Pourquoi avoir écrit « Pour une ville belle » ?
Cette thématique m’intéresse car elle correspond aux premières remarques qu’un maire entend lorsqu’il croise des habitants dans la rue. Souvent, ils lui disent : « ce bâtiment est beau » ou « ce bâtiment est moche ». Lorsque j’étais président de la Cité de l’architecture et du patrimoine (de 2004 à 2012, ndlr), j’ai organisé des rencontres entre de grands élus, des architectes et/ou des paysagistes qui présentaient un projet commun, appelés « Les défis de ville ». A chaque fois, les maires expliquaient que s’ils avaient mené ce projet, c’était aussi avec le souci d’embellir leur ville. L’appréciation esthétique est donc en réalité toujours présente. La publication de ce livre s’inscrit aussi dans un moment particulier : celui du changement de paradigme de la pensée architecturale. La lutte contre le réchauffement climatique nous oblige à concevoir la ville d’une toute autre manière. Si nous ne nous en donnons pas les moyens, nous risquons de construire des bâtiments « thermos » qui se ressembleront tous – et seront assez moches !
« Le retour en grâce des paysagistes »
L’adaptation au changement climatique ne représente-t-elle qu’une contrainte ?
Elle représente aussi une opportunité : celle de la réintroduction de la nature en ville et avec elle, celle du retour en grâce des paysagistes, qui pendant longtemps ont été relativement marginalisés. Aujourd’hui, ils s’affirment comme des acteurs essentiels dans la fabrique de la ville, au moins autant que les architectes. C’est un point positif, y compris en termes d’esthétique.
Comment résumeriez-vous votre livre ?
Il s’articule en dix chapitres qui se veulent autant de pistes de réflexions, de propositions pour contribuer à la beauté de la ville, illustrées par de nombreux exemples pris à Versailles et dans d’autres communes françaises.
« Il faut s’attacher à préserver une harmonie d’ensemble »
Quelle définition donnez-vous à ce concept de beauté d’une ville, tout à la fois subjectif et évolutif ?
Le concept est effectivement très difficile à définir. Les architectes s’interdisent d’ailleurs de prononcer ce mot de beauté en présentant leurs projets. Dans la préface du livre, Christian de Portzamparc reconnaît pourtant qu’il est important de parler d’une ville en termes esthétiques car on pose ainsi une exigence. En fait, il n’existe pas de modèle unique de « ville belle » comme je l’explique dans le premier chapitre. Chaque cité, chaque village a une histoire propre dont le maire doit s’imprégner pour l’amplifier, l’améliorer. Il doit aussi concevoir un espace urbain harmonieux où ses administrés se sentent bien, respirent bien. Plutôt que d’essayer de préciser un critère esthétique qui est toujours sujet à critique, il faut s’attacher à préserver ou à retrouver une harmonie d’ensemble. Au fond, il s’agit d’édicter « une grammaire architecturale » spécifique à chaque ville, c’est-à-dire un tronc commun de règles, que les architectes déclinent ensuite dans leurs projets.
« Un maire doit formuler son ambition esthétique »
Vous considérez que le maire doit formuler son ambition esthétique. Certains d’entre eux, au moins en début de mandat, ne se sentent-ils pas désarmés pour exprimer un tel point de vue ?
Beaucoup considèrent que la beauté étant une notion très subjective, un maire n’a pas à prendre position sur ce sujet. Je ne partage pas cette analyse. La mode architecturale reflète les préoccupations d’une époque. Et le maire, en tant que traducteur de cette époque, doit donner son avis. S’il renonce à le faire, alors la pure logique financière va l’emporter avec le risque de voir sortir de terre des projets immobiliers à moindre coût. Bien sûr, certains nouveaux élus ne sont pas forcément très expérimentés, voire pas du tout, dans ces domaines de l’architecture et de l’urbanisme. Mais construire la ville est une aventure collective : le maire est le coordonnateur d’une équipe qui est là pour l’appuyer. Il peut aussi faire appel à des professionnels extérieurs -architectes, urbanistes, paysagistes- qui jouent le rôle de conseil. Enfin, je recommande vraiment à mes collègues de siéger dans les jurys de concours. Ils montrent ainsi leur implication sur ces questions et c’est aussi une manière pour eux de forger une culture architecturale.
