Interview

Marseille en grand : « La rapport de la cour et de la chambre régionale des comptes ne correspond pas à la réalité », Christophe Mirmand, préfet

Une semaine après la parution, le 21 octobre dernier, du rapport conjoint de la cour et de la chambre régionale des comptes sur le plan Marseille en grand lancé en septembre 2021 par le président de la République Emmanuel Macron pour mettre à niveau la deuxième ville de France, Christophe Mirmand, le préfet des Bouches-du-Rhône et de Provence Alpes Côte d’Azur, réagit aux critiques.

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Christophe Mirmand, préfet des Bouches-du-Rhône
Christophe Mirmand, le préfet des Bouches-du-Rhône et de Provence Alpes Côte d’Azur.

Quel est votre regard sur le rapport ?

Je le trouve extrêmement sévère et ne correspondant pas à la réalité. Le taux d’exécution du plan Marseille en grand de 1,3 % cité dans le rapport est une estimation ancienne datant de fin 2023. De plus, la cour et la chambre régionale des comptes ont fait leur analyse sur la seule base du niveau des crédits de paiement. Or, j’estime qu’il faut prendre en compte les autorisations d’engagement car elles permettent aux collectivités, qui sont maîtres d’ouvrage de l’essentiel des projets inscrits dans le plan Marseille en grand, de boucler un plan de financement et à partir de là, d’engager les études et les acquisitions foncières avant de lancer les chantiers de réalisation.

Sur la base de notre suivi, nous arrivons à des chiffres très différents. Le taux d’exécution du plan est de 27,5 % d’autorisations d’engagement et de 4,98 % de crédits de paiement.

Sur la base de notre suivi, nous arrivons à des chiffres très différents

A ce jour, 32 % du montant de subventions prévues pour construire et réhabiliter 288 écoles a été versé. Le volet logement du plan, notamment soutenu par les 650 millions d’euros de financements de l’agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), affiche un taux d’engagement de 75 %.

Nous souhaitons donc nous inscrire dans une démarche transparente et rendrons publics certains éléments critiqués dans le rapport.

Quand le plan Marseille en grand a été annoncé, tout le monde attendait des financements extraordinaires. Or, il n’en est rien…

Les financements ne sont extraordinaires car ils sont de droit commun mais les montants mobilisés, eux, le sont. Au départ, l’Anru prévoyait 300 millions d’euros. Si le président de la République n’était pas venu à Marseille en septembre 2021 peut-être que le montant n’aurait pas été doublé.

Sur le volet mobilité qui prévoit le développement des transports en commun à l’échelle de la métropole Aix-Marseille-Provence et, notamment, le désenclavement des quartiers nord, l’Etat met 500 millions d’euros sur la table. Si à ce jour, seules sept conventions sur les 15 projets validés à ce jour ont été signés avec l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afit), qui doit tous les valider, ce n’est pas parce que nous sommes paresseux. C’est tout simplement parce que l’Afit ne signe la convention qu’une fois la déclaration d’utilité publique du projet obtenue. Et cela, pour une question de gestion de la trésorerie pour l’Etat. Il ne mobilise pas et n’engage pas des crédits qui ne seront dépensés que dans trois à cinq ans.

Les moyens prévus pour les écoles sont néanmoins extraordinaires

Les moyens prévus pour les écoles sont néanmoins extraordinaires. L’Etat mobilise 1 milliard d’euros. Sur les 400 millions d’euros de subventions, 254 millions d’euros ont été mobilisés viaune enveloppe spécifiquement votée par la loi de finances en 2022. Cela garantit des autorisations d’engagement à hauteur de 250 millions d’euros. S’y ajoutent les 66 millions d’euros de l’Anru pour financer dans le cadre de projets de rénovation urbaine des écoles publiques et les financements de droit commun tels la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et le fonds vert…

A cela s’ajoutent les prêts garantis par l’Etat à la Société publique des écoles marseillaises (Spem). Cela permet à l’emprunteur de lever des financements sur les marchés bancaires ou auprès de la Banque européenne d’investissement.

Le rapport pointe un suivi « lacunaire » dont les moyens de pilotage seraient « indigents »…

Je consacre, chaque jour, un temps au plan Marseille en grand

Face à la critique, je réponds que je consacre, chaque jour, un temps au plan Marseille en grand : dans des comités de pilotage, comités techniques, réunions avec l’administration centrale ou avec les cabinets ministériels… Que ce soit la sous-préfète Virginie Averous, nommée à mes côtés pour gérer à titre exclusif le plan, et les services de l’Etat - depuis le rectorat de l’Académie à la direction départementale des Territoires et de la Mer des Bouches-du-Rhône en passant par la Dreal -, nous sommes tous mobilisés.

