Pic de croissance pour le béton de chanvre

L'extension des règles professionnelles doit permettre à cet isolant bio sourcé d'être employé sur des bâtiments plus hauts.

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Un échafaudage permet de le couler à pied d’œuvre, sur un mois et demi.

L'espoir se concrétise enfin pour la filière du béton de chanvre. Suite à leur passage en Commission prévention produits (C2P) en mai dernier, les nouvelles règles professionnelles devraient prochainement paraître au « Journal officiel ». Elles vont permettre au matériau d'être mis en œuvre comme isolant sur des bâtiments de 3e famille B, c'est-à-dire des immeubles d'habitation jusqu'à 28 m de hauteur, et sur les établissements recevant du public (ERP) toutes catégories.

Il s'agit d'un progrès de taille pour la filière puisque, depuis 2012, les constructions employant du béton de chanvre étaient limitées en R +2 + combles, ainsi qu'aux plus petits ERP, ceux de 5e catégorie. Pour faire évoluer les règles, « nous avons fourni depuis 2017 de multiples éléments de preuves à l'Agence qualité construction (AQC) : des tests pour confirmer la résilience à la migration d'humidité, des analyses sur le comportement face au vieillissement et surtout un essai sur un local expérimental pour incendie réel à deux niveaux (Lepir 2) validé en février 2021, qui atteste de la capacité du matériau à empêcher la propagation du feu par les façades pendant au moins une heure. Autant d'éléments qui ne sont pas réclamés systématiquement pour les matériaux conventionnels », énumère Philippe Lamarque, président de l'association Construire en chanvre ainsi que de la société de préfabrication Wall'Up Préfa.

Réserves. Malgré toutes ces validations, quelques réserves persistent. « Au-dessus du R + 4, l'ouvrage devra être soumis à des tests air, eau, vent (AEV), identiques à ceux nécessaires à la mise en œuvre des menuiseries, explique-t-il. Les règles professionnelles ne s'appliquent pas non plus au marché de la rénovation énergétique avec une isolation thermique par l'extérieur (ITE), car les connaissances scientifiques restent lacunaires quant au comportement de l'interface entre le panneau de chanvre en ITE et le support ancien. » Les constructeurs spécialisés n'ont pour autant pas attendu l'évolution de ces règles pour mettre le matériau en œuvre en hauteur. Ainsi, un immeuble édifié en 2020, rue de Bellevue à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), doté d'une façade en béton de chanvre projeté sur une structure béton, atteint le R + 8. L'agence d'architecture North by Northwest et le bureau d'études LM Ingénieur ont trouvé une astuce réglementaire, en recoupant les façades d'une lisse de bois tous les trois étages, ce qui a permis de considérer l'ouvrage comme un empilement de logements. Il s'agissait d'une première en Europe.

Laurent Mouly, associé de LM Ingénieur, réalise cette année encore six chantiers en chanvre, notamment l'immeuble Pradier en R + 6 dans le XIXe arrondissement de Paris pour Sequens. Et il voit les demandes croître, même si elles ne représentent toujours qu'une niche avec 0,7 % des parts de marché de la construction neuve contre 0,2 % il y a dix ans. Avec la hausse du nombre de mises en œuvre, il craint « une augmentation des malfaçons » tout en observant « un blocage de la part des bureaux de contrôle dans cette période de transition pour la filière ».

Deux ans pour faire ses preuves. L'ingénieur espère le voir disparaître avec l'arrivée des nouvelles règles professionnelles auxquelles sont associées des obligations de formation aussi bien pour les entreprises que pour les maîtres d'œuvre. « Ce saut qualitatif sur l'encadrement de la mise en œuvre doit nous permettre d'accéder à un marché plus large », projette Philippe Lamarque, qui remettait d'ailleurs mi-juin les premiers prix nationaux de Construire en chanvre. La filière dispose désormais de deux ans pour faire ses preuves, puisque les experts devront repasser devant la commission C2P avec leurs retours d'expériences de manière à valider un certain nombre de prérequis.

Préfabrication : dissocier pour assurer

A Nantes (Loire-Atlantique), au sein du projet urbain de la caserne Mellinet, le programme Matera comprendra 81 habitations en R + 6. Il s'agit de la première opération de logements en France à employer du béton de chanvre sur structure bois à une telle hauteur mais aussi sur toute l'enveloppe. Au début de la conception en 2019, le choix du matériau biosourcé a nécessité de nombreuses études.

« Lors du premier dépôt de permis de construire, plus de 130 points techniques ont été suspendus et ont dû faire l'objet de mises au point pour garantir l'assurabilité du bâtiment : sécurité incendie, résistance sismique et aux fissures, protection à l'eau… » se remémore Franck Dibon, architecte associé de l'Atelier Ramdam. Le système préfabriqué produit par Wall'Up Préfa depuis mi-2021 a finalement pu être mis en œuvre.

La structure poteau-poutre et les dalles en bois sont dissociées des modules de façade autoportants pour éviter toute transmission en cas d'incendie. L'ajout de corniches en façade, sur la base de l'essai Lepir 2, garantit aussi la non-propagation du feu et la protection à l'eau. Autant de dispositions qui ont permis d'obtenir l'avis de chantier. Eric Gerard, directeur général d'Iceo, maître d'ouvrage, confie : « Nous avons poussé les curseurs pour faire de ce projet un démonstrateur.

Notre objectif est d'ouvrir la voie à des processus industrialisés grâce à un grand volume de commandes. »

 

Informations techniques

Maîtrise d'ouvrage : Nantes Métropole Aménagement, Bati-Nantes et Iceo.

