Penser l'économie foncière : un réflexe pour l'EpaMarne-EpaFrance

Dans notre imaginaire collectif, la ville nouvelle évoque les années 1960-70, une époque durant laquelle l'aménagement du territoire était centré sur la voiture, l'autoroute et les pavillons de banlieue. C'est à cette époque que les établissements d'aménagement EpaMarne-EpaFrance sont nés. Fort d'une réserve foncière, constituée pour la plupart d'anciennes terres agricoles, cet organisme public pourrait appréhender l'objectif « zéro artificialisation nette » avec crainte. Mais il n'a pas attendu la loi Climat et Résilience pour réfléchir à cette question. Laurent Girometti, directeur général d'EpaMarne-EpaFrance détaille la philosophie de la structure sur la gestion de son foncier.

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En tant qu'aménageur de villes nouvelles, fondées dans les années 1970, êtes-vous engagé dans une démarche de densification ?

Laurent Girometti (LG) : L'établissement public d'aménagement de Marne-la-Vallée (EpaMarne) naît en 1972 d'une volonté de l'État de développer la région parisienne vers l'est, dans le cadre du développement des villes nouvelles. Il est alors chargé d'intervenir sur un territoire couvrant 21 communes sur 3 départements : la Seine-et-Marne, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne.

Le projet prend un nouvel élan avec le développement de Val de Bussy dès 1985 et surtout la création en mars 1987 d'EpaFrance, spécifiquement chargé de l'aménagement du Val d'Europe autour du projet de Disneyland Paris.

En pratique, nous avons acquis, lors de notre création, une grosse réserve foncière, à partir de terres agricoles, pour construire et aménager ces villes nouvelles. Dès l'origine, une attention particulière a été portée aux coupures vertes et à la gestion de l'eau.

Mais en plus de 30 ans, comme vous vous en doutez, la façon de penser une ville et d'aménager le territoire a beaucoup évolué.

Dès le début des années 2000, nous nous sommes emparés du sujet de la densification et de la consommation raisonnée de foncier, notamment en repensant le plan guide autour des pôles gares. À l'arrivée de la gare Serris-Montevrain-Val d'Europe sur la ligne du RER A, en 2001, le secteur avait une densité à l'hectare très faible. Nous l'avons donc repensé pour densifier et épargner le sol. Actuellement, nous menons des réflexions similaires en lien avec le développement des transports du Grand Paris express. Nos projets moins consommateurs de foncier permettent de réimplanter une activité agricole.

Nous sommes également engagés sur des projets impliquant des reconversions de friches ou de renouvellement urbain.

L'entrée en vigueur prochaine de l'objectif « zéro artificialisation nette » (ZAN) va-t-elle mettre à mal vos projets ?

Laurent Girometti : Il ne faut pas confondre la notion d'étalement urbain visée par l'objectif ZAN crée par la loi Climat et Résilience, et la réalisation d'opérations coordonnées en cohérence avec les transports. Faire une ville nouvelle n'est pas de l'étalement urbain, car le projet est piloté et pensé. Chaque projet est inscrit dans une vision d'ensemble, prospective et ambitieuse.

Depuis 20 ans, nous avons engagé une réflexion sur notre consommation de foncier et la densification.

Ces notions sont intégrées dans nos projets. Quand nous pilotons une ZAC de 30 hectares, cela ne signifie pas 30 hectares d'artificialisation.

Cette démarche nous a permis de libérer plusieurs hectares que les plans guide destinaient à l'urbanisation. Ces espaces épargnés sont utilisés pour faire des espaces récréatifs ou rendus à l'agriculture. C'est ainsi 100 hectares qui font ou feront l'objet de baux ruraux pour des activités de maraîchage.

À quel stade de la réflexion est le territoire au regard du calendrier de mise en œuvre du ZAN ?

Laurent Girometti : L'objectif national d'absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, comme prévu par les dispositions de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021 dans leurs versions applicables à date, doit être intégré dans les documents de planification régionale (En Ile-de-France, dans le SDRIF) pour ensuite être décliné dans les documents locaux d'urbanisme.

Compte tenu de la spécificité de son territoire et notamment des opérations d'urbanisme d'ampleur en cours de réalisation, certaines étant reconnues d'intérêt national, la Région Ile-de-France est habilitée, à travers le SDRIF, à fixer sa propre trajectoire de réduction de la consommation foncière et d'artificialisation des sols.

Parmi les orientations phares du schéma directeur de la région Île-de-France environnemental (SRDIF-e) on retrouve l'optimisation des espaces déjà urbanisés, la limitation de l'étalement urbain.

