POINT DE VUE Maîtrise d'oeuvre Jury et anonymat

-L'anonymat dans la procédure de concours de maîtrise d'oeuvre imposé par l'Europe va bouleverser la pratique française. -Mais la procédure négociée inscrite dans notre Code des marchés publics permet de concilier anonymat et dialogue.

Le a transposé en droit interne la relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de service. Il a bouleversé la pratique française du concours, en intégrant la notion d'anonymat.

Les textes

Le nouvel édicte : « Les prestations sont transmises de manière anonyme au jury. Celui-ci les analyse, en vérifie la conformité au règlement de la consultation du marché et en propose un classement fondé sur les critères d'appréciations, indiqués dans l'avis d'appel public à la concurrence. » Il faut relever que ce texte n'interdit pas dans sa lettre l'audition, il impose une transmission anonyme des prestations au jury. L'article 6 de la directive « Services » est plus explicite. Ce n'est pas le seul anonymat de la transmission au jury qui est visé, mais l'anonymat devant le jury puisque le texte précise que les projets sont présentés anonymement au jury.

Bien évidemment, le texte européen doit primer pour deux raisons :

en droit, un texte de transposition ne peut être contraire à un principe inclus dans une directive.

aucune logique n'existerait si un projet devait être seulement transmis de manière anonyme, cet anonymat pouvant ensuite être levé.

Anonymat et audition

Le principe d'anonymat est-il compatible avec une audition ? Non, et cela pour deux raisons :

Il est difficile d'imaginer qu'une ou plusieurs personnes puissent présenter un projet en taisant leur nom ou celui du cabinet qu'elles représentent. Difficile mais pas impossible. Certaines collectivités vont inventer la notion « d'audition anonyme » en interdisant aux intervenants toute parole permettant d'identifier leur nom ou le cabinet représenté. Nous restons sceptiques...

Si le principe d'anonymat interdit l'audition, ce que nous pensons, les membres d'un jury qui participeront à une telle audition des candidats pourraient voir leur responsabilité engagée sur le fondement de l' (délit de favoritisme) et, éventuellement, sur celui de l'article 226-13 du même Code (atteinte au secret professionnel). En effet, permettre la divulgation du nom de l'auteur d'un projet alors que cette dernière est prohibée doit être considérée comme un avantage injustifié contraire aux dispositions législatives et réglementaires visant à garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats. De plus, cette divulgation d'une information à caractère secret par un membre du jury doit être considérée comme une atteinte au secret professionnel.

Audition et négociation

Au-delà de la question juridique : « Peut-on ou non auditionner ? », il semble important de se poser une autre question : « Est-il opportun de le faire ? » Rappelons que la procédure de concours n'est pas une procédure de passation d'un marché. Elle permet à l'administration d'acquérir un ou plusieurs projets au sens de l'article 1 de la directive « Services ». Par la suite, et parce que concours il y a eu, l'administration peut mettre en oeuvre une procédure négociée avec le ou les lauréats dans le but de conclure un contrat. On sait que, selon l'article 103 du Code des marchés publics, la procédure négociée permet à la personne responsable du marché d'engager « librement les discussions qui lui paraissent utiles avec les candidats de son choix ».

Il ne nous semble pas opportun d'auditionner pour proposer un classement des prestations (esquisses ou APS) et formuler un avis sur le ou les lauréat(s). Mais il semble indispensable de négocier le contrat de maîtrise d'oeuvre et d'entendre ces lauréats après la réunion du jury. L'audition si chère au maître d'ouvrage va se déplacer plus en aval, après l'avis du jury. Cette « audition » s'appellera alors « négociation » mais, qu'importe, puisque la finalité (entendre les candidats) sera atteinte.

Changement de pratique

Les nouveaux textes ont modifié les règles du concours et de la passation des marchés de maîtrise d'oeuvre. Ils vont bouleverser le choix du maître d'oeuvre. En caricaturant, jusqu'à présent, le jury avait un pouvoir important. Son avis sur le « meilleur maître d'oeuvre » était souvent compris comme un « pré-choix » que suivait, presque automatiquement, l'administration (même si aucun texte ne l'imposait).

Dans la nouvelle pratique, le rôle du jury sera atténué. En effet, les négociations pour conclure le contrat (la nouvelle audition), auront lieu après l'avis du jury. Ces négociations sur les critères de choix d'un cocontractant (honoraires, temps passé en suivi de chantier, réponses architecturale et technique, adéquation avec l'enveloppe travaux...) entraîneront inévitablement une remise en cause du classement du jury qui se fait en pratique sur le seul critère de la réponse architecturale. Ainsi, le jury fait son classement, à titre principal, sur les choix architecturaux. Le choix du cocontractant se fait en tenant compte de l'avis du jury sur ce point mais aussi sur de nombreux autres critères.

En caricaturant encore, une commune pourrait justifier la conclusion d'un contrat avec l'auteur de la solution classée en dernière position par le jury en s'appuyant sur les conclusions des négociations : honoraires négociés avec ce maître d'oeuvre inférieurs, temps passé sur le chantier supérieur, meilleurs adéquation de la réponse avec l'enveloppe financière travaux, modification (sans être substantielle) de la réponse architecturale lors de la négociation, etc. L'anonymat et l'obligation de définir des critères clairs et non discriminatoires modifieront peu à peu les habitudes. A un choix subjectif quelquefois lié à la seule « image » d'un cabinet se substituera un choix plus objectif, sur de véritables compétences.

L'ESSENTIEL

»La réglementation européenne exige que la présentation des prestations au jury de maîtrise d'oeuvre soit faite d'une manière anonyme.

»Mais l'interdiction de l'audition des candidats par le jury laisse ouverte la possibilité pour le maître d'ouvrage d'une discussion dans le cadre de la procédure négociée lors de la passation du marché.

»Ce dispositif, en reportant en aval les discussions avec les candidats, atténue le rôle du jury.

POUR EN SAVOIR PLUS...

Ouvrage du Moniteur

Marchés de maîtrise d'oeuvre dans la construction publique, par Dominique Bouchon et Patrice Cossalter, 1996. 450 pp., 430 francs TTC.

Articles du Moniteur

« Concours, point de vue de Jean-Marie Galibourg », 21 août 1998, p.19.

« L'anonymat illusoire ? », 26 juin 1998, pp. 34 et 35.

« Ce qui change dans les concours », 3 avril 1998, pp. 28 et 29.

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