La filière s’y attendait et l’appelait même de ses vœux : la France a entériné le retard pris sur sa feuille de route hydrogène bas-carbone et révisé à la baisse ses objectifs de production d'ici 2030 et 2035 : jusqu'à 4,5 gigawatts de capacité de production installée en 2030 et 8 GWen 2035, contre respectivement 6,5 GW et 10 GW prévus jusqu'à présent.
Une démarche réaliste à un moment où les perspectives de développement des usages de l’hydrogène et d’une filière industrielle pour sa production semblent de plus en plus réduites. Ou, pour reprendre les termes des services du Premier ministre, que l’on assiste à un « décalage prévisible du marché et du temps de développement technologique encore nécessaire ».
Pas la solution miracle
Car la solution miracle pour tous les usages vantée il y a 6 ou 7 ans s’est révélée bien moins pratique – et surtout bien plus chère - qu’annoncé. « L’hydrogène allait remplacer le pétrole, le gaz naturel. C’était pour moi un grand délire », confiait lundi 12 mai lors d’un webinaire de France Stratégie, l’organe de prospective rattaché à Matignon, Cédric Philibert, chercheur associé au Centre énergie et climat de l’Institut français des relations internationales. « La preuve aujourd’hui : l’hydrogène dans les transports est sur le déclin. Quelques collectivités locales essayent de financer des bus ou des trains. Mais les voitures à hydrogène n’existent quasiment pas. Il y a eu une révolution des batteries lithium-Ion de grande capacité avec un prix qui a diminué de 85% en 10 ans », tuant ainsi la compétitivité de l’hydrogène par rapport aux véhicules électriques. Et d’enfoncer le clou : « Pour le chauffage, c’est un délire encore plus grand ! Pour acheminer cet hydrogène les coûts sont énormes et c’est six fois moins efficace qu’une pompe à chaleur… » Ainsi, rappelait lors de ce séminaire, Marc Florette, vice-président du pôle Énergie de l’Académie des technologies, « l’hydrogène demande une adaptation des canalisations de gaz traditionnelles et son caractère inflammable le rend très compliqué à gérer pour des utilisations grand public ».
Des industriels en attente d'un marché
Grand témoin de cet effet « peau de chagrin », Florence Lambert, présidente de Genvia, « co entreprise » née en 2021 dans l’Hérault du partenariat entre le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Schlumberger New Energy, Vinci Construction et Vicat. Sa technologie ? L'électrolyse haute température à oxyde solide du CEA. « Contrairement aux électrolyseurs alcalins ou à membrane échangeuse de protons (PEM), nous partons de l'eau vaporisée et non liquide, gage de meilleurs rendements avec un coût de molécule bien moindre », expliquait-elle en 2022 au Moniteur. Une technologie réversible, permettant de basculer de l'électrolyse vers un mode pile à combustible. Son objectif à l’époque, lancer une giga factory en 2025. « Nous n’avons pas pu déployer cette gigafactory. Nous espérons que notre usine deviendra « giga » après 2030 », a-t-elle confié durant le séminaire de France Stratégie. « Il nous faut en effet encore démontrer la faisabilité de l’introduction de cette technologie dans le process de nos clients qui sont encore en phase de benchmarking. A partir de 2030, nous pensons pouvoir accélérer et déployer progressivement notre gigafactory par pas de 100 MW. » Toutefois, Florence Lambert s’est voulue confiante pour la suite : « Si une certaine « bulle » a explosé, il n’y aura pas de retour en arrière et il nous faut nous préparer pour caler notre développement par rapport à celui des marchés cibles ».
Et pour France Stratégie et les experts convoqués lors de ce webinaire, des domaines d’utilisation précis et stratégiques s’imposent : l’industrie (la sidérurgie notamment) et les transports maritime et aérien de longue distance grâce à ce que l’on appelle des « e-carburants ».
Tout électrique
Pour cela il faudra de l’électricité. Beaucoup. « Aujourd’hui la France a des marges », assurait Cédric Léonard, spécialiste de la modélisation technico-économique du système énergétique chez RTE, autre invité du webinaire. « Si on veut développer de l’électrolyse grâce aux énergies renouvelables pour produire de l’hydrogène décarboné on en a la capacité. » Suffisamment pour couvrir la demande d’électrolyseurs fonctionnant en permanence ? « Certains usages de l’hydrogène notamment dans les raffineries ne sont pas flexibles », reconnaissait-il. « Mais on peut flexibiliser la production sans flexibiliser les usages, par exemple en basculant sur une unité de SMR ou grâce au stockage en cavités salines ». Et côté infrastructure réseaux, RTE se veut également rassurant : le développement du réseau pour raccorder les futurs électrolyseurs a été anticipé. « La nouvelle approche pour nos raccordements, entérinée par notre schéma décennal de développement du réseau (SDDR) consiste à passer d’une logique de réalisation au fil de l’eau à une anticipation de déploiement du réseau avant que les projets ne soient concrétisés afin que les infrastructures soient prêtes à temps pour ne pas entraver le développement de ces projets », a-t-il expliqué. Ainsi dans certaines zones, le réseau est développé en amont tandis que dans d’autres, les opérations (études, permitting, matériels) s’arrêtent juste avant la phase travaux. A en croire Cédric Léonard, RTE a déjà reçu des demandes de raccordement (propositions techniques et financières) pour l’équivalent de 10GW de projets dont la réalisation est attendue à l’horizon 2030. Bien au-dessus des 4,5 GW de la stratégie nationale.