Point de vue - Mise en concurrence volontaire et information des candidats évincés : pas si simple...

La récente réponse ministérielle relative à l'information des candidats non retenus dans les marchés inférieurs à 25 000 euros suscite le débat. Pour Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d’Or, le fondement juridique de l'obligation d'information imposée aux acheteurs s'étant livrés à une mise en concurrence volontaire pose question.

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Arnaud Latrèche, adjoint au directeur de la commande publique et de la valorisation immobilière du conseil départemental de la Côte-d'Or

A l’occasion d’une réponse ministérielle publiée le 24 août dernier [1], le ministère de l’Intérieur considère que, si l’obligation d’information des candidats non retenus posée par les articles 99 et 100 du décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics (ci-après « décret ») est nécessairement inapplicable aux marchés d’un montant inférieur à 25 000 euros HT conclus sans publicité ni mise en concurrence préalables, elle est en revanche applicable si l’acheteur fait le choix de mettre en concurrence de tels marchés. Le fondement juridique de cette affirmation, à laquelle il est difficile de ne pas adhérer, n’est cependant pas exposé par le ministère.

Faut-il y voir le signe d’un manque de lisibilité de l’assise juridique de l’obligation d’informer les soumissionnaires que l’acheteur a choisis de mettre en concurrence, là où la réglementation lui permettait pourtant de contracter de gré à gré ?

Achats inférieurs à 25 000 euros = Mapa ?

Cette réponse ministérielle met en exergue le dilemme de la qualification des achats d’un montant inférieur à 25 000 euros HT, tantôt qualifiés de marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence sur le fondement de l’article 30 du décret (lorsque l’acheteur choisit de se dispenser de mise en concurrence), tantôt assimilés à des marchés passés selon une procédure adaptée sur le fondement de l’article 27 du décret [2] (Mapa) (lorsque l’acheteur décide de mettre en concurrence de tels achats) - ce qui justifie alors dans ce dernier cas le respect de l’obligation d’information des opérateurs non retenus résultant de l’article 99-I du décret pour ce qui concerne les Mapa.

Une procédure de mise en concurrence non identifiée dans les autres cas

La question du fondement juridique de l’obligation d’information des candidats non retenus se pose également s’agissant des autres marchés inclus dans le champ d’application de l’article 30 du décret, échappant par ailleurs à la qualification de Mapa [3], que l’acheteur décide de mettre en concurrence.

Il résulte en effet du I de l’article 30 que « les acheteurs peuvent passer un marché public négocié sans publicité ni mise en concurrence préalable dans les cas suivants : […] ». Ces dispositions ne s’opposent donc pas à ce que, dans ces mêmes cas, l’acheteur décide de passer le marché avec mise en concurrence, sous réserve toutefois des hypothèses où, à l’évidence, le choix d’un opérateur déterminé s’impose nécessairement à l’acheteur [4]. L’obligation de négocier avec plusieurs opérateurs est d’ailleurs expressément prévue dans le cas particulier où plusieurs lauréats ont été désignés dans le cadre d’un concours (article 30-I-6°).

Dès lors, dans les situations visées à l’article 30, par exemple lorsque, à l’issue d’une procédure d’appel d’offres aucune candidature ou aucune offre n’a été déposée (article 30-I-2°), si l’acheteur décide d’organiser une mise en concurrence entre plusieurs opérateurs économiques qu’il choisit librement pour ne pas dire discrétionnairement, doit-il alors informer ceux dont l’offre n’est pas retenue ?

Si une réponse positive vient immédiatement à l’esprit, le fondement juridique de cette supposée obligation n’est pas pour autant nettement établi.

En effet, cette procédure sui generis par laquelle l’acheteur décide de mettre en concurrence l’attribution du marché, quant bien même les circonstances de sa passation lui permettent règlementairement de s’en dispenser, ne saurait être qualifiée de procédure formalisée. Seules les procédures visées limitativement par les articles 25 et 26 du décret méritent en effet cette qualification, à savoir, l’appel d’offres, la procédure concurrentielle avec négociation (applicable sous condition aux pouvoirs adjudicateurs), la procédure négociée avec mise en concurrence préalable (réservée aux entités adjudicatrices) et le dialogue compétitif.

Les marchés conclus selon cette procédure non définie ne peuvent davantage être qualifiés de Mapa [5].

Si elle se rapproche de la procédure négociée avec mise en concurrence préalable, outre le fait que cette dernière est l’apanage des entités adjudicatrices, elle s’en écarte toutefois dans la mesure où elle ne donne pas lieu obligatoirement à la publication d’un avis d’appel public à la concurrence, laquelle est exigée dans le cadre de la procédure négociée susvisée (article 74 du décret).

Le silence du droit national

Or, en vertu de l’article 99 du décret, l’obligation de notification des décisions de rejet aux opérateurs non retenus ne vaut expressément que pour les Mapa (tels que définis par les articles 27, 28 et 29 du décret), ainsi que pour les marchés passés selon les procédures formalisées (définies par les articles 25 et 26).

La formulation retenue afin de définir le champ d’application de l’obligation d’information des opérateurs non retenus peut laisser entendre que cette dernière n’est pas applicable lorsque l’acheteur décide de consulter directement plusieurs opérateurs pour l’attribution d’un marché qui réunit les conditions visées à l’article 30 du décret.

Les marchés publics négociés sans publicité ni mise en concurrence préalables offrent une souplesse telle, par rapport aux principes fondamentaux régissant le droit de la commande publique, que les rédacteurs du décret du 25 mars 2016 n’ont vraisemblablement pas imaginé que l’acheteur puisse volontairement décider d’y renoncer. Rappelons toutefois que l’article 30 lui-même aborde l’obligation de négocier, le cas échéant, avec l’ensemble des opérateurs désignés lauréats du concours.

L’application du droit européen

Pour autant, ce vide juridique du droit national ne saurait exonérer les acheteurs de l’obligation de notifier les décisions de rejets aux opérateurs consultés pour la passation d’un marché relevant de l’article 30 du décret et dont le montant estimé est d’un montant égal ou supérieur aux seuils européens.

En effet, l’article 55 de la directive 2014/24 [6] et l’article 75 de la directive 2014/25 [7] disposent, d’une manière générale, que « chaque candidat et chaque soumissionnaire » doit être tenu informé des décisions prises par l’acheteur à son égard. Cette information doit leur être délivrée spontanément lorsqu’il s’agit, notamment, de la décision de conclure le marché, ou sur demande préalable des intéressés pour ce qui concerne, entre autres, la motivation des décisions de rejet de leur candidature ou de leur offre. Ainsi, à la différence du droit national, le droit communautaire établit une équation entre la qualité de candidat ou de soumissionnaire et le droit d’être informé par l’acheteur des décisions prises à son sujet, sans considération du type de procédure à laquelle les opérateurs ont pris part.

Par conséquent, ce n’est pas tant sur le fondement de l’article 99 du décret qu’en vertu des dispositions susvisées des directives que, juridiquement, l’acheteur est tenu d’informer les opérateurs économiques qu’il a choisis de mettre en concurrence pour la passation des marchés d’un montant égal ou supérieur aux seuils européens dans les cas visés par l’article 30 du décret du 25 mars 2016.

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