« Proposer plus et mieux que les standards du logement neuf habituels »

Auteurs de la restructuration-extension de la tour Bois-le-Prêtre à Paris, les architectes Frédéric Druot, Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal reviennent sur ce qui fonde leur démarche depuis le début de leur pratique et sur les politiques de la ville en France. Entretien.

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Choix politique « Partir des potentialités du lieu »

Ne pas démolir. Ajouter, transformer et utiliser l’existant. C’est une approche que nous avons toujours pratiquée. Nous l’avons par la suite particulièrement formalisée dans « Plus. Les grands ensembles de logements », une étude réalisée en 2004 en réaction à la politique de rénovation urbaine qui se mettait en place, basée sur des démolitions massives. De notre point de vue, c’était une erreur qui se dessinait… Aujourd’hui encore, la question est : comment proposer mieux et plus que le minimum contraint habituel ? Ici, Paris Habitat a pris position dès le début : on conserve l’immeuble avec ses locataires et on leur offre le maximum. Ensuite, notre travail consiste dans une attention aux ambiances, aux familles, etc. Il faut savoir regarder. Faire attention à tout. Réaliser des inventaires. Qu’est-ce qu’on conserve ? Qu’est-ce qu’on apporte ? Qu’est-ce qu’on change ? Cela s’applique au bâtiment mais aussi à la ville ! Tous ceux qui visitent Bois-le-Prêtre sont étonnés par l’ampleur et la fluidité des logements. Ce travail sur l’existant nous a permis d’aller plus loin que sur du logement neuf, en partant de la capacité existante, des potentialités d’un immeuble qui avait été quasiment abandonné depuis 40 ans. Au final, les extensions, balcons et jardins d’hiver représentent moins de la moitié du coût des travaux sur la tour. Et le patrimoine du bailleur, largement amorti, est également revalorisé.

La politique de la ville « Un fossé béant entre le discours et l’action »

La politique urbaine actuelle est à l’exact opposé de ce qui y a été fait ici. Bois-le-Prêtre est un travail social et un travail d’urbanisme. Ce n’est pas un projet d’architecture. Depuis les années 1960, la question du logement est réglée de la même manière par les opérateurs, publics ou privés. On continue de démolir et de programmer des ZAC dans une schizophrénie totale. Les intentions politiques sont louables : éviter l’étalement urbain, offrir des logements de qualité, etc. Dans les faits, la manière de procéder reste totalement archaïque. On démolit et on reconstruit. A l’inverse, notre travail est un travail de précision et d’économie. On désosse le système. C’est une approche qui va bien au-delà de la pratique de l’architecture : c’est une pensée. Les acteurs du logement et de la ville dans l’ensemble se contentent de reprendre les systèmes existants en les adaptant à la marge, par habitude ou refus de la moindre prise de risque. Le maître d’ouvrage, à un moment donné, doit faire confiance à l’architecte. Il est stupéfiant de voir le fossé qui se creuse entre le discours et l’action. Il nous arrive de travailler sur des commandes avec un propos intéressant et… rien n’est mis en place derrière pour que ce soit réalisé. Il y a partout cette paresse intellectuelle qui évite de remettre en question les objectifs, de décortiquer les financements, de réinterroger le système. Il faut passer de la question du projet à la question du sens politique. Nous faisons peut-être figure d’exception, mais on aimerait ne pas le rester !

Démolition-reconstruction « Voir le quartier dans son ensemble »

Sur la ZAC Pouchet à Paris, la puissance publique investit 105 millions d’euros pour 400 logements et quelques équipements. Cette somme inclut Bois-le-Prêtre. Si on fait le bilan, on s’aperçoit qu’on a perdu l’équivalent de 251 logements, parce qu’on démolit une crèche pour faire passer une route, parce qu’on reconstruit la crèche, parce qu’on démolit la tour Borel (voisine de Bois-le-Prêtre et du même architecte) et une partie de la barre Borel, etc. Sans jamais voir le quartier dans son ensemble. On parle toujours de réduire le coût de la construction mais on ne s’interroge jamais sur le coût de l’aménagement. On peut multiplier les exemples. Au Havre, nous avons travaillé sur deux tours jumelles de cent logements chacune. L’une vide et en bon état, l’autre saturée et mal entretenue. Bien sûr, c’est la première, la tour Komarov, qui a été foudroyée en mai 2005… On aurait pu redéployer les familles sur les deux tours, doubler la surface de leur logement sans augmenter les loyers et éviter le coût financier et social de la démolition… A la Courneuve, l’une des dernières barres de la Cité des 4 000 est conservée (301 logements, un taux d’occupation très élevé). A côté, la barre Balzac, presque vide, en vue d’être démolie (et qui l’a été depuis). On disposait de 185 000 euros/logement pour remplacer la barre Balzac et de 15 000 euros/logement pour rénover l’autre barre… Nous avions proposé de mutualiser l’ensemble des surfaces et des moyens pour disposer du double d’appartements et d’un budget de 56 000 euros par logement pour transformer généreusement les 587 logements des deux immeubles. Les financements étaient là, la mise en route pouvait être immédiate. C’est du bon sens.

Vers une reproductibilité « Aujourd’hui, tout est géré par petites cases »

La volonté de donner « plus » à des situations construites existantes peut s’appliquer à beaucoup de bâtiments. La tour conçue par Raymond Lopez était un système léger et intelligent : structure béton et façades rapportées. Notre travail a consisté à redonner de la fluidité aux plans, de l’espace et de la lumière, tout en gérant la contrainte thermique. Sur d’autres bâtiments, on apporterait des réponses différentes. Ce qui est certain, c’est que ces logements « atypiques » ne correspondent à aucun modèle. Aujourd’hui, la tour Borel est vide depuis trois ans et doit être démolie. On a là 7 000 m de planchers, une « géographie construite ». L’expérience de Bois-le-Prêtre fera-t-elle revenir Paris Habitat sur cette décision ? En démontant les mécanismes à l’œuvre, on aurait pu la garder, conserver sa structure et sa capacité construite et l’optimiser par rapport à des besoins réels (bureaux, hôtel, logements d’urgence, etc.). Le bailleur social pourrait aussi très bien transférer ce potentiel construit vers un autre opérateur. Cette mixité dont tout le monde parle pourrait commencer ici. Aujourd’hui, tout est géré par petites cases et les compétences ne se croisent pas. On débat de l’opportunité de construire ou non des tours dans Paris, sans regarder ce qui existe. On se colle des prothèses intellectuelles sans arrêt.

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