Enquête

Nouveau Code de la construction : assureurs et BTP se préparent à sauter le pas

Le permis d'expérimenter sera bientôt généralisé à tous les champs techniques. Une nouvelle façon de concevoir les projets, qui nécessite un dialogue entre acteurs.

 

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Permis d'expérimenter

Essoc 1, c'était bien. Essoc 2, ce sera mieux ! C'est l'ambition du ministère de la Cohésion des territoires qui a entrepris, dans le cadre de la loi pour un Etat au service d'une société de confiance, dite « Essoc », en 2018, de « faciliter la réalisation des projets de construction et de favoriser l'innovation ». L'idée : libérer les acteurs du poids des normes et leur permettre de mettre en œuvre leurs propres solutions techniques ou architecturales. Une première ordonnance - Essoc 1 - du 30 octobre 2018 a instauré, de façon transitoire, le permis d'expérimenter qui autorise les maîtres d'ouvrage à s'écarter des règles de construction dans neuf domaines (aération, acoustique… ) en prouvant qu'ils atteindront, par des moyens innovants, des résultats équivalents.

L'ordonnance Essoc 2 du 29 janvier 2020 « fait entrer la faculté d'expérimenter dans le droit commun », explique Emmanuel Acchiardi, sous-directeur de la qualité et du développement durable dans la construction au sein de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). Le texte réécrit la partie législative du livre Ier du Code de la construction et de l'habitation (CCH) en dégageant, pour chaque règle de construction, les « objectifs généraux » à atteindre. Un décret, attendu dans quelques mois, viendra définir dans le code, pour un certain nombre de règles, des « résultats minimaux » à respecter.

La grande nouveauté concerne les règles qui ne comporteront pas de résultats minimaux : des « solutions de référence » seront alors proposées afin d'atteindre les objectifs généraux, mais les maîtres d'ouvrage pourront aussi opter pour des « solutions d'effet équivalent » (SEE) [voir schéma 1 ci-dessous] . Si la simplification de l'acte de construire sera - peut-être - au rendez-vous, celle du vocabulaire et des concepts ne l'est pas encore !

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Le recours à une SEE supposera de suivre une procédure (calquée sur celle du permis d'expérimenter), qui fera l'objet d'un second décret [schéma 2] . Il s'agit pour le maître d'ouvrage d'obtenir auprès d'un organisme tiers (choisi dans une liste fixée par décret, qui devrait comprendre notamment les contrôleurs techniques) une attestation d'effet équivalent (AEE) validant la solution choisie. Puis, à la fin du chantier, une attestation de bonne mise en œuvre de la SEE par un contrôleur technique.

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Réforme globalement bien accueillie. Voilà pour le décor. Mais qu'en pensent les acteurs ? Et notamment les assureurs, dont il a beaucoup été dit que leur rôle serait majeur dans le succès du dispositif ? Contactée, la Fédération française de l'assurance, qui a participé activement au groupe de travail organisé par le ministère, n'a pas souhaité s'exprimer. Mais quelques incontournables du secteur se montrent plutôt rassurants, et se disent « prêts à accompagner le mouvement », selon les mots de Marie-Claire Bassette-Renault, directrice construction de SMABTP. Qui attend toutefois les décrets : « La partie réglementaire, qui permettra l'entrée en vigueur d'Essoc 2 [au plus tard le 1er juillet 2021, NDLR], sera décisive. » Pour Pascal Dessuet, directeur délégué construction et immobilier chez le courtier AON France, « l'allègement des contraintes n'est pas si fort qu'on le croit. Le recours à la SEE, dont la procédure est très cadrée, ne sera, de plus, permis que pour une partie des règles de construction, dont la proportion sera fixée par le décret. En outre, la réforme ne touche qu'aux règles de construction et pas à celles de l'art et aux documents techniques unifiés. Pas de quoi alarmer les assureurs, ce ne sera pas une liberté sans limite accordée aux constructeurs ». Si la réforme est globalement bien accueillie, la MAF, comme d'autres, regrette qu'elle n'ait pu être suffisamment nourrie par Essoc 1. « Avec si peu de retours d'expérience sur le permis d'expérimenter, il semble peu prudent de le généraliser… », résume Michel Klein, directeur des sinistres.

