« On peut rénover la ville sans la gentrifier », Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine)

Rénovation urbaine près de la future gare du Grand Paris, nouveau quartier en bordure du parc départemental des Chanteraines, transformation de la halle des Grésillons en pôle d’économie circulaire : alimentés par un budget annuel d’investissement de 60 millions d’euros, les chantiers en cours et en projet à Gennevilliers (47 000 habitants, Hauts-de-Seine) alimentent les réflexions politiques de son maire Patrice Leclerc. Il les a synthétisées dans son essai publié en janvier chez Arcane 17, sous le titre « Inventons un nouvel art de vivre populaire en ville ».

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Patrice Leclerc
Patrice Leclerc

Pensée après-guerre par votre prédécesseur Waldeck L’Huillier, la division de Gennevilliers en trois zones de 400 hectares peut-elle continuer à servir de référence à l’heure de la ville multifonctionnelle ?

Dans les années 1980, cette référence a conduit Gennevilliers à résister à la vision portée par le livre blanc de Michel Rocard, avec des marinas les pieds dans l’eau à la place du port. Sans cette résistance, qui alimenterait l’Ile-de-France en essence, en farine, et bientôt en biométhane ? La vision de Waldeck L’Huillier a permis de conserver des emplois de proximité.

La ville multifonctionnelle a ses limites : personne ne voudrait habiter à côté d’une presse de 30 000 tonnes. Dans le voisinage de Gennevilliers, je redoute que les habitants des nouveaux quartiers de Colombes ne viennent bientôt à se rebeller contre les nuisances de la Snecma.

N’y a-t-il pas lieu pourtant de réduire l’étanchéité entre la ville et son port ?

Avec le périmètre autorisé d’1 km, le Covid a créé l’occasion d’une redécouverte du port par les habitants. Nous favorisons cet élan, à raison d’une visite guidée par mois.

En partenariat avec les départements des Hauts-de-Seine et de Seine Saint-Denis ainsi que les communes de l’Ile Saint-Denis et Villeneuve-La-Garenne, deux projets de base nautique vont accentuer le rapprochement entre la Seine et la ville. Mais les lieux dédiés aux activités lourdes n’ont pas vocation à servir de villégiature !

Les études sur la rénovation du quartier des Agnettes ont démarré depuis plus de 10 ans et les chantiers commencent tout juste. Ce délai ne contrarie-t-il pas l’ambition de faire la ville avec ses habitants ?

En effet, les personnes ont eu le temps d’oublier les décisions auxquelles ils ont participé voici 10 ans. Les différends avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine ont d’abord porté sur le nombre de démolitions. Nous les avons limitées à moins de 400, car nous considérons que les habitants des HLM ont le droit d’habiter près de la gare !

Les cofinancements que nous jugeons insuffisants contraignent à augmenter la part de la ville, par rapport à nos prévisions, soit 60 millions d’euros sur un total de 180 à réaliser sous la conduite de Gennevilliers Habitat, Semag 92 et la ville de Gennevilliers. Par comparaison avec le premier programme de rénovation urbaine, j’ai trouvé une administration très tatillonne et  bureaucratique, parfois empêtrée dans des logiciels complexes.

Les habitants se sont exprimés à l’aide de techniques désormais assez classiques, en particulier la découpe de maquettes en polystyrène, qui favorise la projection de rêves d’enfants sur le quartier, avant de passer à l’échelle des bâtiments. Nous avons récemment lancé un travail participatif sur les fonctions du centre social, dont le chantier a démarré.

Plutôt que la mixité sociale, votre « nouvel art de vivre » cherche à créer les conditions d’une fierté d’habiter un quartier populaire. Comment transformer cette idée en projet ?

Comme nous détruisons peu, nous ne chassons personne. La rénovation n’entraînera pas de gentrification. Les 600 logements en accession à la propriété ne remplacent pas des immeubles existants, ils viennent s’y ajouter.

