Patrimoine public De la cession à la gestion optimisée

Les personnes publiques, propriétaires d’immeubles ou d’équipements publics hérités, notamment dans le cadre de la décentralisation, sont souvent désarmées lorsqu’il s’agit de les céder ou de valoriser leur gestion. Pourtant, elles disposent désormais de montages juridiques innovants permettantde tirer profit de techniques réservées jusqu’ici à la sphère privée.

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Depuis quelques années, des mesures ont été prises pour assouplir les règles de la domanialité publique et de la commande publique, jusqu’ici particulièrement contraignantes. Les personnes publiques ont à leur disposition une panoplie d’outils juridico-financiers leur permettant de s’orienter vers la cession du patrimoine public ou une optimisation de sa gestion.

Cession

Lorsqu’une personne publique souhaite vendre un immeuble à un opérateur, elle doit prendre en compte un certain nombre de règles qui affectent la valorisation du bien. Ces règles concernent l’affectation des locaux, la sortie du domaine public ainsi que les conditions de cession.

Dérogation à l’obligation d’affecter les locaux administratifs à l’habitation

L’article L.631-7 du Code de la construction et de l’habitation établissait une véritable présomption d’affectation à usage d’habitation des immeubles urbains. L’affectation à un usage autre que celui d’habitation d’un immeuble urbain doit donc être démontrée. Cette démonstration ne peut être fondée que sur l’une des quatre preuves suivantes : la situation de l’immeuble au 1er septembre 1948 ; le permis de construire ; le changement d’affectation autorisé avant 1986 ou l’usage commercial continu et trentenaire.

De manière générale, la résolution de cette question nécessite de rechercher, pour chacun des locaux composant un ensemble immobilier, leur affectation spécifique. Or, dans le cas du patrimoine public, les informations nécessaires à l’identification de l’affectation font souvent défaut. En l’absence de documents, il n’est donc possible de qualifier les locaux qu’au regard des définitions utilisées par l’administration ou la doctrine. S’agissant d’immeubles abritant des services administratifs, il est possible de considérer que l’activité principale développée dans ces locaux ne constitue a priori ni un usage commercial, ni un usage professionnel, mais plutôt un usage administratif. Une fois établie la preuve de l’affectation de locaux administratifs, la personne publique pourra procéder à l’aliénation de son bien. Toutefois, cette affectation est nettement moins valorisable que celle de locaux commerciaux. Or, l’article L. 631-7 précité interdit les changements d’affectation autres que ceux à destination de l’habitation. En d’autres termes, dès lors qu’une personne publique souhaite aliéner un immeuble à usage administratif, elle ne peut que le vendre avec sa destination initiale. Aussi, afin de tenir compte de la nécessité de valoriser au mieux le patrimoine public, l’article 81 de la loi de finances rectificative pour 2003 a rendu inapplicables les dispositions de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation. Les locaux détenus par l’Etat pourront donc être affectés à un usage autre que l’habitation et ce, sans qu’une autorisation administrative préalable ne soit sollicitée. Dans l’attente de textes d’application ultérieurs, il convient de noter que la rédaction de cette disposition soulève certaines questions, sources d’incertitudes et de risques pour les futurs acquéreurs. En effet, le texte n’aborde pas le cas d’éventuels changements d’affectation intervenant après la cession des immeubles à un investisseur privé, dans l’hypothèse où la personne publique n’aurait pas procédé elle-même audit changement.

Incorporation dans le domaine privé des immeubles à usage de bureaux

L’ordonnance n° 2004-825 du 19 août 2004, relative au statut des immeubles à usage de bureaux, a modifié le Code du domaine de l’Etat afin de permettre aux immeubles visés ci-dessus de faire partie du domaine privé. Ces immeubles peuvent être aliénés alors même qu’ils continuent d’être utilisés par les services de l’Etat. Cette disposition constitue donc une dérogation aux principes régissant l’aliénation des immeubles faisant partie du domaine public. En conséquence, les immeubles de bureaux peuvent être cédés, même s’ils sont occupés par les services de l’Etat, sans procédure préalable de déclassement.

Assouplissement des conditions de cession des immeubles de l’Etat

Le décret n° 2004-1175 du 4 novembre 2004 relatif aux modalités d’aliénation du domaine privé immobilier de l’Etat prévoit notamment que les immeubles de l’Etat pourront être cédés à l’amiable, après l’organisation d’une publicité préalable permettant une mise en concurrence. Ce décret met donc fin à la vente à la bougie (1). Précisons que les personnes publiques auront la possibilité de s’inspirer des modalités de cession existant dans la sphère privée. Ainsi, elles pourront notamment envisager un montage impliquant un transfert de propriété postérieur à la signature de l’acte de vente et la conclusion d’une convention d’occupation pour la période intermédiaire. Dans ce cas, la vente est faite moyennant la fixation d’un prix plancher et le versement d’un complément de prix à l’issue d’une période intermédiaire. A l’issue de cette période, une expertise du bien vendu est mise en œuvre et un complément de prix, basé sur la valorisation de l’immeuble, est versé à la personne publique.

