Interview

Sécurité incendie - « Prendre les devants dans l'élaboration de la réglementation », Régis Cousin, président de la FFMI

La Fédération française des métiers de l'incendie (FFMI) veut accompagner les évolutions liées à la transition écologique des bâtiments et des mobilités.

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Régis Cousin, président de la Fédération française des métiers de l’incendie (FFMI).

La FFMI publie un livre blanc sur les enjeux de la sécurité incendie pour 2022-2027. Pourquoi ?

C'est la première fois que nous nous livrons à un tel exercice. Il s'agit de faire valoir les enjeux et nos besoins pour le quinquennat. Le précédent a provoqué un grand chambardement dans la vie publique, y compris en matière de sécurité incendie, avec la loi Essoc de 2018, et la consécration du droit à l'erreur. La loi Elan, toujours en 2018, s'inscrit dans la même veine, révélant une approche assez différente - de l'art de faire la loi notamment - par la nouvelle majorité présidentielle. Il nous a fallu être très actifs pour mettre en lumière les règles de l'art qui concernent la sécurité incendie, car ce domaine a eu tendance à faire les frais des recherches de simplification des normes pour réduire les coûts ou les délais de construction. L'idée est de prendre les devants, car nous ne voulons plus nous trouver dans le même désarroi.

Comment est appréhendée la sécurité incendie ?

Elle constitue un risque historique, appréhendé avec un certain niveau de maturité. L'équilibre entre les contraintes pour juguler ce risque et le résultat produit - on compte environ 500 à 600 décès annuels et plusieurs milliers de blessés - est malheureusement considéré comme acceptable par la société, mais une victime d'incendie est toujours une victime de trop. Il faut a minima faire en sorte de maintenir cet équilibre, tout en améliorant ce qui peut et devrait l'être.

Concernant la sécurité des bâtiments, où en est-on sur le plan des travaux législatifs et réglementaires ?

La loi Essoc a apporté de grandes nouveautés, et ce n'est pas fini, avec la réécriture en cours du Code de la construction et de l'habitation. Le décret sur les règles de sécurité incendie a pris du retard - les règles relatives à la construction bois ayant été priorisées - et devrait paraître fin 2022. Entre les difficultés à absorber Essoc et celles liées à Elan, entre la réglementation sur les immeubles de moyenne hauteur et la notion de réversibilité qui part dans tous les sens, la sécurité incendie est un peu malmenée. Historiquement, les règles ont été élaborées par des ministères différents avec des logiques différentes.

Par exemple, dans les bâtiments tertiaires, on évacue ; dans les habitations, on confine. Tout unifier est donc compliqué.

Comment évaluez-vous l'apport de la loi Essoc et de ses textes d'application qui ont consacré la solution d'effet équivalent (SEE) ?

Nous avons obtenu des garde-fous pour autoriser les SEE sans porter atteinte au niveau de sécurité incendie, notamment avec une liste précise d'attestateurs qualifiés pour les valider.

Car les risques et les responsabilités ne sont évidemment pas les mêmes qu'en matière d'acoustique ou de performance énergétique par exemple. Mais nous n'avions pas attendu Essoc pour avoir une intelligence de terrain. Chaque bâtiment est un prototype, et nous faisions déjà preuve de pragmatisme pour définir les adaptations nécessaires. Ainsi, pour la rénovation d'un monument historique, il n'a jamais été question de détruire afin d'ajouter 20 cm pour les unités de passage ; des dérogations étaient accordées moyennant des mesures de compensation. Pour l'instant, le dispositif de la SEE n'est finalement pas ou peu utilisé.

Que proposez-vous pour améliorer la sécurité des bâtiments ?