La nouveauté concerne les règles qui ne comporteront pas de résultats minimaux

De fait, le bilan de la première ordonnance, pourtant accompagnée d'un AMI lancé par le ministère du Logement en mars 2019, est maigre, faute de temps : cinq AEE délivrées et cinq autres en cours d'instruction, concernant la ventilation, la réglementation thermique et le parasismique. Ce n'est toutefois pas fini, car Essoc 1 et son AMI (qui permet l'indemnisation des surcoûts liés à l'AEE jusqu'à 10 000 euros) restent ouverts jusqu'à l'entrée en vigueur d'Essoc 2.

Ces expériences se révèlent cependant positives : « Le dispositif est fonctionnel », se réjouit la DHUP, qui n'a pas recensé de difficultés particulières. « Nos adhérents voient dans le permis d'expérimenter l'opportunité de proposer des services innovants aux particuliers, souligne Julien Serri, délégué national aux affaires techniques chez LCA-FFB. Il faut se creuser un peu la tête et s'appuyer sur l'attestateur qui va valider la solution et analyser le risque d'interface - il ne faut pas, par exemple, que des systèmes de ventilation innovants affectent le respect de la réglementation thermique… Mais le processus administratif est plutôt simple », confirme-t-il.

« L'attestateur, garde-fou essentiel ». Cet attestateur de la SEE s'avère être le protagoniste clé d'Essoc 1 et 2. « L'assureur a besoin d'être rassuré sur la qualité du risque et de bénéficier de retours d'expérience, soulève Frédéric Gachignard, directeur construction de l'assureur QBE France. Néanmoins, il est aussi là pour accompagner l'innovation et, à cet effet, l'at-testateur constitue un garde-fou essentiel. » Reste à mesurer les impacts de l'irruption de ce nouvel acteur. « Essoc ne redistribue pas les cartes de la responsabilité, estime Marie-Claude Bassette-Renault (SMABTP). L'attestateur ne se substitue pas aux autres intervenants… » Toutefois, anticipe Julien Serri, chez LCA-FFB, « en cas de pépin, la recherche du ou des responsables sera peut-être plus délicate ».

Pour couper court aux débats sur la nature de la responsabilité de l'attestateur, Essoc 2 précise que celui-ci « n'est pas considéré comme un constructeur au sens de l' ». Autrement dit, il n'engage pas sa responsabilité civile décennale (RCD). En off, certains murmurent que ce choix serait problématique, car la validation donnée contribue à construire un ouvrage qu'il faudra bien garantir pendant dix ans. Quoi qu'il en soit, l'attestateur engage en revanche sa responsabilité civile professionnelle et devra être assuré pour cela - avec un plafond libre, souligne SMABTP, qui « ne devra toutefois pas être d'un montant ridicule ». Certains se positionnent déjà, tel Alpes Contrôles qui a obtenu une couverture ad hoc. « Pour convaincre notre assureur (la MAF), nous avons mis en place un dispositif complet, détaille François Geney, directeur technique et qualité du bureau de contrôle, avec notamment une analyse technique faite par un référent. Ce dernier élabore un projet de rapport qui sera confirmé par une commission interne, pour aboutir, enfin, à la délivrance de l'AEE. » Si la question de la décennale est tranchée, « c'est à l'épreuve d'éventuels sinistres et contentieux que se dessineront les contours de la responsabilité de cet acteur », considère toutefois Benoît Gunslay, juriste au conseil national de l'Ordre des architectes (Cnoa). Pour Julie Gomez, avocate associée chez Adamas, l'attestateur pourrait s'exposer à « une action du maître d'ouvrage qui estimerait que l'attestation n'a pas été faite correctement, mais aussi à une action récursoire de constructeurs condamnés ». Sans compter qu'à l'occasion d'un sinistre grave, occasionnant une perte humaine par exemple, « la responsabilité pénale de l'attestateur pourrait aussi être recherchée », relève le professeur en droit privé Hugues Périnet-Marquet.

