Parc tertiaire : le marché de la rénovation énergétique tiendra-t-il ses promesses ?

D’après son étude sur les marchés de la rénovation énergétique dans le tertiaire, le cabinet Coda Strategies table sur un parc rénové de 16% d’ici 2019, soit 160 millions de mètres carrés. Une hypothèse basse, argumentée par les incertitudes économiques et celles du périmètre retenu dans l’éventuel décret sur l’obligation de travaux.

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Rénovation de l'immeuble de bureaux Central Seine à Paris.

Alors que le projet de loi sur la Transition Energétique est examiné en commission spéciale de l’Assemblée nationale, Coda Strategies, cabinet d’études de marchés spécialisé notamment en énergie et bâtiment, a publié une étude dont un des objectifs est d’évaluer la dynamique de marché de la rénovation dans l’existant tertiaire. Le parc étant très diversifié : public, privé, grands ensembles tertiaires, petit tertiaire, bâtiments de l’Etat…, et chaque catégorie possédant ses spécificités, l’approche de Coda Strategies s’est voulue segmentée en étudiant les secteurs d’activités suivants : bureaux, commerces, santé, hôtellerie, enseignement, sport et culture et social et hébergement.

Est-ce encore utile de le rappeler, la rénovation énergétique du parc tertiaire constitue avec celle du parc résidentiel un enjeu majeur dans la transition énergétique. Les économies d’énergie des bâtiments, qui consomment plus de 40% de l’énergie en France, représentent le principal gisement pour atteindre l’objectif européen de 20% d’économies d’énergie d’ici 2020 ; le Grenelle de l’environnement fixe un objectif de 38% d’économies d’énergie d’ici 2020.

Concernant le seul parc tertiaire, la loi Grenelle 2 de juillet 2010 a prévu la création d’une obligation de travaux, mais le décret d’application, dont on parle régulièrement et qui était très attendu par de nombreux acteurs, n’est toujours pas paru. Pourtant, ce parc tertiaire, d’une surface d’environ 850 millions de m² (répartis en 480 millions de m² pour le privé et 370 millions de m² pour le public dont 120 pour l’Etat et 250 pour les collectivités locales), consomme à lui seul près de 15% de l’énergie du pays ; une réduction d’un tiers équivaut à 6% de l’énergie nucléaire soit 4 tranches de centrales nucléaires (1) et une réduction des trois quarts à 14% de l’énergie nucléaire soit 8 tranches de centrales nucléaires (2). Le parc tertiaire représentant un tiers de la consommation d’énergie totale du patrimoine bâti, on comprend l’importance de l’enjeu.

Dans son étude, Coda Strategies estime que le taux de rénovation globale du parc tertiaire est de 2,4% par an. Sur la période 2015-2019, quelque 160 millions de m2 seraient rénovés, soit 16% du parc. Ce qui ferait passer le marché à 9,2 milliards d’euros en 2019 contre 7,6 milliards en 2014. Un rythme jugé insuffisant pour atteindre les objectifs fixés.

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Evolution des surfaces du parc tertiaire en rénovation globale (en million de m2) Evolution des surfaces du parc tertiaire en rénovation globale (en million de m2)

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Répartition des surfaces rénovées par type de bâtiment Répartition des surfaces rénovées par type de bâtiment

Bureaux : une dynamique engagée grâce aux grandes foncières

Pas vraiment de surprise, les bureaux arrivent en tête des surfaces rénovées. L’étude constate en effet une dynamique des grands acteurs privés. Les grandes foncières y sont moteurs. « Elles le sont de manière préventive, constate Coda Strategies, en raison du risque d’obsolescence des bâtiments non performants, ce qui pèserait très lourd dans leur bilan ». L’engagement est également réel chez les grands propriétaires occupants, qui adoptent une démarche patrimoniale.

A l’inverse, certaines incertitudes demeurent sur la capacité des acteurs publics à assumer leurs engagements et sur les petits et moyens propriétaires, aujourd’hui peu sensibilisés à la problématique et qui ne seront pas nécessairement concernés par les obligations réglementaires (si le décret limite le champ). Le cabinet d’études voit pour ce secteur trois freins principaux à la rénovation énergétique : des retours sur investissement trop longs, l’exemption possible des petites surfaces des obligations de rénovation et la faible implication des petits et moyens propriétaires occupants et bailleurs, dont le poids est très important sur le marché.

