Pierre Lescaut : Il s’agit en réalité un retour aux sources. Hormis une courte période, notre entreprise est depuis sa création en 1957 dirigée par un binôme aux profils complémentaires. Cette direction à deux têtes reflète l’étendue de la palette de Setec, aussi bien en termes de métiers et que de secteurs géographiques. Elle va également nous permettre de mieux couvrir la troisième période de transition que nous amorçons.
Michel Kahan : La 1ère période s’étend de la création de l’entreprise par Guy Saias et Henri Grimond jusqu’à la fin des années 90. Durant ces quelque quarante années, Setec a développé son excellence technique au contact des grands programmes français, par exemple l’extraordinaire projet du tunnel sous la Manche. La deuxième période correspond à une période d’ouverture. Setec a pu profiter de l’ouverture à l’ingénierie privée des grands monopoles nationaux d’infrastructures : autoroutes et voies ferrées. Nous avons alors connu une période de forte croissance et avons pu participer à de très grands projets complexes. Nous avons aussi bénéficié de la création de RFF : elle a permis à l’ingénierie privée ferroviaire de se développer en se voyant confier de plus en plus de prestations jusqu’à des maîtrises d’œuvre complètes incluant infrastructures et équipements ferroviaires. Les dernières illustrations en date étant les LGV Rhin-Rhône et Est Phase II en maîtrise d’œuvre, Bretagne Pays de la Loire aux côtés d’Eiffage et le Contournement de Nîmes-Montpellier aux côté de Bouygues. Ces références de très haut niveau nous ont également ouvert un peu plus le marché de l’export.
La troisième période que nous entamons part d’un constat : le rythme et le nombre de nouveaux projets sur le marché français vont aller décroissant. Tout en maintenant notre présence sur le territoire national, il s’agit maintenant d’accroître notre présence à l’international. Nous allons mettre à profit l’expérience accumulée ces quinze dernières années pour nous présenter sur des gros projets à l’export, en particulier sur les projets ferroviaires urbains, interurbain, de métro ou de LGV.
P.L: En France, nous avons d’ailleurs la chance d’être bien positionné sur le Grand Paris. Nous assurons les maîtrises d’œuvre des infrastructures du prolongement d’Eole entre la Gare Saint-Lazare et La Défense et du tronçon Sud-Ouest de la ligne 15 du Grand Paris Express. Nous participons également à la maîtrise d’œuvre système du projet global.
Par ailleurs, nous sommes signataires du très gros contrat des lignes 4,5 et 6 du métro de Ryiad, en Arabie Saoudite. Au sein du groupement FAST, nous assurons le management du projet et l’ingénierie. Le contrat pour le groupement s’élève à 7,89 milliards de dollars sur un total de 18 milliards d’euros. Le métro de Ryiad, c’est le Grand Paris réalisé en cinq ans !
Mais bien que le domaine des transports et des infrastructures représente la moitié de notre activité, nous sommes très actifs dans le bâtiment, dans lequel nous avons quelques belles références.
M.K: Exactement. La fondation Louis Vuitton, pour laquelle nous avons assuré la maîtrise d’œuvre (et obtenu le Grand prix national de l’ingénierie en 2012 ndlr), est peut-être la plus extraordinaire. Nos ingénieurs prennent énormément de plaisir à travailler sur des ouvrages aussi techniques et emblématiques. Ils en tirent à raison une énorme fierté. Même si une fois le projet terminé, il n’est jamais évident pour eux d’enchaîner sur des projets plus « banals » ! Mais il n’y a malheureusement pas que des ouvrages exceptionnels, et nos ingénieurs doivent pouvoir être aussi performants sur des ouvrages moins techniques, mais qui peuvent offrir des challenges en termes de satisfaction de nos clients et de délais.
P.L: Oui, et c’est même un des bouleversements de ces dix dernières années. Les projets se réalisent beaucoup plus rapidement. Nous devons ainsi mobiliser davantage de personnes et concentrer nos efforts sur un temps plus court. C’est un défi en termes d’organisation, mais cela impacte aussi les métiers en profondeur : nos ingénieurs doivent à la fois être très performants sur leurs spécialités mais ils doivent aussi posséder un esprit suffisamment large pour appréhender le projet dans sa globalité.
M.K: Setec a hérité de son passé une présence globale sur les projets : nos missions nous conduisent tantôt à assister le maître d’ouvrage, tantôt à être maître d’œuvre aussi bien sur la partie conception que sur le suivi du chantier. Chez nous, un ingénieur doit être passé sur chacune de ces catégories de prestations avant de pouvoir être responsable de projet. C’est confronté à la réalité du chantier, au contact des entreprises et des maîtres d’ouvrage, que l’on apprend à gérer les interfaces avec fluidité.
P.L:Le groupe appartient à 100% à ses salariés, ce qui nous permet notamment de choisir avec une grande liberté nos partenaires, nos activités et les zones géographiques dans lesquelles nous souhaitons être présents. Sur les 2 400 collaborateurs que nous comptons, un peu moins de 500 sont actionnaires. Ils se répartissent dans les trente-neuf sociétés du groupe, qui ont leurs propres activités et leurs propres dirigeants. Chaque responsable-actionnaire est ainsi intéressé par les résultats de sa propre activité et par ceux du groupe. Ceci facilite évidemment le travail en mode projet, puisque il y a convergence entre l’intérêt du groupe et l’intérêt de chacun.
