Sur le chantier d'une passerelle de liaison entre la future gare du Grand Paris Express à Orly et le terminal 2 de l'aéroport, Bouygues Construction a récemment coulé un béton d'un genre un peu particulier. Il entre en effet dans la composition du ciment 20 % de métakaolin issu d'une argile calcinée et utilisé en substitut du clinker. Développé en approche performantielle (selon le fascicule 65 du CCTG travaux), ce minéral doit permettre une réduction de 30 % des émissions carbone par rapport à un produit traditionnel.
« Nous avons jugé qu'il était important de travailler sur le ciment sans clinker, mais aussi sans laitier de hauts-fourneaux. La disponibilité de ce substitut reste en effet trop dépendante de l'évolution et des rendements de l'industrie sidérurgique, contrairement à la kaolinite dont plusieurs gisements sont présents en France et ailleurs dans le monde, explique Christian Cremona, directeur du pôle ingénierie matériaux et de la R & D matériaux et structures de Bouygues Construction. Nous en produisons d'ailleurs avec Argeco, une filiale de Colas dans le sud de la France. »

Calcination rapide. « Flashée » à 700 °C dans ces fours verticaux, cette argile ne dégage pas de CO2 et se révèle très peu énergivore. Elle présente donc un bilan carbone très intéressant, mais aussi des propriétés cimentaires qui ont amené Bouygues Construction à développer, en 2019, avec Hoffmann Green Cement Technologies et Chryso, un ciment comprenant 50 % d'argile calcinée en substitut du clinker. Nommé H-EVA, il promet une réduction de 65 à 70 % des émissions de CO2 par rapport à un CEM I.
« Ici, le métakaolin joue le rôle de précurseur (aluminosilicate) et les 50 % restants sont une composition de sulfate de calcium et d'oxyde de calcium qui intervient en activateur. Ce que l'on appelle un liant ettringitique par voie alcaline », détaille Christian Cremona. « La réaction de l'aluminosilicate avec l'oxyde et le sulfate de calcium va produire de l'ettringite non nocive et des silicates de calcium hydraté (CSH) qui donneront au ciment sa résistance et permettront son durcissement. » Les caractéristiques particulières de ce ciment ont poussé les partenaires à travailler sur la formulation du béton et notamment sur sa rhéologie. Afin d'identifier une adjuvantation permettant de disposer d'une consistance suffisante, « nous avons coulé au mois de mai dernier une dalle sur la nouvelle usine H2 du site d'Hoffmann à Bournezeau (Vendée), et nous envisageons à court terme plusieurs expérimentations sur nos chantiers », poursuit Christian Cremona.
« Il faut imaginer travailler à terme avec d'autres types d'argiles calcinées, disponibles localement. » Christian Cremona, Bouygues Construction. « La solution étant désormais fiabilisée et stable, nous sommes entrés depuis le début de l'année avec Hoffmann Green Cement Technologies dans une phase de certification. Elle comprend la réalisation d'essais à grande échelle pour obtenir une évaluation technique de produits et de matériaux (ETPM) permettant une mise sur le marché, et des appréciations techniques d'expérimentation (Atex) pour passer du matériau à un élément fonctionnel d'un ouvrage », précise le responsable
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« Un premier pas ». Le but désormais pour Bouygues Construction est en effet de prouver que la solution offre une performance analogue ou supérieure à celle des bétons formulés avec un ciment normé, et de démontrer que les éléments de structure qui l'emploient répondent également à toutes les exigences des performances : résistance au feu, conséquence du fluage sur le dimensionnement…
« H-EVA constitue un premier pas dans l'utilisation d'argiles calcinées dans les ciments, et le métakaolin est l'une des plus intéressantes d'un point de vue physico-chimique. Néanmoins, on ne doit pas s'y limiter et il faut imaginer travailler à terme avec d'autres types d'argiles calcinées, peut-être moins réactives, mais disponibles localement. Cela nécessite encore de nombreuses études », concède Christian Cremona qui rappelle d'ailleurs que la liste des candidats crédibles pour se substituer au clinker dépasse de loin les seules argiles.
« Il existe plusieurs exemples, comme l'addition de poudre de verre à laquelle Bouygues Construction s'est intéressé il y a un certain temps, rappelle-t-il. On peut aussi citer le biochar, des résidus de la pyrolyse de biomasse, sur lequel travaille notamment Vicat. Les cendres volantes font quant à elles partie depuis longtemps de ces options possibles. Mais attention, il ne faudra pas à l'avenir se limiter à des mono-additions ou mono-substituts du clinker, en utilisant uniquement du laitier ou du métakaolin, mais privilégier, comme le font les derniers ciments normés, des solutions à bi-additions », conclut Christian Cremona.