Jurisprudence

Marchés publics : le débiteur cédé ne peut pas contrôler le motif de la cession de créance

Si une personne publique n’a pas à consentir à une cession de créance, cette dernière peut quand même, sous conditions lui être opposable. Cette exception à l’effet relatif des contrats n’est pas sans conséquence, comme l’illustre une récente décision du Conseil d’Etat.

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Dans le cadre d'un marché public, le débiteur cédé ne peut pas contrôler le motif d'une cession de créance
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2018/01/26N°402270

La cession de créance est un mécanisme particulièrement intéressant pour assurer l’exécution d’un marché public. Pour le cédant (le titulaire du marché), c’est un moyen d’obtenir le paiement de la créance avant son échéance. Le débiteur cédé (la personne publique) doit de son côté rester vigilant, car s’il n’a pas à consentir à la cession, celle-ci peut néanmoins lui être opposable. Nouvelle application dans une décision du Conseil d’Etat du 26 janvier 2018.

Dans cette affaire, le titulaire du lot « menuiseries extérieures » d’un marché de construction a passé commande de différents équipements auprès d’une entreprise spécialisée dans la fabrication de produits d'habillage métallique pour bâtiments et fenêtres. Pour le paiement de ces commandes, il a cédé une partie de sa créance (liée au marché) à ce fabricant. Mais il avait, avant cela, déjà réalisé une cession totale de sa créance à un organisme de financement. Cette nouvelle cession ne pouvait dès lors produire « aucun effet », selon le comptable public. L’organisme de financement a par la suite adressé une « mainlevée partielle » de la cession qui lui avait été consentie au payeur public. Malgré cela, ce dernier a continué à lui verser les derniers paiements des travaux. Et, après une nouvelle signification de la cession de créance infructueuse, le fabricant a saisi le tribunal administratif d’un recours indemnitaire. La juridiction a fait droit à sa demande, mais la cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA) a annulé ce premier jugement. C’est finalement le Conseil d’Etat qui tranche le litige.

La cession de créance peut être opposable aux tiers sous conditions

La Haute juridiction rappelle tout d’abord les principes régissant les cessions de créances, issues de l’article 1690 du Code civil : « Le cessionnaire n’est saisi à l’égard des tiers que par la signification du transport faite au débiteur. Néanmoins, le cessionnaire peut être également saisi par l’acceptation du transport faite par le débiteur dans un acte authentique ».

Les juges précisent également que « le cédant d'une créance [ici, le titulaire du marché] ne pouvant transmettre plus de droits qu'il n'en détient, la signification d'une cession de créance dont le cédant n'est pas titulaire à la date où elle est faite doit être regardée comme nulle, même lorsqu'elle est régulière en la forme. »

Il ressort de ces dispositions que si une cession de créance est un acte effectué entre le cédant et le cessionnaire, elle peut malgré tout toucher un tiers (et donc lui être opposable). Et nul besoin de son consentement. Mais pour cela, le tiers devra reconnaitre en avoir pris connaissance, puisque « la simple connaissance de la cession de créance par le débiteur cédé ne suffit pas à la lui rendre opposable », indique le Conseil d’Etat. Il ajoute par ailleurs que « ni les dispositions (de l’article 1690) ni aucune autre ne permettent au débiteur cédé [ici, la personne publique] d’exercer un contrôle sur les motifs de la cession de créance qui lui est signifiée ou de son éventuelle mainlevée. »

Le débiteur cédé ne peut pas contrôler les motifs de la cession de créance ou de sa mainlevée

Partant de là, le Conseil d’Etat explique dans son analyse que, « s'il appartient au juge administratif de rechercher si les différents actes par lesquels a été signifiée au débiteur cédé [personne publique] une cession de créance ont pu produire des effets juridiques, il ne lui incombe pas de contrôler les motifs de cette cession. »

Or, au cours de son analyse, la CAA avait relevé que la mainlevée donnée par l’organisme de financement au comptable public était fondée – de façon erronée - sur la qualité de sous-traitant du fabricant qui lui donnerait droit au paiement direct. La CAA s’étant livrée à une analyse des motifs, sa décision est annulée. L’affaire sera à nouveau jugée devant cette même CAA.

CE, 26 janvier 2018, n°402270

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