Plateau de Saclay : les eaux jaunes recyclées à l'échelle d'un quartier

Dans la ZAC de Corbeville, le chantier de l'urinoduc débute. Plus de 3 100 logements devraient participer au dispositif de collecte en vue de produire 670 m3 d'engrais par an.

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Réseau de collecte des urines de Paris-Saclay

Si des expérimentations de collecte séparative des urines existent déjà à l'échelle de bâtiments, aucune n'a encore été menée sur le périmètre d'un quartier en Ile-de-France, voire au niveau national. C'est pourquoi avec Paris & Métropole Aménagement (P&MA) dans la ZAC Saint-Vincent-de-Paul à Paris XIVe (lire encadré), l'EPA Paris Saclay (Epaps) fait figure de pionnier. Lauréat en 2022 du programme « Démonstrateurs de la ville durable », l'aménageur s'apprête à déployer cette innovation dans la ZAC de Corbeville (architecte-coordonnateur : uapS) en vue de produire des engrais qui seront vendus aux agriculteurs du plateau de Saclay. A cheval sur les communes d'Orsay et Saclay (Essonne), ce quartier de 94 ha comprendra 3 600 logements (50 % familiaux, 50 % étudiants), des locaux dédiés à l'activité économique et à l'enseignement supérieur… soit 414 000 m2 SP au total.

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Dans la ZAC de Corbeville, quelque 1 600 logements familiaux et 1 500 lits étudiants pourraient être raccordés au réseau de collecte des urines.© EPA Paris-Saclay

Après deux années de réflexions menées avec le même groupement d'AMO que celui de la SPL parisienne - les bureaux d'études Evoloop et Tilia et la designeuse-accompagnatrice au changement d'usage Louise Raguet -, le dispositif entre en phase opérationnelle avec le lancement des travaux du réseau public de collecte des urines - l'urinoduc - dans le secteur Terrasse de la ZAC. Concrètement, les logements seront équipés de toilettes séparatives qui recueilleront les eaux jaunes d'un côté, les matières fécales de l'autre (voir schéma) , celles-ci étant ensuite évacuées par des canalisations séparées. Au pied des bâtiments, le réseau séparatif des urines se connectera à l'urinoduc, lui-même relié à l'unité de traitement que l'EPA construira sur le site et exploitera dans un premier temps.

Nitrification, filtration, distillation. Pour que les urines deviennent un fertilisant, « nous nous sommes inspirés des études menées par P&MA et du processus mis au point par l'entreprise suisse Vuna et déjà en fonctionnement au siège de l'Agence spatiale européenne à Paris XVe », explique Louis Gaucher, chef de projets construction et ville durable à l'Epaps. Schématiquement, le procédé se déroule en trois phases : d'abord la nitrification, c'est-à-dire la transformation en nitrates des composés azotés organiques ; puis la filtration par charbon actif notamment pour éliminer les résidus pharmaceutiques ; et la distillation pour séparer l'engrais de l'eau. Cette dernière étape étant énergivore, les immeubles de bureaux pourraient être dotés d'urinoirs secs (sans chasse d'eau) « afin de maximiser la collecte d'urine dite brute, c'est-à-dire la moins diluée possible », poursuit Louis Gaucher.

La quasi-totalité des bâtiments du quartier de Corbeville devraient intégrer le dispositif à l'exception de ceux du secteur H, « car celui-ci a commencé avant afin de respecter le calendrier d'ouverture de l'hôpital en juin dernier », indique Clément Guzman, directeur de projet. Quelque 1 600 logements familiaux et 1 500 lits étudiants pourraient être raccordés. En incluant un secteur du quartier voisin de Moulon, 20 000 usagers pourraient être concernés, soit 10 000 m3 d'urines traitées par an et 670 m3 d'engrais produits, correspondant à l'épandage de 185 ha de terres à raison de trois passages par an. « Notre ambition est de structurer une filière avec la construction d'un modèle économique. Ce point nous différencie de Saint-Vincent de Paul : avec son aménageur, la Ville de Paris a choisi d'utiliser les engrais pour ses parcs et jardins », souligne Louis Gaucher.