« Les maires ont le sentiment qu’ils pourront laisser une trace »
Qu’en est-il pour les petites villes qui ne disposent pas de moyens humains et financiers très conséquents ?
C’est effectivement plus compliqué. Elles ne doivent pas hésiter à recourir à des architectes extérieurs. Je cite l’exemple de Plourin-lès-Morlaix, dans le Finistère, qui compte 4 500 habitants. Le maire a confié à l’urbaniste Philippe Madec la charge de conduire une démarche d’urbanisme global sur plusieurs années. La commune s’est ainsi créé une forte identité qui met en valeur la pierre du pays tout en se dotant d’équipements collectifs modernes. Au final, je constate que la plupart de mes collègues se sont appropriés ces questions d’architecture et d’urbanisme. Car ils ont le sentiment de participer à l’histoire de leur ville et qu’ils pourront laisser une trace. C’est sans aucun doute l’un des attraits les plus forts de cette fonction.
« Je suis très réservé sur plan local d’urbanisme intercommunal »
Le plan local d’urbanisme (PLU) constitue-t-il un outil suffisant pour embellir sa ville ?
Avec le PLU, le maire dispose vraiment d’un outil efficace. En revanche, je suis beaucoup plus réservé sur le plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), qui apparaît comme une arme à double tranchant. Il peut s’avérer très utile dans les zones rurales : l’élaboration du document d’urbanisme à l’échelle d’une intercommunalité permet alors de recourir à des professionnels plus qualifiés. Mais dans le même temps, le PLUi se traduit pour les maires par un dessaisissement de leurs compétences en aménagement et en urbanisme et celui-ci s’opère parfois au détriment de l’esthétique et de la qualité. Le PLUi est en effet le fruit d’un compromis : il contient des règles moins exigeantes qu’elles ne l’auraient été dans un PLU « communal » et des considérations politiques peuvent amoindrir la portée de certaines mesures. Je ne condamne pas le PLUi mais à la communauté d’agglomération Versailles Grand Parc que je préside, nous avons voté contre le transfert de la compétence aménagement à l’intercommunalité et contre l’élaboration d’un PLUi.
« Savoir dire non et résister à la pression »
Est-il important de savoir dire non pour construire « une ville belle » ?
C’est essentiel. Il vaut mieux ne rien faire que mal faire. Cela étant, même si l’on met en œuvre tous les efforts pour réaliser un beau projet, on peut aboutir à un résultat insatisfaisant. Cela fait partie de l’expérience ! Dans l’ouvrage, je consacre un chapitre au temps de la construction. Certains projets vont trop lentement car ils se heurtent à la longueur des procédures. D’autres au contraire se réalisent trop vite. C’est notamment le cas de ceux portés par l’Etat, souvent mis en œuvre à coups de dérogations. J’évoque à ce propos l’urbanisation du plateau de Saclay. Certes le pari de l’efficacité a été gagné. Mais en arrivant sur le site, on découvre une barre de béton qui ne correspond pas vraiment à l’ambition initiale d’aménager un campus à l’américaine. Il est vrai que le souci esthétique ne préoccupe pas beaucoup l’Etat, à l’exception bien sûr des architectes des bâtiments de France. J’aborde également la question du logement social : la forte pression qui s’exerce sur les maires peut conduire certains d’entre eux à construire vite pour remplir les objectifs de la loi SRU alors que toutes les conditions ne sont pas réunies pour sortir une belle opération. Il faut donc savoir dire non mais cela signifie savoir résister à la pression.
(1) Aux éditions Eyrolles, 223 pages, 17 euros