Régulariser est la demande logique d'un donneur d'ordre qui voit la conformité à la réglementation de ses contrats contestée : l'entrepreneur cocontractant ne se sent pas coupable d'une irrégularité, et sollicite auprès du maître d'ouvrage public le règlement des travaux exécutés. Ce dernier se tourne dès lors vers son autorité de contrôle que constitue le préfet du département, et le place ainsi dans une position délicate. Soit le préfet décide de s'en tenir à ses obligations de garant du respect de la légalité et dès lors il exige par « lettre d'observations », « recours gracieux » ou « déféré », l'annulation pure et simple du marché litigieux ; soit il fait prévaloir les enjeux sociaux sur les considérations juridiques, et dès lors il s'efforcera de débloquer la situation au niveau comptable, pour que les règlements aux entrepreneurs soient effectués, et que la continuité du service public offert aux concitoyens soit sauvegardée.
Dans tous les cas de figure, la régularisation n'est pas une fin en soi. Par la suite, des contestations restent possibles, y compris sur le plan pénal. Il convient de mesurer les avantages et inconvénients du recours à une telle procédure.
La nécessité d'une régularisation est de plus en plus ressentie
La régularisation a pu être définie comme étant « le marché que doit passer l'acheteur public après l'exécution de prestations sur la base d'une commande hors marché, alors que ces prestations doivent faire l'objet d'un marché public. » (1) Il ne faut donc pas confondre avec un « marché de substitution », où l'acheteur public conclut un contrat pour faire exécuter un précédent marché au lieu et place du titulaire défaillant (cf. art. 49 du CCAG Travaux, art. 32 du CCAG Fournitures et services, art. 38 du CCAG Produits industriels).
Le recours à un marché de régularisation est justifié par des intérêts non négligeables. La plupart du temps, le marché initial considéré comme illégal, pourrait être parfaitement exécuté sans pâtir de ses irrégularités originelles. Mais une épée de Damoclès pèse lourdement sur les cocontractants : celle d'un éventuel recours d'un candidat évincé ou de l'engagement d'un contentieux préfectoral, voire même celle de la lecture aux effets politiques désastreux devant un conseil municipal d'un rapport critique de la chambre régionale des comptes, dénonçant une mauvaise gestion des deniers publics. Il existe en outre des motifs propres aux parties : un cocontractant peut engager une action en justice pour illégalité ou nullité de son propre contrat. La partie adverse peut en effet avoir des intérêts financiers suffisamment importants pour chercher le moyen de se dégager définitivement de ses obligations.
Outre les multiples risques de cette épée de Damoclès, le rôle du comptable en matière de marché de régularisation est capital. Les comptables publics sont de plus en plus soucieux de ne pas se trouver dans l'impossibilité de justifier du paiement d'un contrat à une entreprise privée, alors que celui-ci était illégal. La séparation des ordonnateurs et des comptables assure ainsi une réelle pérennité à la pratique des marchés de régularisation. L'élu local souhaite un règlement rapide pour des travaux exécutés dans des délais relativement brefs, avec souvent une date d'inauguration choisie non sans opportunité. Et dès lors, la tentation est grande de s'affranchir du formalisme des marchés publics. Cependant, au moment du paiement, le comptable sollicite (y compris parfois en demandant l'indulgence des services préfectoraux) une régularisation d'une situation illégale, avec en arrière plan l'idée qu'il est lui-même responsable sur ses propres deniers. Tout fonctionnaire peut ainsi être amené à répondre de ses actes devant la Cour de discipline budgétaire et financière. La demande est pressante, mais la satisfaction de celle-ci n'est pas aisée.
Des conditions doivent être respectées
La frontière entre une régularisation qui « légaliserait » un contrat, et une régularisation qui surajouterait une illégalité à celles déjà présentes dans le marché de base, relève d'un subtil dosage à effectuer cas par cas.