Le suivi n’a jamais été lacunaire. Peut-être que les instruments de suivi n’ont pas été suffisamment partagés par les services de l’Etat dans le cadre du travail d’évaluation de la chambre et de la cour. Le qualificatif d’indigent qui est utilisé dans le rapport ne me parait pas correspondre non plus à la réalité du pilotage.

Certains projets ne se feront pourtant pas ou prendront du retard…

La vie des projets demande en permanence de l’agilité pour adapter les calendriers et faire face aux éventuelles difficultés techniques.

Il peut y avoir des retards assumés, d’autres liés à des appels d’offre infructueux, à des modifications de projets… La construction de l’hôtel des polices, dont l’Etat est maître d’ouvrage, est l’un d’eux. Le Secrétariat général pour l’administration du ministère de l’Intérieur (Sgami) a reporté d’un an le processus. Si tout va bien, il sera livré dans cinq ans sur un terrain qui jouxte les dépôts de la RTM [Régie des transports métropolitains NDLR], rue Saint-Pierre à Marseille. Il faut pour cela que la compagnie de CRS 54 libère le site. Or, pour son déménagement, il nous faut une autorisation d’engagement de 10 millions d’euros que je n’ai pas obtenue pour une raison de programmation du programme national d’équipement du ministère de l’Intérieur. Cela décale donc la mise à disposition du terrain et suspend le processus de sélection de l’équipe qui construira l’équipement. Les plis n’ont pas été ouverts. Compte tenu de la dérive du calendrier, on risque d’être obligé de relancer l’appel à candidature.

Pareil pour la cité du cinéma.La région Provence-Alpes-Côte d’Azur ne souhaite plus assumer la maîtrise d’ouvrage du projet d’environ 50 millions d’euros auquel participe l’Etat à hauteur de 13 millions d’euros via le Centre national du cinéma. La révision de sa PPI et l’attribution des JO d’hiver dans les Alpes l’obligent à rebattre les cartes. Cela ne veut pas dire que le projet est abandonné. Nous travaillons actuellement à la révision du plan de financement. D’ici la fin de l’année, nous validerons le choix du nouveau lieu et signerons une nouvelle convention.

Le rapport pointe l’absence d’un contrat local. Qu’en pensez-vous ?

Un contrat local avait été imaginé et même rédigé. Les collectivités territoriales n’ont pas souhaité un contrat « chapeau ». Un contrat global aurait matérialisé un effort collectif et une ambition mais je ne suis pas sûr que, sur un plan opérationnel, cela se serait traduit par la garantie que les rouages soient parfaitement huilés. Il aurait fallu de toute façon déployer la même énergie pour pouvoir y arriver.

Par ailleurs, l’Etat et les collectivités ont contractualisé par sujet de manière bilatérale voire multilatérale à l’instar de la convention, signée en janvier 2023, entre le ministère de la Culture, la région Paca, le département des Bouches-du-Rhône, la métropole Aix-Marseille-Provence et la Ville de Marseille, pour conduire le volet cinéma.

Regrettez-vous l’absence d’une loi-cadre ?

Cela n’aurait pas constitué une assurance tous risques car nous sommes soumis à une annualisation des crédits de l’Etat. Tous les ans, il m’incomberait de demander des financements correspondants. Cela aurait sans doute donné plus de visibilité à l’ensemble du plan, une lecture plus simple. Cela n’aurait pas été pour autant une garantie des crédits. Même pour le Plan de transformation et d’investissement pour la Corse (PTIC) que j’ai géré quand j’étais préfet à Ajaccio, tous les ans, je présentais un tableau de programmation au ministère de l’Intérieur en précisant les montants nécessaires en autorisations d’engagement et de crédits de paiement.

Embrasser des projets à la fois pour régler dans l’urgence les pathologies de Marseille et pour organiser le développement sur le long terme demande de comprendre les enjeux. Peut-être qu’une loi aurait permis d’avoir une lecture cursive du plan et d’en comprendre un peu mieux les enjeux.

Quel est l’avenir ?

Nous ne sommes pas en Bretagne. Nous sommes à Marseille

Nous ne sommes pas en Bretagne. Nous sommes à Marseille, dans les Bouches-du-Rhône. Cela impose plus de concertation, de pilotage et de déminage des dossiers pour arriver à créer un consensus. Nous n’avons pas besoin de moyens et de coordination supplémentaires. L’ambition est bien évidemment de mobiliser ceux déjà mis à notre disposition et de faire en sorte que les projets financés soient effectivement réalisés. Pour rappel, sortir 188 écoles dans les dix ans, soit une quinzaine par an, est un effort qu’aucune ville en France ne porte.

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