Nous suggérons trois mesures. Premièrement, introduire dans le cursus initial des architectes une séquence sur la sécurité incendie, comme celle dispensée par Michel Garcin à l'Ecole spéciale d'architecture à Paris - une exception. Ces professionnels ne sont formés à ce sujet qu'une fois en activité ! Or il y a une problématique importante d'interface avec d'autres contraintes. Et si la dimension sécurité incendie n'est pas intégrée nativement dans un projet, l'architecte risque d'avoir des surprises, de perdre du temps et de l'argent… Un tel module a été mis en place au Royaume-Uni depuis le drame de la tour Grenfell en 2017. Franck Riester avait été sensible à cette idée lorsqu'il était ministre de la Culture, mais il nous avait fait comprendre que cela nécessitait de convaincre chaque directeur d'école d'architecture, qui jouit d'une certaine autonomie dans l'élaboration de ses programmes. Deuxième mesure, développer des initiatives pédagogiques pour créer chez chaque citoyen une culture de la sécurité incendie.

Enfin, et c'est notre principale demande, formulée depuis des années : faire siéger au Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) un professionnel de la sécurité incendie. Aucun membre de cette instance n'est un spécialiste de ces risques pourtant primordiaux.

Quelles problématiques émergent à la faveur de la transition environnementale ?

Deux chantiers se profilent. D'une part, le développement du biosourcé, et notamment du bois. D'autre part, l'électrification du parc automobile à marche forcée.

Les véhicules électriques vont surtout se déployer dans les centres urbains denses, ce qui impliquera de les stocker en sous-sol. Or le risque incendie des batteries est assez important, et il faudra adapter les règles rapidement en conséquence. Les véhicules au GPL posaient des difficultés similaires, mais leur déploiement était plus confidentiel et leur accès aux parkings souterrains souvent interdit. Nos métiers doivent absolument être associés à l'élaboration des textes qui accompagneront ces mutations essentielles pour la société.

« Il faudrait introduire dans le cursus initial des architectes une séquence sur la sécurité incendie. »

Votre livre blanc entend aussi mieux « défendre nos territoires ». Quelles conséquences pour le bâtiment ?

La sécurité incendie est fondée sur deux lignes de défense : des bâtiments sûrs, pour prévenir les risques et préserver les occupants, et une intervention pour juguler l'incendie lorsqu'il survient. A cet égard, nous prônons le maintien du maillage des bornes et poteaux d'incendie. Or les exigences en la matière peuvent constituer un frein à l'aménagement du territoire, entraînant par exemple des refus de permis de construire si les distances maximales entre les bâtiments et les bornes ne sont pas respectées. Nous proposons des solutions alternatives - systèmes d'extinction, de désenfumage et de compartimentage, détection incendie… - lorsqu'une défense extérieure contre l'incendie est trop difficile à mettre en œuvre, pour ne pas obérer le développement d'un territoire.

La sécurité des logements est-elle aujourd'hui d'un bon niveau, avec notamment la loi sur les détecteurs avertisseurs autonomes de fumée (DAAF) de 2010 ?

Cette loi était plus pédagogique qu'autre chose, puisqu'elle n'a pas prévu de contrôle obligatoire d'installation et de bon fonctionnement des DAAF. Or 90 % des victimes d'incendie sont à déplorer en habitation. Dans les logements collectifs sociaux, le taux d'équipement fut très bon - estimé à 95 % en 2015 -, mais bien moindre pour les maisons individuelles. Nous demandons que l'évaluation prévue cinq ans après la loi soit enfin effectuée : nous avons été entendus, le CSTB a été missionné et devrait livrer son rapport à l'automne. Nous souhaitons également qu'une vérification de la présence d'un DAAF et de son bon fonctionnement soit ajoutée aux nombreux diagnostics déjà imposés lors des mutations de biens.

Enfin, la FFMI alerte sur les enjeux de normalisation. Pourquoi ?

La France est un grand pays de règles de l'art, de normalisation. Or il s'opère de plus en plus un transfert de la normalisation vers l'Europe et l'international, et notre pays n'accompagne pas assez ses experts pour peser dans ces travaux. La normalisation technique qui s'élabore constituera le référentiel des appels d'offres qui sortiront dans cinq ans ! Si le savoir-faire français est mal représenté, il risque d'être escamoté. La Chine, elle, investit massivement dans l'envoi d'experts dans les commissions internationales sur les normes ISO…

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