« On ne va pas faire de Bordeaux un champ de maïs ! » Didier Jeanjean, adjoint au maire (EELV) chargé de la nature en ville et des quartiers apaisés, ne fera pas de miracle. Verdir l'espace public dans une métropole où le foncier est rare, donc cher, est une entreprise forcément limitée dans l'espace. Mais l'urgence est là. Bordeaux est une ville très minérale : l'été, certaines places - dont celle de la mairie - sont étouffantes. Si l'heure est encore au diagnostic et à l'étude des sous-sols, certaines grandes lignes de la stratégie municipale se dessinent.
A Marseille, dirigée par le Printemps marseillais (Union des gauches), la stratégie mûrit aussi. Mathilde Chaboche, l'adjointe à l'urbanisme et au développement harmonieux de la ville, prône la politique des « petits pas de fourmi » pour ce qui reste une commune « puzzle, très contrastée ». La priorité, annoncée dès les premiers jours de la campagne de Michèle Rubirola (ex-EELV), désormais maire, est de redonner à la cité phocéenne sa couronne rurale. « Nous devons construire la ville en densité. Marseille a été très tentée par l'étalement urbain, la priorité va être de préserver ces lieux naturels de respiration », expliquait encore en juillet Mathilde Chaboche. La garrigue commence à une quinzaine de kilomètres du centre-ville, les calanques restent protégées. Mais son cœur, lui, est minéral.
Des parcs hors de portée financière. Pendant la campagne municipale, beaucoup de promesses ont été faites : la végétalisation des rues piétonnes, en particulier la Canebière, des microforêts urbaines, des toits végétalisés - pourquoi pas celui de la Cité radieuse… Rien n'a, pour le moment, été lancé. L'hiver dernier, le groupe EELV marseillais avait promis pas moins de 100 nouveaux parcs en dix ans. « A moins de lancer un plan Marshall, les métropoles ne pourront plus jamais créer de parcs de plusieurs hectares, c'est devenu hors de portée financière », affirme Sonia Lavadinho, experte en développement territorial (lire ci-dessous) . Certes, le plan de relance de 30 Mds € dédiés à la transition écologique - qui inclut le milliard vert, promis en avril, pour soutenir l'investissement local - permettra de faire avancer des centaines de dossiers. Mais cela ne suffira pas : outre le foncier qui est indisponible, lancer des expropriations pour recréer ces espaces verts coûterait trop cher et pourrait même être impopulaire.
Les villes moyennes, en revanche, disposent de deux sérieux atouts : de l'espace et des prix abordables. A Albi (Tarn), on trouve un parc ou un jardin à moins de dix minutes de chez n'importe quel habitant. Mais Stéphanie Guiraud-Chaumeil, la maire (DVD) réélue en juin, voulait un poumon central. Dans ce but, elle a lancé en 2017 l'aménagement de la base de loisirs de Pratgraussals, dans un bras du Tarn, comprenant, entre autres, un verger participatif. La cité cathare n'est pas une exception : en 2020, Beauvais (Oise) a elle aussi annoncé la création d'un parc urbain, tout comme La Capelle (Aisne), Le Havre (Seine-Maritime), Orchies (Nord) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique). Niort (Deux-Sèvres) conserve une longueur d'avance : elle a inauguré en septembre Port Boinot, une ancienne friche industrielle de plus de 2 ha devenue parc naturel urbain.
Une transition visible. « L'envie de verdure des Français s'accélère, confirme Caroline Cayeux, présidente de l'Association des Villes de France et maire de Beauvais. Les villes moyennes l'ont compris. Cet environnement protégé est ce qui fonde leur identité et les rend attractives. » Pourtant, les échanges de bonnes pratiques sont rares entre communes… A la tête de Niort, Jérôme Baloge (Parti radical), réélu en juin, formule un conseil pour les nouveaux maires : « Pour que la transition écologique soit admise, elle doit être visible. Un bilan carbone, c'est abstrait. Une ville verte et fraîche, ça emporte l'adhésion ». Sa commune pratique ainsi l'engazonnage des cours d'école, l'ensauvagement des espaces verts, parfois laissés en prairie et fauchés tardivement, les arbres plantés en pleine terre…
Albi fait aussi figure de pionnière. « Nous avons des jachères fleuries, nous pratiquons le fauchage tardif et l'écopâturage avec des moutons, nous entretenons des haies champêtres, des groseilliers sur les giratoires et des potagers dans les écoles… », énumère Stéphanie Guiraud-Chaumeil. Des arbres sont plantés tous les ans, sans objectif chiffré : « Nous portons notre choix sur des espèces adaptées et nous posons des sondes pour contrôler leurs besoins en eau. Et des collerettes permettent à l'eau de s'écouler en profondeur », précise l'élue. En 2020, l'agglomération est devenue son propre producteur et distributeur d'eau potable pour maîtriser la ressource. Etonnamment, le coût global du verdissement des villes n'est jamais calculé avec précision : « Il y a le coût des agents municipaux, bien sûr. Quant aux investissements, ce sont des dépenses transverses qui dépendent de plusieurs budgets… », explique Caroline Cayeux.
Des PLU pour quinze ans. Si les maires ont la main sur l'espace public, ils s'accordent plus difficilement avec le privé. Certes, Nexity a annoncé que 100 % de ses nouveaux programmes disposeraient d'extérieurs, soit communs, soit privatifs, y compris les bureaux. Mais les promoteurs sont sceptiques. Le millefeuille territorial rend les plans lents et compliqués, certains points relèvent de la région, d'autres du département, ou encore de l'intercommunalité ou de la commune seule. « Faire rentrer la nature dans la ville, c'est quinze ans de travail, à condition que la municipalité, le département et la région soient tous d'accord et ne lâchent rien », prévient Marc Villand, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Ile-de-France, Or, les PLU sont remaniés après chaque élection. Il faudrait que l'on se mette d'accord sur des plans à long terme, inamovibles. » Marc Villand pointe toutes les failles : « Nous sommes d'accord pour mettre en œuvre des mesures environnementales audacieuses, qu'il s'agisse de toits végétalisés avec 40 cm de terre, de murs végétaux, ou de l'utilisation de matériaux biosourcés, mais il faut abandonner dans les PLU les dispositions qui peuvent induire des contre-performances, comme compter les balcons et terrasses dans l'emprise au sol, imposer un référentiel architectural du passé, empiler les normes contradictoires. » Il regrette l'absence de vision pour l'île Seguin, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) : « Collectivement, nous avons laissé passer l'opportunité d'y créer une réserve naturelle, façon Porquerolles, que l'on aurait pu compenser en densifiant le quartier adjacent. » Il rappelle en effet que pour lutter contre l'étalement urbain horizontal, il faut monter à la verticale. Et conclut : « Nous n'avons plus le temps d'être conservateur : si nous ne voulons pas payer notre inaction dans vingt-cinq ans, nous n'avons le choix que de l'audace. »