Rôle du contrôleur technique. Autre spécificité dans les projets Essoc : la mission confiée à un contrôleur technique pour attester de la bonne mise en œuvre d'une SEE. « Nous l'avons standardisée et baptisée Amose, pour « assistance à la mise en œuvre d'une solution équivalente », explique Franck Pettex-Sorgue, président délégué construction du syndicat des organismes de prévention et de contrôle (Coprec). Cela facilitera l'obtention de la couverture nécessaire en RCD ». Car qui dit nouvelle mission dit nouvelle responsabilité… « et risque accru, ajoute-t-il : 90 % des sinistres résultent du chantier, or la mission Amose portera sur la bonne mise en œuvre de la SEE ». Mais, comme c'est déjà le cas hors Essoc, rappelle Me Gomez, « le contrôleur technique ne pourra être condamné que pour sa part de responsabilité, et pas in solidum avec les autres constructeurs vis-à-vis du maître d'ouvrage ».

« Essoc ne redistribue pas les cartes de la responsabilité. » Marie-Claire Bassette-Renault, directrice construction de SMABTP

Quid justement des conséquences pour les acteurs traditionnels d'un projet de construction ? A première vue, rien ne changerait. Mais… « Jusqu'à présent, le maître d'ouvrage n'est pas considéré comme un constructeur, soumis à la RCD, sauf dans des cas particuliers, par exemple lorsqu'il vend après achèvement, pointe Julie Gomez. Cependant, avec Essoc, on le place au cœur du dispositif. Il prend la décision, définit la SEE. On peut se demander si la jurisprudence ne pourrait le qualifier de constructeur. Et alors, dans les recours entre constructeurs, il pourrait supporter in fine une part de responsabilité. » Quant aux maîtres d'œuvre et entreprises de travaux, ils engageront classiquement leur responsabilité décennale, « dont il faut rappeler qu'elle est de plein droit : ils auront du mal à s'en exonérer dès lors qu'il y aura un désordre décennal, quand bien même le problème viendrait en réalité de la SEE », conclut l'avocate.

Sur le plan du coût assurantiel, les projets Essoc seraient des projets comme les autres

Dialogue avec l'assureur. Quel que soit le maillon de la chaîne concerné, un conseil revient systématiquement : travailler main dans la main, et en amont, avec son assureur. Côté maîtrise d'ouvrage, Alima Mial, conseillère juridique à l'Union sociale pour l'habitat, recommande au bailleur social souhaitant se lancer dans une SEE de communiquer pour avis à son assureur dommages ouvrage les futurs cahiers des clauses techniques particulières : « Les assureurs ont un devoir de conseil. » De même, pour le Cnoa, « le dialogue entre l'architecte et son assureur doit être engagé au plus tôt ».

Les assureurs se disent prêts et rappellent que le sujet de l'as-surabilité de projets Essoc ne doit pas être confondu avec celui de la couverture de « techniques non courantes » (TNC). Ainsi, martèle Michel Klein (MAF), « on peut faire de l'Essoc avec des techniques courantes, des matériaux traditionnels ». Et si un projet embarque néanmoins des TNC, celles-ci ne sont pas exclues par les polices des concepteurs, mais peuvent l'être par celles des entreprises de travaux. « Dans ce cas, les maîtres d'œuvre doivent vérifier si les entreprises sont couvertes pour la mise en œuvre de la solution, note-t-il. Car il ne faut pas se retrouver le jour du sinistre avec des coconstructeurs non ou mal assurés… » Pour Bérengère Joly, directrice juridique de la FPI, « les assureurs accompagnent déjà l'innovation, et le recours à une SEE ne devrait pas totalement bouleverser les conditions d'assurance des projets, dès lors que le sujet aura été traité dès la conception ». Quant à la question du coût assurantiel, les projets Essoc seraient des projets comme les autres… « C'est de l'analyse de risque classique, pointe SMABTP. Si le dossier révèle des risques aggravés, une tarification supplémentaire s'appliquera. » Aux acteurs à présent de s'emparer du dispositif. D'aucuns lui prédisent un avenir limité, faute de volontaires. D'autres le voient prospérer sous l'impulsion des industriels, désireux de pousser de nouveaux produits, parfois venus de l'étranger. Outre les domaines déjà explorés sous Essoc 1, ceux de l'accessibilité, de la sécurité incendie ou encore de l'acoustique (voire les trois combinés, pour résoudre des conflits de normes, par exemple pour l'installation de douches) pourraient être les prochains terrains de prédilection d'Essoc. Afin de faciliter le montage d'un projet complexe… ou d'introduire une innovation reproductible à grande échelle, gains substantiels à la clé !

 

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