Charbon, pétrole, gaz de schiste… Depuis fin 2023, Egis déploie une politique d'exclusion en matière environnementale. « Notre plan global de transformation comprend un volet sur l'évolution de notre portefeuille d'activités qui consiste à nous positionner sur des marchés clés en matière d'énergie décarbonée, mais aussi à être plus sélectifs dans nos choix », contextualise Hubert Kieken, directeur climat du groupe. L'idée n'est pas d'exclure des secteurs, mais une typologie de marchés bien spécifiques. « Ainsi, sans pour autant bannir tous les projets en lien avec les énergies fossiles, il s'agit de renoncer à ceux visant au développement du charbon thermique et de nouveaux champs pétroliers ainsi que des énergies non conventionnelles (gaz de schiste, schistes bitumineux…) », cadre Hubert Kieken. Sur le registre de la biodiversité, en cas d'impact sur les habitats critiques, le groupe s'interdit de se positionner si le client ne met pas en œuvre le niveau le plus élevé de mesures de remédiation et de compensation, « autrement dit si le projet n'est pas conduit selon les meilleurs standards du monde », spécifie le directeur climat. Un an et demi après son lancement, les collaborateurs d'Egis se sont approprié la démarche d'exclusion. Elle est désormais intégrée au processus d'évaluation des appels d'offres aux côtés des critères économiques, techniques ou encore liés à la disponibilité du personnel.
De nombreuses sociétés d'ingénierie, pour leur part, raisonnent exclusivement au cas par cas avant de s'engager, à l'image d'Artelia. Le groupe a mis en place une grille d'analyse ESG qui intègre les six critères de la taxonomie verte européenne (atténuation du changement climatique et adaptation à ce dernier, protection des ressources aquatiques et marines, transition vers une économie circulaire, contrôle de la pollution et protection de la biodiversité), auxquels il a ajouté deux facteurs : les impacts socioculturels et les risques en matière de réputation pour l'entreprise. « Dans la mesure où chaque cas est unique, nous nous interrogeons à l'aune de ces différents critères par rapport au projet du client - est-il favorable, neutre ou défavorable ? -, mais aussi au regard de notre potentielle contribution, qui peut porter sur la totalité du projet ou simplement sur une sous-partie », développe Anne-Laure Paté, directrice RSE d'Artelia. Cette double évaluation permet ainsi au groupe de se positionner sur la pertinence de la réponse à un appel d'offres. Chaque année, cette analyse préalable écarte environ une vingtaine de programmes significatifs sur la base des informations disponibles au stade de la consultation. « L'analyse peut conduire à identifier un ou plusieurs critères a priori défavorables pour lesquels nous cherchons le cas échéant à proposer un plan d'action, sachant que notre appréciation doit aussi tenir compte des contextes locaux et des besoins des populations », précise Jean-François Kalck, directeur activité environnement et président du comité RSE. Un exemple : la construction d'un barrage ne sera pas sans effets sur la biodiversité, mais permettra d'apporter de l'électricité dans des zones qui en sont dépourvues, et, de la sorte, de contribuer à la transition énergétique du pays.
Apporter une valeur ajoutée au projet du client
On retrouve la même philosophie chez Setec. « Nous avons mis en place un processus de “go/no go” qui constitue l'un des piliers de notre démarche Ingénieurs et Citoyens et vise à garantir le respect de nos valeurs RSE dans nos pratiques », expose Daniela Burla, directrice du développement durable. « Nous nous posons quatre questions autour de l'utilité du projet pour les communautés locales, de notre perception de la sensibilité du client sur les enjeux environnementaux et sociétaux, mais aussi de nos marges de manœuvre pour limiter les impacts négatifs, ainsi que des risques pour notre réputation », liste-t-elle. Et d'ajouter : « Rien n'est tout noir ou tout blanc : nous sommes souvent dans une zone grise. Ce qui nous intéresse est de débattre pour faire émerger une conscience collective. » En 2024, ce processus de go/no go a été activé une centaine de fois au sein de Setec. A l'instar de ses homologues dans l'ingénierie, Daniela Burla insiste sur l'importance d'apporter une valeur ajoutée au projet du client. « Alors que les ambitions écologiques ont rétrogradé aux niveaux national et international, nous souhaitons conserver le cap en améliorant notre capacité à proposer des solutions alternatives plus vertueuses pour la société et l'environnement. » Cette incarnation des valeurs des employeurs répond aussi à des attentes croissantes de leurs employés et des candidats au recrutement. « La mise en œuvre d'une politique cohérente et pleinement assumée est perçue comme un élément de fidélisation pour nos collaborateurs, mais également d'attractivité à l'embauche », confirme Hubert Kieken. Artelia a pour sa part intégré ce paramètre dans sa marque employeur, qui comprend ainsi un pilier « impact positif ». « Il ne suffit pas d'avoir convaincu les nouveaux embauchés de nous rejoindre. Ils resteront si nous leur proposons de contribuer à des programmes qui donnent du sens à leur métier et qui sont en lien avec leurs valeurs », pointe Anne-Laure Paté.
