Prévenir les conflits d’intérêts et la fraude dans les marchés publics

Plusieurs colloques se sont intéressés fin juin à la question de la prévention des conflits d’intérêt et à la lutte contre la fraude dans la commande publique. De son côté, le Service central de prévention de la corruption vient de publier des lignes directrices à destination des entreprises pour prévenir et détecter la corruption.

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Prévenir les conflits d’intérêts et la fraude dans les marchés publics

La directive européenne 2014/24 sur les marchés publics impose aux Etats membres de veiller à ce que les pouvoirs adjudicateurs prennent les mesures appropriées pour prévenir, détecter et corriger les conflits d’intérêts (article 24). Le projet d’ordonnance la transposant pourrait permettre à un acheteur public d’écarter un candidat en cas de risque de conflit d’intérêt. Ce qui fait dire à certains que les contentieux sur ce motif pourraient se multiplier.

Comment s’en prémunir ? Lors d’une conférence organisée sur la réforme des marchés publics par EFE le 24 juin à Paris, Bertrand Dacosta, maître des requêtes au Conseil d’Etat a apporté un éclairage sur la manière dont le juge administratif traitait le sujet. En matière de commande publique, il s’agit de « ménager un équilibre » entre la prévention du conflit d’intérêt et la liberté d’accès à la commande publique, a-t-il posé. Tout tourne autour du « doute raisonnable », c’est-à-dire du « doute sérieux ». Pour qu’il y ait conflit d’intérêt, il faut un intérêt et une influence sur la procédure. L’article 2-2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence dans la vie publique fixe les règles : quand une personne est susceptible d’être en situation de conflit d’intérêt, il est nécessaire de prendre les dispositions pour qu’elle s’abstienne d’intervenir de près ou de loin dans la prise de décision. « Quand il n’est pas possible de prévenir, il faut écarter la candidature, mais c’est le seul cas où on écarte une candidature », a prévenu Bertrand Dacosta.

Moyens de prévention adaptés

Pour le juge administratif français, l’intérêt familial (CE, 3 novembre 1997, n°148150), qui peut être entendu comme le fait d’être le conjoint, le descendant ou l’ascendant d’un membre d’une commission d’appel d’offres (CAO), caractérise une situation de conflit d’intérêt. En revanche, le fait, pour un membre de la CAO, d’avoir été licencié dix ans auparavant d’une entreprise candidate (CE, 27 juillet 2001, n°232820), d’avoir eu un lien de subordination quatre ans auparavant avec un candidat (CE, 19 mars 2012, n°341562) ne caractérise pas une telle situation. Idem pour les cas de conseils de la personne publique, spécialisés dans des secteurs très spéciaux et donc peu nombreux, ayant un lien avec une société attributaire, comme ce fut le cas dans un recours de l’affaire Ecotaxe (CE, 24 juin 2011, n°347720): il ne s’agit pas de restreindre les possibilités pour une personne publique de recourir à un conseil…

L’appréciation du juge se fait au cas par cas car les apparences sont parfois trompeuses. Le juge a validé la passation d’un contrat dans le cas d’un adjoint au maire, membre du conseil d’administration de la société mère de l’entreprise attributaire, car il s’agissait d’une société coopérative dans laquelle l’élu avait été nommé au conseil d’administration en tant qu’usager (CE, 22 décembre 2014, n°382495). Le juge administratif veille aussi à ce que les outils mis en œuvre pour prévenir les conflits d’intérêt soient appropriés : le Conseil d’Etat a annulé la décision d’un maire qui avait exclu une entreprise candidate à un marché de travaux en raison du lien de parenté entre celle-ci et l’un de ses conseillers municipaux (CE, 9 mars 2012, n°355756) : « le maire aurait pu mettre en retrait ce conseiller », a éclairé Bertrand Dacosta.

Prévenir à chaque étape du processus achat

Travailler sur l’organisation de la fonction achat et des processus d’acquisition constitue un moyen pour prévenir les conflits d’intérêts. « Dites-moi comment vous gérez vos achats et je vous dirai qui vous êtes ». Les achats sont des points faibles dans les organisations et révèlent la maturité de celles-ci face au risque de fraude, selon le président de l’Association of Certified Fraud Examiners (AFCE) France (1), Francis Hounnongandji. « La fraude peut intervenir à chaque étape du processus achat, a-t-il rappelé lors de la conférence organisée par son association en partenariat avec l’Association Pour l’Achat dans les Services Publics (Apasp), le 25 juin à Paris sur la prévention de la fraude dans les achats publics et privés. Elle peut intervenir depuis la définition des besoins (qui peuvent orienter vers certaines solutions) jusqu’à l’exécution des marchés (qualité moindre que prévue), en passant par des critères choisis pour mieux router vers une offre particulière, etc.

L’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a par exemple mis en place, dans son pôle Achat (700 marchés actifs, 500 fournisseurs, volume financier de 1,3 milliard d’euros) des contrôles croisés grâce à des commissions intervenant à diverses étapes (commission d’appréciation des offres, commission des contrats publics pour les consultations visant à attribuer des marchés de plus de cinq millions d’euros, contrôle financier des engagements de plus de 2 millions pour les marchés de travaux et 207000 euros pour les autres…), des contrôles embarqués (vérification systématique par le n+1 et le n+2 de ce que fait au sein du pôle Aachat l’agent n), une charte de l’acheteur, etc.

Certifier les organisations

Certaines personnes publiques font certifier leur commande publique type ISO 9001. « Cela augmente le nombre de points de contrôle et renforce les effectifs en ressources humaines. C’est un pilotage de la fonction achat qui peut amener des réponses », a noté Brigitte Roman, Premier conseiller à la Chambre régionale des comptes de Corse, lors de la conférence AFCE/Apasp. Aude Boilley-Rayroles, directrice des achats de l’AP-HP, dont le pôle Achat est certifié ISO 9001 pour ces processus depuis 2001, confirme : cela apporte « mesure de la performance, cartographie des risques, inscription des prescripteurs dans les processus, et certification des comptes ».

Les entreprises aussi à protéger

Dans son rapport publié en juin sur l’année 2014, le Service central de prévention de la corruption (SCPC) invite les entreprises françaises également à se prémunir contre la corruption. « Plusieurs pays se sont dotés de lois de portée extraterritoriale qui leur permettent de poursuivre et, dans certains cas, de sanctionner lourdement des entreprises, quelle qu’en soit la nationalité, pour des actes de corruption transnationale commis n’importe où dans le monde », prévient-il.

Parmi les pistes de prévention à suivre, le SCPC cite les normes ISO applicables à la lutte contre la corruption. Le 15 décembre 2014 a été adoptée la norme ISO 19600 qui liste des recommandations pour encadrer les systèmes de management. Une autre, l’ISO 37001, concerne la prévention et la détection de la corruption. Elle est en cours de définition. Plus exigeante, elle doit conduire vers la certification des organisations. Le SCPC « recommande aux organisations, quelle que soit leur taille, de se doter d’une politique effective de prévention de la corruption adaptée à leurs risques propres ». Dans cette perspective, il leur propose six lignes directrices pour y arriver (voir ci-dessous).

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