Des aides pour atténuer le surcoût. L'EPA a estimé le surcoût induit par la gestion séparative pour les opérateurs immobiliers : environ 15 000-16 000 euros pour un programme de bureaux d'une capacité de 300 personnes en R+ 4 et 40 000 euros pour un immeuble de 70 logements en R + 6. « L'agence de l'eau Seine-Normandie subventionne ce surcoût : jusqu'à 40 % pour les promoteurs et 80 % pour les bailleurs sociaux », précise Clément Guzman. Quant à l'EPA, qui devrait investir 1 M€ dans l'urinoduc et de 4 à 9 M€ dans la station de traitement, il bénéficiera du soutien de la Banque des territoires à hauteur de 40 %.

Les premiers logements du secteur Terrasse devraient être livrés en 2028. « Il nous reste encore un peu de temps pour peaufiner le système, en particulier dimensionner l'unité de traitement, et poursuivre les discussions avec les agriculteurs du plateau. Le dispositif montera en puissance au fur et à mesure de l'aménagement des différents secteurs du quartier de Corbeville », conclut Louis Gaucher.

Paris : à Saint-Vincent-de-Paul, P&MA joue les défricheurs

Dans le XIVe arrondissement, le quartier Saint-Vincent-de-Paul, qui regroupera notamment 600 logements (40 200 m2 sur 59 000 m2 SP au total) sort de terre. La construction des deux premiers lots - Chaufferie qui abritera en sous-sol l'unité de traitement des urines et Petit - a démarré en juin dernier, sous maîtrise d'ouvrage respective de Paris Habitat et de la RIVP. Si, comme le souligne Nicolas Mouyon, directeur de la maîtrise d'ouvrage à Paris Habitat, « la collecte séparative des urines ne pose pas de problème particulier en termes de conception des immeubles », les opérateurs doivent néanmoins respecter des prescriptions techniques : éviter les canalisations horizontales (pente de 3 % minimum), proscrire les coudes à 90°, prévoir des sections transparentes et des tés de visite… Le choix s'est par ailleurs porté sur un modèle de WC suspendu. « Cela rompt avec la pratique des bailleurs sociaux qui préfèrent les sanitaires posés au sol, plus résistants et moins coûteux », note Emmanuelle Guillaume, cheffe de projets immobiliers à la RIVP. S'agissant du réseau public de collecte réalisé en 2022, « il est majoritairement gravitaire. Situé dans le point bas du quartier, le bâtiment Pinard [dédié aux équipements publics, NDLR], dispose d'une pompe de relavage et d'un système de refoulement », décrit Julie Ginesty, responsable ville durable à P&MA, l'aménageur de la ZAC (architecte-urbaniste : Anyoji-Beltrando). A ce stade, P&MA évalue à environ 1 M€ le surcoût induit par la gestion séparative, qui inclut l'unité de traitement ainsi que les réseaux public et privatifs. Ce dispositif devrait permettre de recueillir 2 000 l d'urines par jour, générant 54 m3 d'engrais par an. « La Ville de Paris devrait lancer l'appel d'offres pour le choix du process industriel mi-2025. Nous devons être prêts fin 2026 pour la livraison des premiers logements », ajoute Julie Ginesty.

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Quelle appropriation du dispositif par les usagers ?

Outre le débouché, l'autre grand enjeu de la collecte séparative des urines réside dans l'appropriation du dispositif par les usagers. Pour l'entretien des sanitaires, les habitants devront en effet uniquement utiliser de l'acide citrique et du vinaigre blanc mais surtout pas de biocides (javel…) qui tuent les bactéries nécessaires à la transformation des eaux jaunes en engrais. Au cas où, dans un même immeuble, les consignes seraient mal respectées, un système de by-pass permettra de le déconnecter de l'urinoduc en réorientant les urines vers le réseau des eaux usées. Il est aussi conseillé d'uriner assis pour maximiser la collecte. Aménageurs, bailleurs sociaux, promoteurs… réfléchissent déjà à la manière de sensibiliser les futurs occupants à ces nouvelles pratiques.

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