Si ces changements concernent pour l’instant l’Etat et ses établissements publics, le Code des propriétés publiques, actuellement en cours d’examen au Conseil d’Etat, pourrait adopter des règles similaires pour les collectivités locales. Elles devront saisir cette opportunité pour faire un état des lieux de la situation de leur patrimoine et pour identifier les meilleures voies et moyens possibles pour l’optimiser et le valoriser.

Externalisation

Si les modifications susmentionnées permettent à l’Etat d’aliéner plus aisément son patrimoine, elles ne sauraient suffire, à elles seules, à faciliter l’investissement privé sur le domaine public et à financer la modernisation de leurs services ou ouvrages.

Nouveaux montages juridico-financiers

Plusieurs textes successifs ont assoupli les contraintes de la domanialité publique, permettant ainsi le financement privé d’ouvrages ou d’équipements publics. Il s’agit notamment des lois de 1988 sur le bail emphytéotique administratif (BEA) et de 1994 sur l’autorisation d’occupation temporaire du domaine public (AOT) constitutive de droits réels, de la loi d’orientation sur la sécurité intérieure (LOSI), de l’ordonnance de 2003 sur le bail emphytéotique hospitalier (BEAH) et enfin de celle du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat.

Des hypothèses différentes

- Le BEA et l’AOT-LOA (location avec option d’achat) permettent de faire bénéficier l’opérateur, pendant la durée de validité de son titre, des prérogatives et obligations du propriétaire, ce qui lui permettra de sécuriser son investissement (ex : crédit-bail…). Ces deux montages permettront aux collectivités de faire peser sur l’opérateur le financement de l’ouvrage. Toutefois, ils n’offrent pas en soi la possibilité de l’associer à son exploitation sauf à conclure une convention d’exploitation nondétachable.

- La LOSI, le BEAH et le contrat de partenariat offrent la possibilité de confier à un même opérateur et dans le cadre d’une seule procédure le financement, la construction, l’entretien et la maintenance d’un ouvrage. Ces montages permettent aux collectivités publiques de bénéficier d’un service complet (de la conception à la gestion de l’ouvrage) et, ainsi, de tirer profit des capacités de gestion et de financement d’une entreprise privée.

Des caractéristiques

iden­tiques

Si ces textes ont des champs d’application différents, ils présentent des caractéristiques identiques :

- ils permettent une externalisation temporaire de certaines fonctions entrant dans le cadre d’une mission de service public ;

- le financement, la réalisation et/ou l’exploitation de l’ouvrage ou du service sont assurés par le titulaire privé du contrat ;

- le paiement du service public demeure effectué principalement par la personne publique co-contractante.

Exemples opérationnels

Si une collectivité publique souhaite faire peser sur un opérateur les coûts de construction et d’exploitation d’un bâtiment, elle peut utiliser l’un des montages prévus par les textes précités.

Option d’achat

La collectivité pourra notamment octroyer à un opérateur une autorisation d’occupation temporaire du domaine public constitutive de droits réels ou un bail emphytéotique administratif afin qu’il conçoive et réalise le bâtiment projeté. Elle lui louera ensuite le bâtiment et pourra, dans ce cadre, mettre à sa charge des prestations de maintenance et d’entretien. A l’issue du bail, la collectivité deviendra propriétaire de l’ouvrage.

Ce type de montage est déjà utilisé dans d’autres pays, en Grande-Bretagne notamment (2).

Contrats de partenariat

La collectivité publique pourra mettre à la charge d’un opérateur une mission globale comprenant l’investissement, le fonctionnement, en tout ou partie, et le financement d’un ouvrage, en contrepartie d’un prix susceptible de variations en fonction de la qualité du service rendu, ce prix étant perçu auprès de l’administration qui demeure chargée de la gestion du service public. Cette possibilité, ouverte par l’ordonnance sur les contrats de partenariat, peut être utilisée pour différents ouvrages ou services (écoles, routes, éclairages publics, bâtiments publics…) ou encore dans le cadre de l’externalisation de certaines missions, comme celles de la gestion du patrimoine public.

On peut se réjouir de cette volonté de rationalisation ainsi que des nouveaux investissements et des nouveaux services que ces transferts vont générer. C’est tout un marché qui s’ouvre aux gestionnaires immobiliers et aux entreprises de services, d’abord pour les immeubles de l’Etat, mais bientôt également pour ceux des collectivités locales.

Dans l’attente des dernières modifications du droit de la domanialité, les collectivités publiques disposent aujourd’hui de textes leur permettant de bénéficier du savoir-faire et des compétences des opérateurs. Il ne reste plus aux deux parties qu’à s’entendre, la collectivité cédante formalisant ses besoins après une analyse des diverses solutions possibles et l’opérateur apportant son expertise financière et des montagesinnovants.

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