Le trilogue "Commission européenne – Parlement – Conseil" en cours sur les projets de directives relatives aux marchés publics mobilise fortement les nombreux acteurs de tous pays et de toutes professions. Tous s’accordent sur la nécessité d’une commande publique efficace et d’une utilisation optimale des deniers publics, mais les solutions pour y parvenir divergent assez largement. EFCA, la fédération européenne de l’ingénierie, et Syntec-Ingénierie, la fédération française, dégagent trois enjeux majeurs des textes en débat : la compétitivité, l’innovation et le développement de l’économie verte.
Le développement et l’ouverture d’un marché européen constituent l’objectif premier des projets de directives sur les marchés publics. À juste titre, car ce marché n’existe guère dans le secteur de la construction. « Nous avons affaire à 27 marchés avec leurs réglementations et pratiques spécifiques », soulignent à loisir tous les acteurs de la filière, en écho aux constats présentés dans le Livre vert de la Commission européenne sur les marchés publics. À titre d’exemple, les échanges intra-européens de prestations d’ingénierie sont ridiculement faibles (environ 15 milliards d’euros d’un marché intérieur de l’UE de l’ordre de 350 milliards, soit moins de 5%), alors que les exportations hors Europe s’élèvent à 38 milliards et les importations à environ 35 milliards. Est en cause la multitude de réglementations nationales hétérogènes qui s’appliquent : droit de la construction, de la responsabilité, des assurances, du contrôle technique, des professions réglementées... Une brèche aurait dû s’ouvrir avec l’entrée en vigueur des eurocodes.
On constate, à l’inverse, que les nationalismes se renforcent. De plus, on observe les prémisses d’un recours accru des entités publiques à leurs services internes, au détriment d’une ouverture des marchés. Les dispositions des projets de directives sur les échanges de services "inhouse" entre entités publiques se limitent à reproduire la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur ce sujet. Au lieu d’innover pour ouvrir le marché, ces projets laissent le champ libre aux dispositions nationales, qui le fermeront.
La compétitivité de l’ensemble des acteurs européens du secteur de la construction est largement conditionnée par cette ouverture du marché européen.
Il est à noter également que la maquette numérique, dont les projets de directives prévoient à juste titre le déploiement (amendement 20 de la version amendée par la commission Imco du Parlement européen), est indispensable à la qualité des constructions dans toutes leurs dimensions, mais qu’elle est aussi un vecteur important de cette compétitivité, à condition que son interopérabilité puisse être garantie par des dispositions idoines à introduire dans le projet de directive.
L’innovation constitue un objectif essentiel pour l’Europe, particulièrement en cette période de crise. Elle est encouragée, à juste titre, par les dispositions du projet de directives relatives aux partenariats d’innovation*. Il s’agit d’une disposition qui réhabilite des modes de marchés ayant prouvé, dans le passé, leur efficacité en matière de créativité dans certains pays, mais que les règles européennes trop administratives avaient bannie.
Toutefois, l’innovation ne se décrète pas et il est essentiel qu’elle puisse être portée par le plus grand nombre possible d’acteurs et libérée de contraintes administratives excessives.
À cet égard :
- l’accès des PME aux marchés publics doit être soutenu ;
- au même titre, des dispositions devraient être prises pour éviter que ne s’instaure, au travers des partenariats public-privé, l’oligopole de fait de certains majors internationaux de la construction que déplorent aujourd’hui de nombreux acteurs de la construction dans les pays européens ;
- la négociation devient l’une des procédures obligatoires à la disposition des pouvoirs adjudicateurs dans le projet de directive, amendé par la commission Imco du Parlement européen. Elle sera notamment obligatoire pour les prestations intellectuelles (Art 24 – 1 - subparagraph 4).
Le développement de l’économie verte est largement encouragé par de nouvelles dispositions sur la passation des marchés publics. Elles permettent notamment d’utiliser des critères du développement durable et du coût du cycle de vie, qui devraient donner une impulsion nouvelle à l’économie verte, si tant est que les pouvoirs adjudicateurs soient en mesure d’utiliser ces nouvelles possibilités. C’est un point clé de l’efficacité des futures directives. La complexité croissante de nombreux marchés publics est induite par les technologies susceptibles d’en faire l’objet. Les enjeux ne sont plus seulement à court terme, mais aussi, et plus que jamais, à long terme. Utiliser le critère de coût du cycle de vie pour attribuer un marché public, comme le prévoit le projet de directive, impose l’acquisition de compétences spécifiques de la part des acheteurs publics.
Il faut remettre les principaux enjeux de compétitivité, d’innovation et d’économie verte au cœur du trilogue sur le projet de directive. Ils sont indissociables de la recherche d’une qualité des produits et des marchés publics et d’une utilisation optimale des deniers publics.