Consacrer 1000 € par an et par habitant à la transition écologique, c’est possible ! Commune de Saône-et-Loire affiliée au réseau des territoires à énergie positive (Tepos), Tramayes en apporte la preuve depuis deux décennies.
Le coût de la non-transition
Son maire rappelle l’acte fondateur : « La chaudière communale était arrivée en fin de vie. Nous avons comparé deux solutions : son remplacement par un nouveau modèle plus performant, soit un investissement de 58 000 € ; ou la construction d’un réseau de chaleur, à 1,5 M€ ». Au nom d’une vision globale et à long terme qui met en évidence le coût de la non-transition, Michel Maya tranche pour la seconde option.
Deux décennies plus tard, les chiffres confortent son analyse : « Grâce aux rénovations globales que nous systématisons, la consommation d’électricité s’est réduite d’un facteur trois, et je peux vendre la chaleur au prix de quatre centimes par kWh ».
Régression mondiale
Certes, la dette de Tramayes atteint le triple de la moyenne des communes de sa taille. « Mais cela ne m’empêche pas de dormir, car les recettes couvrent les annuités », soutient le maire. Les finances communales survivront facilement aux emprunts contractés lors de l’extension photovoltaïque du réseau de chaleur, installée sur la toiture du nouveau garage municipal: « A raison de 4 500 €/an d’électricité vendue à EDF, nous remboursons l’équipement en 20 ans », calcule Michel Maya.
Principale lueur d’espoir dans le débat du 26 juin à Paris sur le financement de la transition écologique, Tramayes ne reflète pas l’état du monde, loin de là. « Après le retrait de la Fed du réseau de banques centrales NGFS, consacré au verdissement du système financier, il faut s’attendre à un effet boule de neige », pronostique Jézabel Couppey-Soubeyran, maîtresse de conférence à l’université Paris 1 et conseillère scientifique de l’institut Veblen pour les réformes économiques.
Inquiétude française
Les coups de boutoir portés sur le Green deal de l’Union européenne alimentent son appréhension, après le vote de la directive Omnibus qui remet en cause les obligations de transparence et de vigilance, ainsi que la taxonomie verte. Palpable à l’échelle mondiale et européenne, l’inquiétude prévaut également en France, à quelques semaines du débat budgétaire annuel.
A la question de savoir si les pouvoirs publics investissent suffisamment dans la transition, Damien Demailly, directeur général adjoint de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) répond résolument : « Non. Les 100 Mds€ d’investissements publics annuels, dont 15 % apportés par l’Etat, ne représentent que la moitié des besoins de la France, pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ». Le think-tank prépare les esprits au rapport qu’il publiera le 10 juillet : « Pour la première fois, nous montrerons que les investissements climatiques sont sortis de leur dynamique positive », annonce Damien Demailly.
Aléas budgétaires
Et quant à l'efficacité de l'argent dépensé par les pouvoirs publics, le doute l'emporte au moment d'interroger son efficacité. Le sauvetage des subventions aux travaux d’isolation par geste alimente la perplexité de l’I4CE qui souligne leur peu d'impact sur les émissions de gaz à effet de serre. Il en va de même pour de nombreux aléas provoqués par l’absence de majorité parlementaire, avec pour corollaire les coupes budgétaires décidées « à l’arrache, là où cela fera le moins de bruit ».
Si la débudgétisation de MaPrimeRénov ne répond pas à cette définition, elle ne trouve pas pour autant grâce aux yeux de Damien Demailly : « On ne peut pas céder à la tentation de mettre tout le financement de la transition écologique sur le compte des certificats d’économie d’énergie. Certes, cela peut aider à faire le dos rond. Mais tout ne peut pas rentrer dans les 5 Mds€ annuels, et l’augmentation de l’enveloppe aura des répercussions sur le prix de l’énergie », prévient l’expert.
Comptabilité verte en progrès
Poussée dans ses retranchements, la direction générale du Trésor du ministère de l’Economie rappelle les acquis de la France : « Les investissements verts de l’Etat atteignent 40 Mds€ en 2025 comme en 2024 », affirme la cheffe économiste de l’institution, Dorothée Rouzet. La direction générale du Trésor donne une couleur verte à 20 % des investissements publics, contre 13 % de ceux du privé.
Spécialiste de la finance durable à la Climate Bonds Initiative, Mireille Martini reconnaît les efforts de transparence accomplis par la France. « Comme le Royaume-Uni, elle fait partie des pays qui ont ancré l’écologie dans leur politique économique ». Mais l’experte invite à une prise de recul : « Après les accords de Paris, on a cru que le monde de la finance allait se transformer de lui-même. Et cela ne vient pas ».
Impasse financière
Mireille Martini pousse la réflexion jusqu’aux sources de ce hiatus : « Spontanément, le système financier sait investir dans les secteurs très rentables comme les data center ou le trading pur. Arrêtons de penser qu’il viendra spontanément vers la transition ! Sans pour autant tomber dans la planification à la soviétique avec ses travers, il faut savoir orienter les fonds privés, faute de quoi ils se concentreront toujours sur le rentable ».
Sur le coin enfoncé par le réseau anglo-saxon de chantres de la finance verte, les économistes alternatifs ouvrent la brèche. « Réorienter les investissements privés suppose une politique volontariste et intrusive qui sorte d’une approche complaisante vis-à-vis des mécanismes de marchés », pointe Jézabel Couppey-Soubeyman. Elle prône la méthode du Quantative eaising, pour opérer ce virage.
Sortir du marché
La question du financement des investissements non rentables amène l’association The Other Economy sur son terrain de prédilection : « La transition écologique exige la mobilisation de l’ensemble des outils disponibles, dont la dette, les subventions, la régulation bancaire, le verdissement des politiques monétaires, la diminution des coûts des financements verts », énumère sa directrice Marion Cohen.
Selon The Other Economy, « il faut faire bouger les frontières de la rentabilité, y compris par la fiscalité, avec une exigence de cohérence, secteur par secteur ». L’exemple du vélo lui vient à l’esprit : « A quoi servirait de subventionner l’achat sans mettre en place l’infrastructure adaptée » ?
L’espoir rural
A côté de la question de la compatibilité entre les mécanismes de marché et la transition écologique, la table ronde du 26 juin à rouvert un autre débat : celui du lien entre ville et campagne. « La transition passe par la ruralité, qui alimente l’urbanité. C’est une chance, car ce courant attire des personnes qui ont envie de vivre et d’investir chez nous », proclame Michel Maya, à l’issue du Grand atelier des maires ruraux de France sur la Transition écologique. L’espoir, décidément, se niche dans l’échelle locale, et ne se compte pas seulement en unités monétaires.