Interview

« On peut et on doit continuer à construire, mais pas n'importe où », Pierre Hurmic, maire (EELV) de Bordeaux et premier vice-président de Bordeaux Métropole

Végétalisation, matériaux biosourcés, maîtrise du foncier : le maire bordelais indique ses priorités pour l'aménagement et l'immobilier.

 

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Pierre Hurmic, maire (EELV) « Dès à présent, nous rencontrons tous les promoteurs, pour les inviter à construire avec nous une ville plus résiliente, à profiter des espaces déjà artificialisés. »

La végétalisation était un axe fort de votre campagne électorale. Comment la mettez-vous en œuvre ?

Nous irons le plus rapidement possible : nous planterons des arbres dès cet hiver. Bordeaux est une ville très minérale et la situation s'est encore aggravée ces dernières années, au cours desquelles on a construit de véritables îlots de chaleur, comme sur les places Pey-Berland ou Tourny. Or, nous nous orientons vers un climat comparable dans quelques années à la situation actuelle de Séville, sans les fontaines ni les orangers.

Végétaliser implique d'abord de faire l'inventaire des sites d'accueil potentiels et de réaliser des études du sol. Cela concerne toutes les places emblématiques de Bordeaux, mais aussi les rues. Cette démarche participe de notre « plan marchable » : construire une ville dans laquelle on peut marcher à l'ombre, avec des bancs, des endroits d'apaisement.

Qu'est-ce qui motive cette volonté ?

Pour beaucoup d'élus, l'arbre a une fonction essentiellement esthétique. Selon nous, c'est notre meilleur allié pour lutter contre le réchauffement climatique. Il apporte de l'ombre, ce qui permet de réduire la température : jusqu'à 5 °C de moins, c'est énorme ! L'arbre a un autre mérite, il capte le CO2.

Nous sommes favorables à des mini-forêts, très denses, comme celle du botaniste japonais Akira Miyawaki qui permet le captage du CO2 à l'échelle d'un quartier.

Vous souhaitez « sortir d'une vision comptable sur le nombre d'arbres plantés, pour aller vers une stratégie de végétalisation ». Comment cela se traduira-t-il ?

Effectivement, nous ne voulons pas être jugés sur le nombre d'arbres que nous aurons plantés, mais sur les espèces choisies et les lieux de plantation. Pour ce faire, je souhaite solliciter les habitants et même les enfants des écoles. Il faudra alors avoir le courage de dire que cette démarche se fera parfois au détriment de places de stationnement. Ce sont de vrais choix.

A côté des habitants, quelle place accordez-vous à l'expertise des spécialistes ?

A Bordeaux, nous avons la chance de disposer d'un service espaces verts très performant, avec des équipes passionnées qui ne demandent pas mieux que de s'investir. Elles connaissent les arbres, les essences à planter.

Elles vont donc sortir des parcs et jardins et seront davantage mobilisées dans les quartiers.

Pouvez-vous détailler le modèle d'urbanisme que vous souhaitez développer ?

Nous sommes très attachés à la frugalité, à la sobriété. J'aime beaucoup l'expression d'« ivresse joyeuse de la sobriété choisie » du philosophe et écologiste Ivan Illich.

La sobriété n'a rien à voir avec l'austérité ! C'est aussi une notion personnelle. Je n'aimerais pas que l'on retienne de mon mandat la construction d'un pont, d'un musée… Je ne veux pas donner cette image de l'élu bâtisseur et nombriliste. La ville frugale, c'est celle qui ne gaspille pas.

Ce qui constitue notamment sa richesse, c'est son patrimoine végétal, dilapidé ces dernières années. D'où le concept de zéro artificialisation : on peut et on doit continuer à construire en ville, mais on ne le fait pas n'importe où, pas au détriment de nos derniers espaces de nature qu'il faut protéger comme la prunelle de nos yeux.

Les boulevards qui ceinturent le centre-ville sont-ils propices à un urbanisme expérimental, de partage des usages, d'amélioration du lieu de vie ? Cet urbanisme tactique accouchera-t-il d'infrastructures pérennes ?

Sur les boulevards, nous avons commencé à faire de l'urbanisme tactique ou pragmatique, qui consiste à réduire la pression de la circulation automobile à l'aide de couloirs de bus et des pistes cyclables. Les premiers résultats indiquent un trafic routier en baisse de 15 % et une diminution de 13 % d'émissions de dioxyde d'azote.

Si la pratique du vélo n'en est pas boostée, nous arrêterons. Nous n'allons pas ennuyer les automobilistes pour le plaisir ! L'urbanisme tactique fait partie de notre vision frugale de l'aménagement urbain. Il est à la fois expérimental, peu onéreux et laisse le droit de poursuivre ou non.

Comment souhaitez-vous procéder ?

L'urbanisme tactique exige d'être très réactif et rapide. Puisque rien n'est définitif, nous considérons que la concertation doit être permanente. Nous pouvons agir assez vite sur nos grandes opérations d'aménagement.

Mais cela concerne aussi des délaissés de voirie, des terrains de toutes tailles que sacralisera le futur plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). Ce dernier reste le meilleur outil coercitif, mais il ne sera revu que dans quatre ou cinq ans. En attendant, nous misons sur l'incitation.

Dès à présent, nous rencontrons tous les promoteurs, pour les inviter à construire avec nous une ville plus résiliente, à profiter des espaces déjà artificialisés. Nous y arrivons par la pédagogie. D'ailleurs, si autant de permis de construire sont attaqués, c'est en raison du manque de médiation. Nous avons la possibilité d'éviter ces recours systématiques grâce au dialogue.

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Sur les ZAC en cours d'urbanisation comme Bastide Niel et Brazza, comment comptez-vous infléchir la tendance du tout-béton ?