On peut cependant dégager les grandes lignes suivantes :
SUR LA FORME
Pas de simples corrections aux documents initiaux. Des certificats fiscaux périmés fournis par une entreprise déclarée titulaire du marché, ne peuvent ainsi faire l'objet d'une rectification manuscrite a posteriori, en transformant par exemple la mention 1997 en 1998. Ce serait réaliser un faux. Une nouvelle pièce est nécessaire.
Pas d'effets rétroactifs. Un marché illégal demeure illégal pour toute la période existante entre sa conclusion et celle du nouveau marché.
Une parfaite conformité au formalisme du Code des marchés publics.
Une diversité formelle. Un marché de régularisation peut être soit un marché à part entière (acte d'engagement, règlement de consultation, CCAP, CCTP, bordereau des prix, etc.), soit un simple document régularisant le marché initial, à l'instar d'une délibération.
SUR LE FOND
Il faut distinguer les irrégularités substantielles de celles qui ne le sont pas. On entend par irrégularité substantielle une violation d'une règle de droit, qui, à elle seule, peut entraîner l'annulation du marché en cas de contentieux. Toutes les irrégularités n'ont pas nécessairement besoin d'être régularisées : l'oubli d'un cachet imputable à un organisme comme l'Urssaf sur une attestation d'une entreprise candidate à un marché n'est pas susceptible d'entraîner l'annulation du marché, si cette entreprise est déclarée titulaire du contrat.
Il faut généralement reprendre l'ensemble de la procédure de passation du marché. D'aucuns penseront, en ce cas, qu'il s'agit moins d'une régularisation que d'une annulation d'un premier marché suivi d'un nouveau (voir encadré sur des exemples de régularisations « légales » ou « illégales »).
Régulariser ou transiger... un vaste débat
Les marchés de régularisation placent les parties cocontractantes face à un dilemme : d'un côté, le marché initial est illégal ; d'un autre côté, le futur marché supposé régulariser le premier, risque de faire relever les cocontractants de l'inculpation de délit de favoritisme (). En effet, le second marché sera conclu, selon toute vraisemblance, avec l'entrepreneur titulaire du marché initial, puisqu'il s'agit de régulariser la situation de celui-ci. En conséquence, la mise en concurrence dont fera l'objet le nouveau marché sera détournée, dès le départ, au profit d'une société prédéterminée. Et c'est pourquoi certaines autorités de contrôle, à l'instar de la Mission Interministérielle d'enquête sur les marchés, n'hésitent pas à conclure au délit de favoritisme lorsqu'elles ont écho de la passation d'un marché de régularisation (voir encadré).
La formule du marché de régularisation ne semble pas systématiquement être une solution idéale aux difficultés comptables que les maîtres d'ouvrage publics et les entrepreneurs peuvent rencontrer. Par sécurité, certains préfèrent recourir à la transaction (cf Rev. adm. 1991, p.246). Cette formule a le mérite de bénéficier d'une origine normative indéniable : l'. Il s'agit de dresser le bilan financier d'une opération, de comparer avec les montants mentionnés dans le contrat de base, d'en tirer les conséquences en terme d'ajustement, et de conclure ainsi ce que l'on appellera une transaction.
L'ESSENTIEL
»Les marchés de régularisation répondent à des besoins réels des entrepreneurs (paiement) et maîtres d'ouvrage publics (déblocage d'une situation auprès d'un comptable).
»S'il est vrai qu'ils sont parfois tolérés, ils doivent cependant respecter un certain formalisme.
»Entre une illégalité sanctionnée par un juge administratif et une infraction (délit de favoritisme) relevant du juge pénal) la décision d'opter pour un marché de régularisation est très délicate.
»La formule de la transaction prévue par le Code civil repose sur des bases juridiques plus solides que le marché de régularisation.
(1) Michel Guibal : «Mémento des marchés publics», «Le Moniteur» 2è édition, 1998. 250 p., 310 francs.