L'un des grands sujets actuels est celui des accélérateurs de croissance apportés par la révolution numérique, celle-ci contenant d'ailleurs, en elle-même, ses propres facteurs d'accélération. Les GAFA, qui n'existaient pas il y a 30 ans, sont devenus les leaders mondiaux de leur métier à une vitesse inconnue dans l'histoire de l'humanité. Intégrant les métiers qu'ils étaient censés servir, ils en sont devenus les maîtres, incluant réseaux, contenants et contenus, dans un nouveau modèle économique dominant, perçu comme destructeur des valeurs établies. Cette révolution a bouleversé la culture d'un monde aujourd'hui mondialisé et globalisé, dans lequel l'urgence est parfois confondue avec l'importance, dans lequel le rythme de l'obsolescence des produits, des modèles économiques et des valeurs établies est devenu extrêmement rapide, pour le meilleur et pour le pire. Cette révolution, qui trouve dans son accélération sa propre énergie, a bouleversé les rapports économiques, d'échanges et de production, elle n'est évidemment pas sans effet sur l'immobilier et donc sur les villes.
Accélération du monde de l'immobilier
Le rythme moyen d'obsolescence des immeubles serait aujourd'hui de 15 ans ! Pourtant, un immeuble est un objet enraciné, statique, immobile par nature, c'est-à-dire appartenant au temps long. Or, pour demeurer durable, il faut dorénavant qu'un immeuble soit modifiable, adaptable, souple, et ce de plus en plus vite, voire qu'il soit déplaçable, c'est-à-dire mobile.
Pour ne pas devenir ou rester obsolète, un immeuble doit être réversible. Soit, il l'est ou tente de l'être dès sa conception, c'est la définition de la réversibilité qui s'oppose à la soumission à des normes spécialisantes, soit, et cela concerne l'essentiel du parc immobilier existant, il faut trouver les moyens, en cours de vie, de le transformer, de lutter contre l'obsolescence et de conserver la valeur de l'immeuble. Construire un immeuble réversible pouvant abriter des usages différents au cours de sa vie, c'est donner une valeur durable à l'immeuble. Adopter des règles d'urbanisme permettant, dès la conception ou en cours de vie de l'immeuble, d'adapter celui-ci aux évolutions économiques, sociologiques, environnementales du monde, c'est permettre à la ville de conserver son utilité sociale.
Une prise de conscience générale moderne…
Il semble bien que ce souci d'équilibre ait considérablement inspiré les réformes législatives de ces dernières années, les articles qui suivent en sont le témoignage. Certes du chemin reste à faire, la souplesse étant appelée de leurs vœux par les architectes et promoteurs immobiliers, premiers acteurs de la création immobilière. L'inscription dans le temps long par les acteurs publics et le législateur indispensable à la vision moderne de la ville est donc patente.
En 2016, la réforme du droit des obligations a modifié considérablement les rapports entre les parties durant la vie du contrat. Désormais, en cas de déséquilibre entre les prestations, elles sont invitées à la renégociation. À défaut d'accord, le juge peut réviser le contrat ou même y mettre fin. Cette faculté aurait dû permettre aux acteurs de l'immobilier concernés, à savoir essentiellement le bailleur et le locataire, de remédier à une situation imprévisible d'obsolescence (). Mais, peut-être trop précautionneux, les rédacteurs de la réforme ont donné à cette règle un caractère supplétif, de telle sorte que les dispositions de l'article 1195 peuvent être écartées ou aménagées par les parties au contrat.
… qui se heurte à des préoccupations classiques
Le souci de sacraliser les stipulations du bail et évidemment son loyer peut être un obstacle à la souplesse nécessaire pour faire face aux diverses causes d'obsolescence, notamment sociologiques et commerciales, en cours de bail et donc à la prise en compte d'une valeur durable, s'inscrivant dans le temps long qui est celui des immeubles, plutôt qu'à son sacrifice au profit d'un maintien fragile de la rentabilité immédiate.
Temps court, temps long… Une évolution du bail commercial est pourtant réclamée par beaucoup d'acteurs de l'immobilier, qu'ils soient promoteurs, propriétaires ou utilisateurs. Lors du SIMI 2017, avait été lancée l'idée de réunir les états généraux du bail commercial. Nous réitérons !
Temps court, temps long… cette confrontation d'objectifs que le sentiment d'urgence de l'époque peut déséquilibrer, au risque d'oublier le sens même de l'acte de construire, est bien le sujet de fond du dossier que cette brève note a tenté d'introduire.