POINT DE VUE « Transports urbains : l'heure de vérité »

-Jean-Marc Offner, directeur de recherche au Latts (laboratoire technique, territoires, société), chef du département Aménagement, transport, environnement de l'Ecole Nationale des Ponts et Chaussées s'exprime sur les transports de demain.

Le transport public a le vent en poupe, nous dit-on. Les bonnes fées de la scène politique sont au rendez-vous : l'Union européenne mobilisée par son commissaire aux Transports, Neil Kinnock, une loi sur l'air providentielle, des ministres de l'Equipement et de l'Environnement convaincus, des élus « transport » de mieux en mieux classés dans la hiérarchie locale. La conjoncture elle même semble favorable : pollution atmosphérique aidant, l'opinion publique sondée exprime sa relative réticence à l'encontre du tout automobile ; contre toute attente, le montant du versement transport a augmenté de plus de 7 % (en francs courants) en province entre 1995 et 1996 ; et, divine surprise, à Nantes la part de l'automobile dans les déplacements a diminué, passant de 59,4 % à 57,4 % en 1997. Un petit pourcentage mais une rupture qualitative peut-être significative après des décennies de partage modal toujours favorable à la voiture dans les agglomérations françaises. Enfin, l'offre de transport paraît vouloir s'adapter à l'évolution désormais reconnue de la demande.

Si l'on ajoute à tous ces signes positifs l'élaboration, par les exploitants comme par les autorités organisatrices, d'un discours convaincant sur les bienfaits de leur activité au regard des impératifs de création d'emplois et de cohésion sociale, il ne fait aucun doute que développement et promotion du transport collectif sont en phase avec l'air du temps. Oublierait-on un instant les « caillassages » et la fraude, on se croirait presque dans les années 1970.

Le triptyque financement, réforme, innovation

Encore faut-il ne pas rater le coche, écarter les vieux démons qui perturbent de façon récurrente la réflexion et l'action en matière de planification et de gestion des déplacements urbains. « Les solutions proposées généralement (...) tournent autour de trois mots d'ordre, écrivions nous en juin 1992 dans la revue Pouvoirs Locaux ; de nouvelles sources de financement, des réformes institutionnelles, des innovations techniques. Sur ces trois points cruciaux, le débat fait fausse route ». L'analyse reste valable.

S'agissant du financement, la première précaution consiste tout d'abord à s'interroger sur la rentabilité des investissements programmés. « Les innovations les plus lourdes et les plus coûteuses ne sont pas forcément les meilleures », concluait une enquête sur les attentes des usagers, présentée dans la lettre du Gart de mars 1997. Or, curieusement, la décision publique préfère souvent le gros, cher et simple au modeste mais « complexe » (c'est-à-dire impliquant de la concertation, de la négociation, du partenariat...). La saga des voies réservées pour autobus en région parisienne - au succès inversement proportionnel au rapport qualité-prix, sans égal - comme la saumâtre feuilleton de Météor et d'Eole, fournissent deux beaux exemples de ce paradoxe.

Si, néanmoins, tout compte fait, l'argent semble manquer, la recherche de nouvelles ressources affectées (à l'instar de l'indispensable versement transport) n'est sans doute pas la démarche la plus efficace. Car ce type de financement présente un défaut rédhibitoire : il permet aux responsables politiques de ne pas faire de choix, de puiser dans une caisse pour construire un parking en centre-ville et dans une autre pour prolonger un TCSP (transport en commun en site propre). En un mot, de mener des actions incohérentes.

Les réformes institutionnelles proposées, ici ou là, sont justement censées faciliter la globalité, la transversalité des politiques publiques locales de déplacement. Mais une fois encore, faut-il vraiment attendre le grand soir des redécoupages territoriaux de compétences, inévitablement imparfaits et frustrants, pour penser à faciliter la coordination des interventions publiques ?

Des outils de management public existent, particulièrement sous-utilisés dans la tradition technico-politique française. L'acculturation est nécessaire : évaluation a posteriori des projets et politiques, systèmes d'information canalisant les stratégies des acteurs locaux, comparaisons statistiques des performances des entreprises, clarification des rôles entre opérateurs et régulateurs de services, etc.

Les PDU doivent être mis sous haute surveillance

A ces différents égards, les plans de déplacements urbains (PDU) nouvelle formule représentent une opportunité de taille. Reste la mise en oeuvre, les PDU doivent être mis sous haute surveillance ; l'efficacité et l'effectivité de cette procédure impliquent l'intelligence et la vigilance de tous.

L'innovation technique enfin, ne vaut que si elle est mise au service d'objectifs politiques : un moyen, non une fin. Banalité éthique souvent oubliée. Les efforts de créativité seraient plus productifs s'ils s'astreignaient à toujours combiner le technologique et l'organisationnel. Un beau système en « tique »ne vaudra jamais une bonne réforme tarifaire, l'élaboration de services à valeur ajoutée, un marketing adapté, voire la localisation fine des arrêts d'autobus. Surtout, le progrès technique pourrait s'atteler à redéfinir les conditions concrètes de mise en oeuvre du droit au transport, pour que la diversification technique de l'offre, puisse, imagination logistique aidant, répondre à la diversification spatiale, temporelle et sociale des besoins de déplacements.

PHOTO : Jean-Marc Offner : «Les innovations les plus lourdes et les plus coûteuses ne sont pas forcément les meilleures.»

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