Grâce à l’aide d’Agrocité, des jardins partagés  inviteront les habitants à la pratique du maraîchage, y compris sur les parcelles résidentialisées des immeubles. Entre deux bâtiments d’HLM, la Société du grand Paris a accepté de financer la création d’un verger dont les arbres fruitiers permettront de retrouver le rythme des saisons. Une coulée verte proposera des jeux d’enfants.

Le centre social cherchera à associer toutes les couches de la population à ces changements.

Diriez-vous que Gennevilliers parvient à résoudre l’équation impossible entre densification et nature en ville ?

Il y avait 70 000 m2 d’espaces verts avant la rénovation. Il y en aura autant après. La déminéralisation des cours d’écoles et d’autres espaces urbains permettent d’atteindre ce résultat.

L’aspect agricole s’inscrit dans un projet de territoire partagé avec Argenteuil, pour la remise en culture de terres agraires, au prix de quelques remembrements. Gennevilliers accompagne le processus grâce à l’embauche récente d’un responsable de l’écologie et de l’économie des ressources.

La concrétisation des projets reposera aussi sur les négociations avec la Safer et la chambre d’Agriculture, le recrutement de maraîchers, ainsi que la dépollution des emprises qui servaient d’exutoire aux égouts parisiens, au XIXème siècle.

Pour faciliter le développement de l’économie circulaire, vous comptez beaucoup sur la transformation de la halle des Grésillons, confiée à l’architecte Patrick Bouchain. Où en est ce projet ?

Il a subi un blocage technique, après des essais au feu qui ont révélé la nécessité de repenser le désenfumage. La relance de l’appel à projets d’activités économiques interviendra au plus tard en octobre.

Expression d’un urbanisme des faubourgs avec ses bâtiments en peigne issus de l’activité maraîchère, ce lieu devrait renaître autour de l’alimentation saine et de l’économie sociale et solidaire. La halle se reconstruira au fur et à mesure des expériences proposées par les porteurs de projets qui y accéderont pour un loyer de 9 euros par m2.

La Sem de Massy Paris-sud-Aménagement nous y aidera, grâce à son savoir-faire dans la médiation entre les habitants et les porteurs de projets. La proximité du théâtre et de son restaurant incite à des synergies autour d’animations ludiques et pédagogiques.

Vous développez l’ambition d’un urbanisme sans discrimination de genre. Comment traduire cette idée dans la ville ?

Professeure de géographie urbaine, Corinne Luxembourg nous a beaucoup aidés. A raison de deux opérations par an, la renaturation des cours d’écoles offre une belle opportunité pour aborder ce sujet avec la communauté éducative et les enfants. A l’arrivée, le foot n’occupe plus la place centrale et ne relègue plus les autres activités à la périphérie.

Avec le groupe Femmes et Ville, des promenades exploratoires ont permis d’identifier les lieux propices aux discriminations de genre, et les interventions pour y remédier. Cette démarche va désormais s’appliquer au nouveau quartier dont les chantiers démarreront en 2025 en face du parc de Chanteraines: un projet de 1500 logements dont la moitié en habitat social, développé avec l'agence CoBé Architecture et Paysage.

Dans votre vision communaliste, quelle place et statut imaginez-vous pour la métropole du grand Paris ?

Je suis en effet partisan de réduire au minimum les compétences qui échapperaient aux communes. Seuls l’eau et l’air me paraissent incontournables, pour la métropole, qui offre par ailleurs un cadre adapté à la coordination des stratégies. Au-delà de ces limites, seul l’Etat détient la légitimité pour imposer les règles du jeu.

La transformation de la métropole en syndicat mixte permettrait d’y associer les départements et la région. Pour bien exercer sa compétence en gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations – la Gemapi -  cette collectivité dispose d’une marge importante : l’effort se limite actuellement à 0,5 euros par habitant, alors que la loi permet d’aller jusqu’à 40 euros.

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