Il est assez frappant de constater l'évolution des dispositions du Code de l'urbanisme relatives aux dérogations, que l'on trouve aux articles L. 152-3 et suivants.
Alors que les dérogations étaient traditionnellement considérées comme devant être exceptionnelles - pour répondre à des situations particulières -et faisaient l'objet d'un contrôle poussé du juge (CE, Assemblée, 18 juillet 1973, ville de Limoges, Avis nº 86275), il existe désormais une multitude d'hypothèses dans lesquelles l'autorité compétente peut déroger aux règles du plan local d'urbanisme (PLU).
Certes, l'article L. 152-3 limite toujours, en théorie, le champ des dérogations en indiquant que « les règles et servitudes définies par un plan local d'urbanisme ne peuvent faire l'objet d'aucune autre dérogation que celles prévues par les dispositions de la présente sous-section », mais la sous-section en cause n'a cessé de se développer si bien que l'on peut considérer que les règles du PLU ne constituent plus nécessairement la limite de ce qu'il est possible de construire.
Le PLU et au-delà
Les objectifs poursuivis par ces dérogations sont divers : la protection de l'environnement (article L. 152-5-2), la lutte contre la consommation énergétique (article L. 152-5), la réalisation de logements, notamment sociaux (article L. 152-6), la lutte contre l'artificialisation des sols (article L. 152-6-2) ou encore la revitalisation de certaines zones du territoire (article L. 152-6-4).
Le dispositif est toujours le même. Dès que le projet répond à un de ces objectifs, des bonus de constructibilité sont susceptibles d'être octroyés aux règles de gabarit, de hauteur, de densité ou des contraintes sont allégées qui permettent de fortement diminuer le coût du projet.
C'est notamment le cas des contraintes en matière de places de stationnement qui peuvent être totalement levées dans certains cas ( pour la réalisation de logements, article L. 152-6-2 du même code s'agissant de l'utilisation de friches et L. 152-6-4 du Code de l'environnement pour les projets permettant de contribuer à la revitalisation du territoire).
Cette évolution soulève, au moins, deux séries de questions.
La dérogation accordée par une décision motivée face à des textes d'une précision variable
La première concerne la marge de manœuvre dont dispose l'autorité compétente pour délivrer les dérogations.
Il est systématiquement prévu que la délivrance d'une dérogation doit se faire par une décision motivée. Cela exclut toute possibilité de dérogation tacite, mais laisse ouverte la question de savoir si l'autorité compétente est totalement libre de délivrer ou de refuser une dérogation.
Les différents articles du Code de l'urbanisme relatifs aux dérogations indiquent que l'autorité compétente « peut » autoriser une construction à déroger à telle ou telle règle.
Toutefois, dans certains cas, les dispositions législatives sont d'une grande imprécision : c'est notamment le cas des dérogations prévues à l', lequel est applicable dans les zones tendues et vise à favoriser la réalisation de logements, et qui ne fait référence qu'aux éléments suivants : « en tenant compte de la nature du projet et de la zone d'implantation ».
À l'inverse, d'autres dispositions sont très précises. Ainsi, l'article L. 152-5 du même code relatif à la dérogation pour favoriser l'isolation des bâtiments, complété des dispositions réglementaires fixées aux articles R. 152-5 et suivants, limite à la fois le type de dispositifs d'isolation, les bâtiments concernés et l'ampleur des dérogations susceptibles d'être octroyées.
Il est même possible de se demander, au regard de l'importance de l'isolation pour réduire la consommation énergétique et de la précision des textes applicables, si l'octroi des dérogations remplissant les conditions prévues par le code ne devrait pas être de droit.
Il appartiendra donc au juge de se prononcer sur le contrôle qu'il entend opérer non seulement sur l'octroi des dérogations, mais aussi sur le refus de telles dérogations, qui peut conduire à bloquer ou à surenchérir considérablement un projet.
L'autre série de questions porte sur l'incidence de ces dérogations sur la règle d'urbanisme et plus précisément sur la manière de concevoir et d'appliquer les plans locaux d'urbanisme.
Il n'est jamais satisfaisant qu'une règle doive être contournée, quelles qu'en soient les raisons. Les dérogations offrent des flexibilités pour répondre à des objectifs d'intérêt général, mais elles sont aussi sources d'insécurité juridique pour les opérateurs Elles illustrent surtout le fait que la règle d'urbanisme est sans doute devenue trop complexe, trop uniforme et trop rigide pour répondre aux besoins d'une planification moderne de l'usage des sols.