Pourquoi les collectivités ont-elles décidé de prendre en compte la mesure du temps ?
Les politiques temporelles, qui ont émergé dès les années 1980 en Italie et à la fin de la décennie suivante en France, partaient du constat que nous ne sommes pas tous égaux devant le temps. Les uns peuvent en acheter, ne serait-ce tout simplement que sous forme d’heures de ménage. Ils peuvent aussi décider plus facilement de leur lieu de résidence alors que d’autres en revanche sont obligés d’habiter loin de leur travail et de passer beaucoup de temps dans les transports.
Pour y remédier, il existe des solutions variées. On peut repenser les horaires, comme l’ouverture de services administratifs, des bibliothèques, des piscines... Il est également nécessaire d’agir sur les moyens de mobilité et l’urbanisme. Ce sont autant de sujets qu’il faut traiter à l’échelle du territoire.
A-t-on réellement pris en compte l’aménagement urbain dans ces politiques ?
Au départ, la question de l’urbanisme a été centrale, d’autant que les recherches étaient portées par la Datar (l'ancienne Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, qui a existé de 1963 à 2014 NDLR.). L’expérimentation reposait sur une véritable ambition d’organisation du territoire, en grande partie motivée par le phénomène de l’étalement urbain.
Quatrième dimension
Pourtant, les premières actions en matière de politique temporelles n’ont pas été menées sur le sujet de l’aménagement, du moins pas dans tous les territoires. Peut-être notamment, parce que les principaux acteurs de ces politiques du temps n’étaient pas des urbanistes.
Pourquoi considérez-vous le temps comme un outil d’urbanisme ?
On connaît les trois dimensions du projet : la largeur, la hauteur et la profondeur. Le temps en représente une quatrième. Il permet une approche assez systématique des usages d’un bâtiment ou d’un espace public. En prenant en compte ce qui est possible le jour et la nuit, la semaine et le week-end, l’hiver et l’été, on peut imaginer une plus grande polyvalence des lieux. Cela nécessite d’anticiper les aménagements, par exemple de prévoir une place publique dotée un mobilier urbain amovible de façon à multiplier ses modes d’occupation. Ou alors, en matière de construction, d’envisager le long terme et de privilégier le poteau-poutre que les bâtiments soient modulables.
Dans un guide que nous avons publié en 2016, nous avons recensé un certain nombre d’exemples d’aménagements qui prennent en compte cette alternance d’usages, mais finalement sans jamais vraiment mentionner la notion de temps. En général, ces projets ont davantage été promus comme des opérations de mutualisation.
L’intérêt du concept de ville du quart d’heure, proposé par Carlos Moreno, n’est-il pas de mettre clairement cette question sur la table ?
On peut être critique sur le côté slogan mais nous sommes ravis de l’engouement que sa théorie suscite. Elle met au premier plan des sujets que nous défendons depuis longtemps.
En dehors d'une utilisation plus performante des lieux, elle plaide aussi pour le raccourcissement des temps d’accès…
Ce sujet est très important dans l’optique d’une réduction des inégalités entre les personnes, mais aussi en matière de santé, de lien social, d’autonomie. Les trajets courts, que l’on peut faire à pied, favorisent l’activité physique et permettent, par exemple, aux enfants d’aller tout seuls à l’école.
Cartographie rennaise
Dans l’agglomération de Rennes, en 2014, nous avions établi une cartographie inspirée de la méthode des «20-minute Neighborhoods» de la ville américaine de Portland : elle nous a permis de voir dans quelle mesure les habitants pouvaient rejoindre, dans un laps de temps qui tournait déjà autour du quart d’heure, aux commerces et aux services du quotidien.
Nous en avions ainsi tiré le constat que si les résultats étaient bons dans les zones les plus denses, des secteurs comme le campus universitaire ou le CHU étaient plus loin de ces usages, alors qu’ils concentrent des milliers de personnes en journée. Par la suite, une commune de l’agglomération qui hésitait entre deux zones pour lancer une opération d’urbanisation s’est appuyée sur cette étude pour faire son choix.