P.L: Certainement. Le fait de pouvoir constituer rapidement une équipe conséquente, à forte valeur ajoutée, sans la lourdeur administrative et de fonctionnement de sociétés d’ingénierie de grande taille, comme les ingénieries anglo-saxonnes, est un bon argument pour l’export. Setec a toujours accompagné des partenaires constructeurs et exploitants partout dans le monde. Aujourd’hui, l’export représente 20% de notre activité. Nous sommes présents sur quatre continents (Afrique, Europe, Amérique, Asie). Avec la Russie, le Brésil est notre plus grande implantation. Nous y avons récemment acquis la société Hidrobrasileira, active sur les projets d’infrastructures, au moment où les transports urbains sont en plein boom dans le pays : nous avons gagné des contrats sur deux lignes du métro de Sao Paulo, une ligne de fret ferroviaire dans le centre du Brésil, ou encore un BHNS à Brasilia. Le Brésil constitue aussi une base avancée pour nous développer dans les pays voisins, comme le Pérou et la Colombie.
Nous rayonnons également sur l’ensemble du Moyen-Orient grâce à notre implantation au Qatar. C’est grâce à celle-ci que nous avons pu décrocher notre contrat sur le métro de Ryiad. Ce projet est un formidable accélérateur pour nous au Moyen-Orient : nous avons depuis été sollicités pour des projets de métros au Qatar, au Koweit, et en Arabie Saoudite (La Mecque) et des lignes ferroviaires à Oman. Le contrat de Ryiad nous a également permis de diversifier nos partenariats, puisque nous y œuvrons aux côtés de grands constructeurs sud-coréens, turcs, italiens, ou espagnols.
M.K: Il y a bien sûr les projets de métros parisiens déjà cités et, au-delà, le Canal Seine Nord Europe, Lyon-Turin ferroviaire, les lignes nouvelles ferroviaires Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Dax, de Provence Côte d’Azur…) mais quand précisément ces projets seront-ils enclenchés ? Il nous faut donc trouver des relais de croissance différents. Notre pays dispose d’un bon niveau d’équipement, et il est évident que l’entretien, la maintenance du patrimoine existant est un sujet qui va prendre de l’ampleur. Aujourd’hui par exemple, les missions d’expertises sur les ouvrages ne sont plus assurées par les services du Ministère de l’Ecologie mais par l’ingénierie privée. Nous constituons une offre sur l’ingénierie de la construction durable basée sur un credo : prédire, prescrire et entretenir.
M.K: Cette réunification est pour nous un nouveau challenge. Le sujet prioritaire des prochaines années pour le GIU sera l’amélioration des infrastructures existantes, qui concerne des projets petits mais complexes car intimement liés aux questions d’exploitation et de sécurité. Il y aura donc un partage des tâches intelligent à trouver entre l’ingénierie de la SCNF et l’ingénierie privée, dont les apports seront complémentaires. La maîtrise d’œuvre privée n’aura plus ce rôle d’ensemblier qu’elle a pu avoir sur les grands projets. Elle sera maître d’œuvre de « blocs projets », qui sont des éléments de projets insérés dans des projets plus globaux qui seront pilotés par SNCF Réseau. Si les opérations mettent du temps à se mettre en place, nous menons une discussion nourrie avec le GIU au travers de Syntec Ingénierie, et nous avons la conviction de pouvoir avancer rapidement sur ces sujets-là.
M.K: Nous considérons que l’innovation est un accélérateur de notre développement. Nous la promouvons au travers des Setec Labs, que notre Président, Gérard Massin, a créés il y a un an. Ces structures originales s’appuient sur des collaborateurs auxquels on donne du temps pour réfléchir, prospecter et créer des partenariats autour de sujets et de problématiques nouvelles. Une fois l’idée suffisamment mature, nous développons un business ad hoc.
P.L: Oui. Un jeune ingénieur a déjà pu développer et promouvoir un nouveau concept dans le domaine de l’efficacité énergétique. Il est parti du constat qu’avec l’arrivée des nouveaux fournisseurs d’énergie, les profils énergétiques allaient devenir des éléments indispensables aux clients pour maîtriser et optimiser leurs consommations énergétiques. Ainsi est né le Setec Smart Efficiency, une offre qui, mettant à profit notre connaissance du comportement des bâtiments, permet aux clients de mieux piloter leurs consommation énergétique, le tout à distance via le web.
P.L: Depuis 2005, grâce aux grands projets d’infrastructures français, nous avons bénéficié d’une forte croissance. Nous sommes passés en 8 ans d’un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros à 265 millions en 2013. Alors que nous croissions de 10% en moyenne par an et à périmètre constant durant cette période, nous visons désormais, du fait de la dégradation de la conjoncture en France, quelques pourcents de croissance. L’objectif est de stabiliser l’activité dans l’Hexagone et de réaliser une croissance à deux chiffres à l’international, notamment sur les zones à fort potentiel que sont le Moyen-Orient, le Brésil et la Russie. Mais notre stratégie ne vise pas à faire du volume pour du volume, nous continuerons à chercher des projets sur lesquels nous savons que nous allons pouvoir apporter de la valeur ajoutée.