Les incertitudes qui subsistent sur le rôle de la commission Sapin sont essentiellement liées à l'utilisation, par le texte de loi, d'une terminologie ambiguë pour désigner l'autorité susceptible d'intervenir pour dresser les listes des candidats, dans la première étape de la procédure Sapin.
La notion de collectivité publique
L'article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales dispose : « la collectivité publique dresse la liste des candidats admis à présenter une offre » (voir encadré). Que faut-il entendre par « collectivité publique » ? S'agit-il de l'exécutif, de l'assemblée délibérante de la collectivité ou bien de la Commission ? Dans la pratique, les collectivités ont tendance à considérer que c'est à l'exécutif qu'il appartient de se prononcer sur les candidatures mais après avoir requis l'avis de la commission Sapin.
Cette interprétation a pour objectif d'éviter toute critique qui pourrait être faite sur le caractère arbitraire de cette décision prise par une seule personne.
L'interprétation selon laquelle l'intervention de la commission ne serait obligatoire qu'au stade du dépouillement des offres semble en voie de l'emporter. Tout d'abord, il convient de rappeler que la commission Sapin, contrairement à la commission d'appel d'offres en matière de marchés publics, n'a pas de pouvoir de décision. Or, dresser la liste des candidats admis à déposer une offre correspond bien à l'exercice d'un pouvoir de décision. Ce n'est donc pas à la commission qu'il appartient de dresser la liste des candidats admis à déposer une offre.
Cette interprétation résulte implicitement et tout d'abord d'un avis du Conseil d'Etat (section de l'intérieur) en date du 4 avril 1995 (EDCE 1995 n°47, p. 714) qui ne mentionne qu'une seule fois l'avis de la commission. Peu de décisions de jurisprudence se sont prononcées sur cette question. Il semble qu'une ordonnance du 18 avril 1997, (Société française de restauration et services, Req. 971393) rendue par le président du tribunal administratif de Nice confirme cette analyse.
De même, en ce qui concerne maintenant l'interprétation qu'il convient de donner au mot « la collectivité publique » figurant dans le deuxième alinéa de l'article L.1411-1, il peut s'agir soit de l'assemblée délibérante, soit de l'exécutif.
Diverses interprétations
Les travaux préparatoires de la loi (AN de 1941-8, p. 116) semblent considérer que la commission intervient seulement au stade de l'analyse des offres :
« La collectivité dressera la liste des candidats admis à présenter une offre, et adressera à chacun des candidats ainsi retenus le cahier des charges. Ce n'est qu'après ce stade qu'interviendra la commission. Autrement dit, après examen des candidatures par l'assemblée délibérante, les candidats retenus présenteront des offres qui seront examinées par la commission composée à la proportionnelle. »
Mais cette interprétation est démentie par la doctrine, et même par la jurisprudence.
Une réponse du ministre de l'Economie (publiée au JO du 2 février 95, débats Sénat) de l'époque résout l'ambiguïté apparente du texte de la en précisant que l'objectif de transparence recherché, ainsi que le respect des règles qui régissent la répartition des compétences entre les diverses autorités d'une même collectivité, commande de considérer que « la commission est appelée à être consultée deux fois, une première fois au stade de la procédure d'examen des candidatures, et une seconde fois au stade de la procédure d'examen des offres. C'est à l'autorité exécutive habilitée à signer la convention de délégation du service public que revient la responsabilité d'arrêter la liste des candidats et d'engager les discussions utiles avec ceux-ci ».
La jurisprudence semble, quant à elle, reconnaître un vrai pouvoir de décision à la commission car elle a admis « qu'en confiant le soin à la commission d'ouverture des plis de dresser la liste des candidats admis à présenter une offre, alors qu'aucun texte exprès n'y fait obstacle, le syndicat défendeur doit être regardé comme n'ayant pas, de ce fait, méconnu les règles de transparence qui inspirent la réglementation» (ordonnance du 13 avril 1995 TA Nice, Syndicat Intercommunal pour la revalorisation des déchets du secteur Cannes-Grasse no95-922).
De même, dans une affaire plus récente, la cour administrative d'appel de Paris (25 juillet 1997, Compagnie guadeloupéenne de transports scolaires et autres, req. no95 PA 03535) a admis que la commission avait décidé de sélectionner l'ensemble des candidats ayant répondu à «l'appel d'offres» et donc n'a pas sanctionné le pouvoir de décision octroyé à cette commission par le conseil général de la Guadeloupe.