Or, il advient de temps à autre qu'un ingénieur exprime son malaise vis-à-vis d'un projet contraire à sa propre éthique environnementale. Chez Artelia, les formations dispensées chaque année consacrées aux risques éthiques visent, entre autres, à libérer la parole sur ces sujets, afin que chaque salarié puisse si besoin faire part de ses doutes et ne pas rester seul face à une situation délicate. « Nous respectons qu'un collaborateur puisse exprimer le souhait de ne pas être mobilisé sur un projet en particulier, mais il convient de trouver la juste mesure : ce cas de figure doit demeurer occasionnel », réagit Jean-François Kalck.
Tout salarié peut en outre, de manière anonyme si besoin, saisir un comité éthique de toute question dans les domaines des affaires, de l'environnement ou encore des droits humains. Composé d'une dizaine de personnes de différents profils dont une partie externe à l'entreprise, il émet des avis que le comité exécutif examine dans le cadre de ses prises de décisions.
« Exprimer son avis et ses réserves »
« En matière de développement durable, nous sommes régulièrement interpellés par nos collaborateurs », reconnaît Daniela Burla. « Ce fut par exemple le cas pendant plusieurs années pour une partie d'entre eux au sujet de notre participation au génie civil de projets nucléaires. A l'époque, certains ont même exprimé leur souhait de ne pas intervenir : nous leur avons proposé d'autres missions, sans jamais les y contraindre. Aujourd'hui, ces projets sont largement acceptés », relate-t-elle. Setec privilégie la pédagogie. Parmi les outils, un Mooc est en préparation pour expliquer aux salariés les grands principes de la démarche RSE du groupe et de l'environnement dans lequel il évolue. « Chacun est libre d'exprimer son avis et ses réserves. Nous nous efforçons dans ce cas de rassurer nos collaborateurs par la discussion et de lever leurs doutes », indique Biljana Kostic, DRH. La professionnelle des ressources humaines en convient : « Nous ne convaincrons probablement pas l'intégralité de nos 4 000 collaborateurs, car certains estimeront peut-être que nous n'allons pas assez loin ni assez vite en matière de RSE. Mais nous misons sur la politique des petits pas ».
« Eviter la dissonance cognitive au sein de nos équipes », Raphaël Ménard, président du directoire d'Arep
« La règle, chez Arep, est de rechercher la cohérence avec notre engagement post-carbone et d'éviter la dissonance cognitive au sein de nos équipes, souvent très engagées sur le plan environnemental.
Avant de nous lancer dans un projet, nous l'examinons au regard de différents critères. Par exemple, quel impact sur l'artificialisation des sols ? Parle-t-on de réhabilitation, de transformation ou de neuf ? Surtout, aurons-nous des marges de manœuvre pour mettre en œuvre un “juste” programme : rester sobres en surfaces, en énergie, en carbone et en matières ? Evidemment, les projets cochent rarement toutes les cases. Quid d'un parking silo sur un sol agricole, mais pour une nouvelle ligne de tramway ? De nouvelles stations de métro, mais dans un pays et pour un client a priori peu regardant sur les questions environnementales ? L'équipe dirigeante se prononce au cas par cas. Nous n'avons pas formalisé de “ligne rouge”, mais nous n'apportons pas notre concours à des infrastructures aéroportuaires ou de nouveaux grands projets urbains greenfield. »