant la voie à l'utilisation de matériaux bio sourcés. « L'idée est d'utiliser le béton là où il est le plus pertinent, en résistance, et d'éliminer les murs porteurs en périphérie. Faire un voile béton n'a pas de sens si on peut réaliser des façades en bois ou en verre », fait remarquer Christian Munck, directeur commercial et prescription France de Rector.

Alors qu'à Singapour, Bouygues a réalisé deux tours de 120 m de haut en modulaires béton (lire p. 34), en France, les majors privilégient encore les solutions traditionnelles, et externalisent la production de la plupart des éléments préfabriqués. Certes, Vinci Construction dispose avec l'usine Méditerranée Préfabrication de Marignane d'un outil très compétitif sur les éléments en BFUP, mais sa logique reste celle du sur-mesure. « La préfabrication réalisée en interne n'est intéressante que lorsque des prototypes doivent être produits en grande quantité pour un bâtiment donné, comme les panneaux en BFUP de la tour La Marseillaise, ou pour répondre à des contraintes fortes de résistance ou de géométrie comme pour les panneaux de la Fondation Luma, précise Jean-Luc Mounier, directeur des ressources techniques et opérationnelles de la direction déléguée Provence de Vinci Construction France. Chaque bâtiment étant un ouvrage unique, il nous est impossible d'industrialiser la démarche et de rendre la préfabrication systématiquement compétitive. »

Standardiser là où il y a peu d'enjeux. Dans le contexte hexagonal, l'équation économique reste donc complexe. Positionné sur la construction hors site depuis les années 1970, GA Smart Building a pourtant fait le pari de la standardisation. Le groupe produit en usine l'intégralité du clos-couvert béton qui peut intégrer les systèmes de traitement d'air. « Nous voulons déplacer le maximum de technicité en atelier, avec une valeur ajoutée sur la conception, plutôt qu'avec un pro ces s très décomposé sur chantier, résume Kader Guettou, directeur général adjoint de GA Smart Building, chargé du pôle entreprises. C'est un enjeu de productivité, mais aussi de qualité des ouvrages, avec une baisse drastique des réserves. » L'acquisition d'Ossabois au printemps 2018 s'inscrit dans cette logique et lui permet d'insérer des blocs sanitaires 3D finis en usine dans les bâtiments. Désireux de creuser son sillon, GA développe actuellement des structures mixtes béton-bois pour gagner en légèreté, et n'exclut pas de nouvelles alliances industrielles, par exemple sur le segment de la construction métallique. « L'évolution technologique permet d'envisager une réalisation complètement industrialisée des bâtiments, y compris sur les revêtements ou l'agencement, avec un recours accru à la robotisation pour accélérer la pose des éléments. L'idée n'est pas d'aller vers une ville sur catalogue, mais de standardiser la construction là où cela fait sens », se projette Kader Guettou.

A ce jour, la construction hors site séduit en priorité les maîtres d'ouvrage attachés à la valeur d'usage. Certains gros donneurs d'ordre ont d'ailleurs déjà franchi le pas. Après le Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous), c'est le ministère des Armées qui a lancé l'achat de logements modulaires pour une valeur de 63 millions d'euros, tandis que le bailleur Coallia se tournait également vers cette méthode, fin 2018, pour le relogement en urgence de 250 résidents d'un foyer à Montreuil. Une solution qui s'était imposée comme la seule option tenable dans les délais impartis, et qui pourrait faire école. Le bailleur a lancé une consultation pour une résidence à Mantes-la-Jolie (Yvelines), avec l'objectif cette fois de réduire les nuisances de voisinage.

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