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Tendances surfaces rénovées et marchés pour les bureaux Tendances surfaces rénovées et marchés pour les bureaux

Commerce : la rénovation tirée par la grande distribution

Le commerce a connu en 2011-2012 une baisse de son activité, qui stagne depuis. Conséquence, l'investissement est en berne. Pourtant dans une activité à marge unitaire faible, l’énergie a un coût significatif. Malgré tout, le potentiel de réduction des consommations est très différent selon le type de bâtiment considéré. L’étude relève que l’obtention d’un retour sur investissement satisfaisant est relativement aisé dans la grande distribution, avec un potentiel de réduction des consommations d’environ 25-30 €/m²/an (275 kWh/m²/an * +/- 0,1 € ) pour des investissements, essentiellement concentrés sur une gestion active des équipements et qui demeurent d’un niveau limité. Dans les commerces spécialisés (ameublement, grande surface de bricolage…), le retour sur investissement associé est plus aléatoire. Or, les commerces pour lesquels la rentabilité financière de la rénovation énergétique est la plus évidente, ne représentent qu’un poids limité au sein du parc (les hyper et supermarchés pèsent environ pour 16% du parc total).

Affichant des stratégies volontaristes, les groupes commerciaux établissent des programmes d’investissement privilégiant souvent la gestion active de l’énergie, (gains attendus sur le chauffage et la climatisation plus faibles que dans d’autres secteurs). Les franchisés n’agissent qu’en fonction du retour sur investissement, leurs actions sont principalement ciblées sur la détection de présences ou l’optimisation clim et groupes froids. Les petits et moyens bailleurs, les gestionnaires privés ou semi publics de zones commerciales qui n’ont pas la maîtrise des investissements sur les process de leurs clients sont en général peu moteurs dans les projets de rénovation énergétique.

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Les potentiels de réduction de consommation du parc de commerces (kWh/m²/an) Les potentiels de réduction de consommation du parc de commerces (kWh/m²/an)

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Surfaces rénovées (milliers m²) et marchés (M€) pour les commerces Surfaces rénovées (milliers m²) et marchés (M€) pour les commerces

Le développement du marché lié aux acteurs de petites tailles

L’étude qui analyse l’ensemble des segments du secteur tertiaire relève que le rythme et l’ampleur de la rénovation thermique dans le secteur tertiaire dépend largement d’acteurs de petites tailles, propriétaires de petites surfaces, contraints par une stricte logique financière. Or, si le décret à paraître les exclut du champ d’application, il y a fort à parier que le développement du marché ne sera pas celui attendu. Coda Strategies met également en lumière une rénovation du parc à plusieurs vitesses. Entre, d’une part, la nécessité d’ajuster les investissements au contexte économique et aux capacités de financement actuels et, d’autre part, la perception du caractère inéluctable de la rénovation énergétique des bâtiments, les acteurs, publics ou privés sont soumis à des injonctions contradictoires. Contradictions gérées par les acteurs de l’immobilier, comme les foncières, qui adoptent une logique de préservation de la valeur de leur patrimoine, mais plus difficiles à intégrer par les acteurs publics, les petits et moyens propriétaires occupants. Quant aux outils de nature à lever les blocages du marché, comme le DPE, ils sont encore lents à s’imposer.

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Les marchés des services associés à l'efficacité énergétique du secteur tertiaire (M€ - 2014 -2019) Les marchés des services associés à l'efficacité énergétique du secteur tertiaire (M€ - 2014 -2019)

Enfin le cabinet d’études s’interroge sur la pertinence de la voie choisie pour impulser le développement du marché de la rénovation énergétique : une logique essentiellement réglementaire et un argumentaire centré sur le développement durable, la performance énergétique, et les coûts d’exploitation. Il estime que les rénovations lourdes des bâtiments tertiaires, se justifieront de plus en plus par des considérations qui dépasseront la seule performance énergétique, à savoir la performance économique globale.

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