Pourtant, une interprétation littérale du texte commande de considérer que la commission ne dispose d'aucun pouvoir de décision, son rôle se limitant à une aide à la décision de l'exécutif dans le choix des entreprises avec lesquelles celui-ci va engager les discussions utiles, puis de l'assemblée délibérante dans le choix du délégataire et l'approbation du contrat de délégation.
La commission n'est pas un organe de droit commun de la collectivité. D'ailleurs, aucune disposition législative ne l'habilite à exercer un pouvoir de décision. En outre, chaque fois que le législateur de 1993 a prévu son intervention, il l'a désignée en employant la terminologie «la commission» . Selon une interprétation littérale de la , la commission ne dispose d'aucun pouvoir de décision, et n'est donc pas habilitée à dresser la liste des candidats admis à déposer une offre. En outre, le respect des objectifs de transparence recherchés par le législateur incite à conseiller à l'exécutif de consulter la commission pour requérir son avis avant de se prononcer sur les candidatures.
En ce qui concerne le rôle de la commission Sapin, l'ordonnance précitée rendue par le tribunal administratif de Nice pourrait apporter un éclairage intéressant, en admettant que la commission peut auditionner les candidats (ce qui n'est pas prévu dans le texte de loi) et également qu'après l'ouverture des plis contenant les offres, l'autorité publique habilitée à signer la convention peut recueillir l'avis de la commission au cours des discussions avec les candidats (ce qui n'est pas non plus prévu par le texte de loi).
En effet, on doit pouvoir considérer que la commission n'ayant aucun pouvoir de décision, l'exécutif doit pouvoir requérir son avis et son simple avis, l'intervention de la commission, c'est-à-dire d'un organe collégial, visant alors à éviter tout arbitraire ou tout caractère discrétionnaire à la décision de l'exécutif.
La prudence commande de considérer que c'est à l'assemblée délibérante qu'il appartient, lors de la séance au cours de laquelle elle se prononce sur le principe de la délégation de service public, de décider du rôle qu'elle entend faire jouer à la commission tout au long de la procédure et dans le respect du texte de la loi, c'est-à-dire en ne lui reconnaissant pas un pouvoir de décision qui ne lui est pas accordé par le texte.
Participation de personnalités compétentes
Concernant la composition de la commission Sapin (voir encadré), la question se pose de savoir si, comme en matière de marchés publics, des personnalités extérieures, reconnues pour leurs compétences, peuvent participer aux travaux de la commission. Par exemple, il peut s'agir des membres des services techniques de la collectivité ou des bureaux d'études qui analysé les offres dans leurs aspects juridiques, techniques et financiers pour le compte et à la demande de la ville. La présence de ces personnalités, dites compétentes, n'étant pas prévue dans le texte, la prudence commande de distinguer entre les réunions d'information de la commission Sapin et les réunions (ou les séances) où elle est amenée à délibérer.
La pratique révèle l'opportunité qu'il y a à ne pas écarter ces personnalités dites compétentes en raison de leur connaissance des dossiers sous tous leurs aspects techniques, juridiques et financiers, cela dans le souci de permettre à la commission de prendre la décision la meilleure et la plus égalitaire possible.
Toutefois, cette présence n'étant pas prévue explicitement par les textes, il convient de la réserver aux réunions ou aux séances informatives, et de demander à ces personnalités compétentes de se retirer au moment où la commission délibère.
Il en est de même de l'audition des candidats, qui n'est pas non plus prévue par le texte de loi mais peut se révéler très opportune.
L'ESSENTIEL
»Les ambiguïtés sur le rôle de la commission instituée par la , amplifiées par les positions contradictoires de la doctrine, de la jurisprudence et de l'administration, constituent de véritables sources d'insécurité juridique.
»Selon une interprétation littérale de la , la commission Sapin ne dispose d'aucun pouvoir de décision. Son rôle se limite à une aide à la décision de l'exécutif dans le choix des entreprises avec lesquelles il va engager des discussions utiles.
»La prudence commande de considérer que c'est à l'assemblée délibérante qu'il revient de décider du rôle qu'elle entend faire jouer à la commission tout au long de la procédure.