Nous avons entamé les discussions avec les architectes Winy Maas pour Bastide Niel et Youssef Tohmé pour Brazza. Ils nous ont entendus pour faire un quartier beaucoup plus végétal, revoir la densité ou la répartir différemment.

Vous vous présentez comme un maire régulateur. Comment concilierez-vous cette volonté d'aérer la ville avec cette forte demande de logements ?

Nous avons d'abord lancé un inventaire des 11 000 logements vacants de Bordeaux. Certains le sont pour de bonnes raisons (successions, indivisions… ), d'autres sont de purs produits de spéculation. Il faut lutter contre cette vacance en allant, si besoin, jusqu'à la réquisition. L'inventaire vise à remettre sur le marché des logements vides en aidant, par exemple, les propriétaires âgés manquant de moyens. Les baux réels solidaires (BRS) constituent aussi un outil formidable pour le logement social. Le maire régulateur, c'est celui qui fait en sorte qu'on puisse construire à Bordeaux à des prix plus décents, alors que le coût du foncier peut atteindre jusqu'à 30 % du total. De même, nous avons demandé à expérimenter l'encadrement des loyers. Enfin, nous comptons mobiliser l'établissement public foncier (EPF) de Nouvelle-Aquitaine. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de maîtrise de la politique foncière ici.

Comment comptez-vous répondre à la question de la densité ? Par plus de hauteur ?

Il existe des quartiers d'habitat bas et d'autres où il est possible de construire en hauteur. Cela ne me dérangerait pas de signer des permis d'immeubles de plusieurs étages à Ravezies, où s'élèvent déjà des bâtiments très verticaux. En revanche, bâtir des tours dans un quartier d'échoppes n'a pas de sens.

Allez-vous promouvoir la construction bois, comme le fait l'EPA Euratlantique que vous présidez désormais ? Et généraliser cette orientation à d'autres secteurs de la ville ?

Oui, nous allons continuer avec les matériaux biosourcés, et pas seulement le bois. Ils se montrent extrêmement efficaces, par exemple en termes d'isolation. Nous allons expérimenter la notion de « bâtiment frugal bordelais » d'abord dans les zones d'aménagement. Cela a vocation à faire tache d'huile. Créer un label local montre que la ville est en avance sur ce type de construction. On est en terre girondine, terre d'expérimentation locale, on n'attend pas que Paris nous dise comment bâtir.

Comment construire jusqu'à 50 % de logements sociaux dans les nouveaux programmes ?

Nous héritons d'une ville avec un taux de logements sociaux très bas [18 %, NDLR]. Nous ferons tout pour tenir l'objectif de 25 % en 2025 : de la Vefa, du bail réel solidaire, du foncier à prix abordable via l'EPF. Dans les opérations d'urbanisme, la mode est aux produits de défiscalisation, dont la part monte à 80 % des logements aux Bassins-à-Flots. C'est une aberration : les logements sont mal aménagés, ce qui provoque une rotation de locataires. Or, le turn-over n'a jamais forgé l'âme d'un quartier. Nous allons donc essayer de réduire cette part de défiscalisation en les remplaçant par de l'accession.

Nous ne voulons pas d'une ville aux mains de la spéculation. Il y a quelques années, le « Figaro Magazine » avait titré en Une « Bordeaux, l'eldorado des promoteurs immobiliers ». Je préférerais que ce soit l'eldorado des Bordelais.

La Ville est un gros donneur d'ordres. La frugalité implique-t-elle de limiter la commande publique ?

Je suis très attaché à faciliter l'accès à la commande publique aux TPE et aux PME locales. Cela passe par l'allotissement mais aussi par le bilan carbone comparatif qui fera partie des pièces des appels d'offres. Les entreprises peuvent donc nous accompagner sur le terrain de la frugalité. La construction du monde de demain passe aussi par cette aide aux entre prises les plus audacieuses, les plus inventives sur le terrain de la transition écologique et climatique, par exemple celles qui favorisent les matériaux biosourcés au détriment du tout béton. Nous n'allons pas vers une baisse de la commande publique, nous voulons sa réorientation. Beaucoup d'entreprises sont tout à fait prêtes à s'adapter.

Vous souhaitez stopper l'extension du tramway et revoir la politique de mobilité ?

Tous les maires ont voulu leur tramway, ce qui a contribué à une vision très municipale. On a fait le tramway des maires. Or, la probléma tique des déplacements est extra-métropolitaine.

Qui engorge la rocade tous les matins ? Ce ne sont pas les métropolitains qui bénéficient du plus vaste réseau de tram de France, mais les actifs originaires de Langon, de l'Entre-deux-Mers, du nord de la Gironde, du Médoc, etc. Pour permettre à ceux qui habitent en dehors de la métropole d'y venir, le chemin de fer reste la meilleure solution. Les déplacements reposent d'abord sur une politique d'aménagement du territoire. Le tramway coûte 20 M€/km. Il n'est plus à notre portée, et très daté. Je suis favorable à des outils modernes comme les bus électriques, au gaz naturel ou demain à l'hydrogène. Surtout, les bus cadencés en site propre coûtent quatre fois moins cher !

Quelle est votre vision de Bordeaux à dix ans ?

Je vois une ville apaisée dans tous les sens du terme : un état qui passe par la végétalisation mais aussi par la circulation. Il faut élargir les trottoirs au détriment de la place dédiée aux voitures. A mes yeux, la rue est d'abord un lieu de vie, où l'on peut prendre son temps, s'asseoir sur un banc, sous un arbre ou dans un petit jardin. Bordeaux propose très peu de squares. Nous comptons 28 m2 de verdure par habitant, contre 48 m2 pour les villes de cette strate. Et encore, cette moyenne est atteinte grâce à de grands espaces verts et non des espaces de proximité.

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