Maîtrise d'œuvre : Atelier Ramdam et Palast (architectes). BET : Can-Ia (béton de chanvre), Solab (environnement).

Entreprises : Aux Charpentiers de France (charpente et façade), Wall'Up Préfa (béton de chanvre). Bureau de contrôle : Socotec.

Labels : E + C- niveau E3 C1, Biosourcé niveau 3 (104 kg CO /m² SP). Surface : 6 392 m² SP. Livraison : 2e trimestre 2025.

Montant des travaux : 14,5 M€ HT.

Banchage : coffrer pour protéger

Dans une cour étroite du XVIIIe arrondissement de Paris, à l'arrière de la rue de Clignancourt, les façades en ossature bois sur six étages seront bientôt remplies de béton de chanvre. Point particulier de ce chantier de démolition-reconstruction, le matériau est banché, puis coulé en place en continu par tranche de 1,50 m de haut sur 26 cm d'épaisseur. La hauteur du projet dépassant le cadre des règles professionnelles qui limitent la construction au R+ 2, « le bureau de contrôle a remis en cause la capacité du chanvre à protéger les assemblages métalliques du feu malgré le succès de l'essai Lepir 2 », déplore Augustin Rosenstiehl, associé de SOA Architectes, maître d'œuvre.

Après un arrêt, les travaux ont pu reprendre avec la mise en œuvre du béton de chanvre entre deux plaques de Fermacell côté intérieur pour limiter la propagation du feu et un coffrage perdu en extérieur. Des barrettes recoupent la façade. « Grâce au coffrage, le banchage apporte une finition plus lisse que du béton projeté. Même si cette méthode nécessite une mise en œuvre plus longue, elle s'avère plus facile, plus propre et plus avantageuse sur le coût global de l'opération », estime Ayoub Boukane, chef de groupe travaux chez Tempere Construction, en charge de la construction de l'immeuble.

Le projet, qui vise à construire 44 chambres pour les Compagnons d'Emmaüs, reprend l'esthétique de l'îlot haussmannien dans lequel il s'insère. Côté cours, sa façade enduite de sable-chaux rappelle celle d'origine, tandis qu'à l'avant, la pierre massive porteuse est réinterprétée grâce à un jeu d'engravure à la scie.

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Informations techniques

Maîtrise d'ouvrage : Emmaüs Habitat. Maîtrise d'œuvre : SOA Architectes (mandataire). BET : Sibat (technique), Orfea (acoustique). Entreprises principales : Tempere Construction, Kota Bâtiment (chanvre). Bureau de contrôle : BTP Consultants. Label : NF Habitat HQE. Surface : 1 150 m² SP.

Livraison : décembre 2024. Coût de travaux : 3,2 M€ HT.

Vers la reconnaissance des performances hygrothermiques

Livrés en janvier dernier, les huit appartements en béton de chanvre sur ossature bois situés rue du Petit-Musc à Paris (IVe ) seront instrumentés pendant cinq ans. L'objet de ce suivi, réalisé dans le cadre du projet de recherche Pythagore, piloté par le Codem, est d'évaluer et de modéliser les performances des parois. Concrètement, des sondes mesureront à intervalle régulier la température et l'humidité en surface ainsi qu'au cœur des murs. Ces données serviront au développement de modèles numériques pour intégrer les performances hygrothermiques dans les calculs réglementaires Th-Bât. Le projet se base sur les résultats d'études menées en 2020 par le Cerema qui ont mis en évidence une réduction de 70 % de la facture de chauffage grâce au déphasage hygrothermique dans le matériau.

Projection : superposer pour mieux s'élever

A Montreuil (Seine-Saint-Denis), le chanvre joue le jeu de la superposition. Deux maisons individuelles, dotées de dalles en madriers de bois massif aboutés et d'une structure mixte avec poteaux en bois et poutres en acier, sont revêtues uniquement de parois en béton biosourcé. « Totalement indépendantes l'une de l'autre, elles s'articulent au gré de mezzanines et d'espaces en double hauteur. Ce dispositif permet de respecter les règles professionnelles, en donnant forme à une construction de deux étages avec combles malgré les 18 m de hauteur », indique l'architecte Mariano Efron, associé de l'agence Architecturestudio.

La projection du béton de chanvre en une seule passe vient de s'achever après un mois et demi de travaux. Côté rue, l'isolant remplit sur 24 cm d'épaisseur une façade à ossature bois derrière un bardage bois à claire-voie. Côté jardin, il est enduit d'un mélange chaux/sable. Même les murs mitoyens sont remplis de chanvre et bénéficient d'une finition intérieure chaux-chanvre, ce qui rend les complexes de murs hautement perspirants, avec une résistance thermique des parois de 3,46 m².K/W, au meilleur niveau attendu par la RT 2012. « Les parois sont équipées de sondes pour mesurer leurs capacités hygrothermiques », précise Laurent Mouly, ingénieur.

L'édifice a aussi fait l'objet d'une conception bioclimatique permettant d'optimiser les apports solaires. Côté jardin, une serre et un escalier, non chauffés, jouent le rôle d'espaces tampon. Résultat : les maisons sont ventilées naturellement, grâce aux amenées d'air neuf préchauffé par la serre.

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Informations techniques

Maîtrise d'ouvrage : Charline Froitier, Mariano Efron et ARA & FRO.

Maîtrise d'œuvre : Architecturestudio, LM Ingénieur, AEON-Ingénierie.

Entreprises principales : JR Bat, Jean-Marc Feldman.

Bureau de contrôle : Apave.

Performances : RT 2012 avec Bbio 50 et CEP 31,8 kWh/m².

Surface : 310 m² SP.

Livraison : septembre 2024.

Coût des travaux : N. C.

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