Ainsi c'est 13 % du territoire francilien et la quasi-totalité des espaces verts qui sont sanctuarisés.

La protection des espaces naturels et agricoles est également prise en compte avec 38 000 hectares d'espaces agricoles et 160 00 hectares d'espaces de nature préservés de toute urbanisation.

L'autre volet de mesures phares du SDRIF-e est l'intégration plus stricte des enjeux environnementaux dans les décisions d'aménagement. Les projets immobiliers, notamment ceux impliquant des surfaces importantes, devront respecter des critères plus rigoureux en matière de réduction des émissions de CO², de gestion des eaux pluviales et de biodiversité. De même, le schéma impose de nouvelles contraintes en termes de préservation des terres agricoles et des espaces verts, limitant ainsi les possibilités d'urbanisation dans certaines zones.

Ce nouveau schéma, adopté le 11 septembre 2024 par les élus du Conseil régional, ne tourne cependant pas le dos aux villes nouvelles en tant qu'opérations pilotées et coordonnées avec les pôles de transport. Ce document, dont l'approbation par décret devrait intervenir prochainement, prévoit trois champs d'action sur notre territoire : - La poursuite des opérations de villes nouvelles avec la recherche de densification (les secteurs d'aménagement en cours à l'initiative d'EpaMarne-EpaFrance ayant été par ailleurs intégrés par l'Etat aux Projets d'envergure nationale ou européenne (PENE)), - L'achèvement des opérations de développement, - La densification dans d'autres secteurs.

Au-delà de la remise en culture d'espaces, quelle place tient la réhabilitation dans vos projets ?

Laurent Girometti : Comme l'ensemble des acteurs nous sommes engagés dans la réhabilitation des friches. Par exemple, nous avons mené l'une des plus importantes opérations de dépollution des sols d'Île-de-France dans la ZAC Marne Europe située à Villiers-sur-Marne. Ce projet d'envergure vise l'aménagement d'un nouveau quartier urbain mixte et dense en accompagnement de l'ouverture de la gare Villiers-Champigny-Bry qui sera desservie par la ligne 15 du métro du Grand Paris Express. Le projet prévoit 1 249 logements et 96 675 m² de locaux d'activités.

Le foncier d'accueil est une friche constituée suite à l'abandon dans les années 1980 d'une troisième rocade parisienne. À Villiers-sur-Marne, un golf provisoire est d'abord installé en 2005 pour occuper la friche et les importants remblais générés par le projet avorté. Mais nous nous sommes aperçus que le practice était posé sur une couche de 12 m de déchets d'amiante, qui ont dû être excavés. Nous avons donc fait appel à une entreprise spécialisée afin de traiter les 160 000 m³ de terres amiantées.

Pouvez-vous décrire vos réflexions sur la détention foncière ?

Laurent Girometti : Du fait de la raréfaction inéluctable des fonciers nouvellement urbanisés, nous réfléchissons à des baux de nouvelles teneurs pour faciliter leurs évolutions ultérieures. Ce nouveau système de détention foncière permettrait à la sphère publique de garder un lien avec le foncier. Un peu à la façon d'un port ou d'un aéroport, le preneur aurait des droits réels mais in fine la propriété du foncier serait conservée par un acteur public.

Nous réfléchissons à une logique similaire à celle du bail réel solidaire (BRS), permettant à des ménages modestes d'accéder à la propriété. Des critères environnementaux pourraient remplacer les critères sociaux propres au BRS, avec l'objectif que d'éventuelles aides publiques soient inscrites de manière pérenne dans le prix du foncier.

En effet, une difficulté que peuvent rencontrer les mécanismes du type "Baux à construction" réside dans la concurrence avec des montages plus classiques. Nous cherchons à ce que chaque partie prenante s'y retrouve.

Quelques chiffres :

EpaMarne et EpaFrance interviennent sur un territoire de 44 communes des départements de Seine-et-Marne, du Val-de-Marne et de Seine-Saint-Denis, qui rassemble 625 000 habitants et compte 220 000 emplois et 46 000 entreprises. Son territoire est en partie couvert par trois opérations d'intérêt national (OIN) et se structure en quatre secteurs, dont trois relèvent de l'EpaMarne, le quatrième de l'EPA France.

Les principales villes sont Noisy-le-Grand et Champigny-sur-Marne pour le secteur 1, Noisiel, Lognes et Ponteau-Combault pour le secteur 2, Bussy-Saint-Georges pour le secteur 3. Le secteur 4 compte comme pôle d'activité majeur les parcs Disneyland Paris.

Selon le rapport de la Cour des comptes, délibéré le 31 mai 2024, plus de 4 104 hectares gérés par l'établissement public.

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