La réglementation environnementale du bâtiment (RE 2020) en avait déjà fait l'un de ses trois indicateurs clés, et la récurrence des canicules le place au devant de la scène : ces derniers mois, le confort d'été tendrait même à devenir un argument dans la promotion des isolants. « Des clients distributeurs nous demandent de mettre en avant les valeurs de déphasage de nos produits dans leurs catalogues, comme si cela suffisait à assurer une performance pendant les pics de chaleur », se désole un industriel majeur. Si cette dérive marketing ne doit pas occulter la question de la contribution des isolants au confort d'été, cette dernière se heurte encore à l'absence d'un « cadre scientifique fondé qui permette de trancher », comme le résume Stéphane Hameury, en charge de la direction « Enveloppe du Bâtiment » au CSTB.

Le confort d'été reste une problématique multifactorielle, pour laquelle la plupart des bureaux d'études abordent la nature du matériau isolant comme un facteur secondaire. « Pour limiter la température intérieure, on joue sur l'addition de leviers passifs, avec en priorité la performance thermique de l'enveloppe et la présence de protections solaires, rappelle David Lebannier, responsable de l'activité conseil construction au sein du bureau d'études Pouget Consultants. S'y ajoutent d'autres paramètres comme la possibilité d'avoir un plan traversant pour la ventilation naturelle, l'orientation et la taille des ouvertures, ou encore la couleur et la nature des matériaux utilisés en façade. » L'isolant contribue au premier des facteurs cités, mais son rôle doit s'envisager « dans la conception globale de l'enveloppe, en tenant compte de son positionnement sur l'ouvrage et des matériaux utilisés en gros œuvre », rappelle encore Stéphane Hameury.

La capacité d'une paroi à éviter la surchauffe dépend au premier chef de son inertie - directement corrélée à son poids - et de son temps de déphasage, c'est-à-dire de sa capacité à freiner et à amortir l'onde de chaleur assez longtemps pour que les calories soient relâchées la nuit plutôt qu'au pic de température. Sachant que les isolants les plus pondéreux (hors solutions terre) dépassent rarement les 55 kg/m3 , à comparer aux 1,5 à 2,5 t/m3 du béton, ce n'est pas tant l'inertie que les industriels mettent aujourd'hui en avant, que le potentiel de déphasage.

Un impact en structure légère. Cette valeur se calcule à partir de deux critères, la densité et la capacité thermique massique. A priori, un isolant présentant un long temps de déphasage devrait contribuer à réduire la température à l'intérieur du bâtiment en période de canicule. Une note publiée en janvier 2022 par Bruno Peuportier, directeur de recherche au sein du Lab recherche environnement co-porté par Vinci et ParisTech, relativise toutefois cet impact. L'étude utilise la simulation thermique dynamique pour comparer différents isolants et parois, à performance thermique égale. Pour une structure lourde, avec des murs et des planchers en béton ou en pierre, les températures constatées après une semaine de canicule varient de moins de 0,5 °C selon que l'isolation a été réalisée en laine minérale, en laine de bois, ou en associant laine de bois et terre crue. « Le changement d'isolant n'a que peu d'effet dans le cas d'un bâtiment inerte », résume Bruno Peuportier.

L'analyse est différente dans le cas d'une structure légère de type ossature bois. Dans l'étude menée par Bruno Peuportier, l'utilisation de la fibre de bois permet d'abaisser jusqu'à 1,5 °C la température par rapport à une isolation en laine de verre, en restant toutefois à des niveaux supérieurs aux seuils définis par la RE 2020. L'association entre laine de bois et terre crue se révèle plus efficace, en faisant perdre jusqu'à 1 °C supplémentaire. Le choix d'un isolant à long déphasage est aussi intéressant dans les configurations de bâtiment où il est impossible de traiter l'intégralité de l'enveloppe. « Si l'on isole les seuls combles, les simulations montrent que le choix d'un matériau à forte densité permettra de faire baisser la température de quelques degrés, mais sans résoudre totalement la problématique de surchauffe en période de canicule », rapporte David Lebannier, pour Pouget Consultants.

Les calculateurs de la RE 2020 en débat. La contribution des isolants au déphasage est également débattue sur le plan méthodologique. Dans son récent livre blanc sur le confort d'été, l'Association des industriels de la construction biosourcée (AICB) demande une « amélioration des calculateurs de la RE 2020 » pour mieux prendre en compte les qualités des matériaux les plus denses. « La méthode la plus utilisée par les bureaux d'études est forfaitaire, ce qui ne permet pas d'intégrer la capacité thermique massique des isolants biosourcés à leur juste valeur, constate Yves Hustache, délégué général de l'AICB. De même, leur contribution à la régulation hydrique de l'ouvrage n'est pas prise en compte, faute de données suffisantes. » On parle ici des propriétés hygrothermiques des isolants biosourcés, c'est-à-dire leur capacité à absorber et à stocker l'humidité quand elle est en excès, pour la restituer lorsque les températures remontent, au bénéfice du confort de l'usager. Un programme de recherche mené avec le FCBA, le Lermab et Karibati doit permettre de les mettre en évidence en apportant les données scientifiques manquantes.

Un point fait consensus parmi les industriels : le besoin de pousser la R & D pour améliorer la connaissance scientifique du sujet. « Vu les attentes croissantes du marché, il nous faut objectiver le débat, résume Amaury Omnès, président de l'Association française de l'isolation en polystyrène expansé pour le bâtiment (Afipeb). Mais le fait que la qualité de l'enveloppe soit l'un des facteurs clés du confort d'été est déjà un argument pour l'isolation thermique en général, tous matériaux confondus. » Une piste pourrait être la définition par l'Association pour la certification des matériaux isolants (Acermi) d'un indicateur dédié, qui ne se limiterait pas à la seule valeur de déphasage.
