Jurisprudence

Marchés De la nature juridique des contrats des SEM

Les contrats des SEM locales, sociétés anonymes soumises au droit privé, sont exclus du Code des marchés publics. La combinaison des lois Sapin et « Murcef », qui renvoient au Code des marchés publics, pose toutefois de délicates questions que le Conseil d’Etat s’efforce de trancher.

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Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2004/11/19N°231103

Le Code des marchés publics exclut les contrats conclus par les SEM de son champ d’application, puisque ne sont visés que ceux passés par des personnes morales de droit public (Etat, collectivités locales et leurs établissements publics administratifs). En revanche, les directives communautaires ont toujours prévu leur application aux contrats conclus par des « organismes de droit public » définis par des critères différents de ceux relevant de notre droit national. Ainsi, une personne morale de droit privé peut constituer un organisme de droit public en droit communautaire, si la personne publique exerce un contrôle étroit sur l’activité de ladite personne privée. Tel est le cas des SEM, le juge communautaire n’ayant d’ailleurs pas hésité à étendre ce raisonnement aux SA d’HLM.

Cette situation paradoxale a été prise en compte par le législateur. L’article 48-I de la loi Sapin du 29 janvier 1993 dispose que « les contrats de travaux, d’études et de maîtrise d’œuvre conclus pour l’exécution ou les besoins du service public par les SEM, en leur nom ou pour le compte de personnes publiques, sont soumis aux principes de publicité et de mise en concurrence prévus par le Code des marchés publics dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ». La logique de cette disposition est claire : tout en confirmant la non application du Code des marchés publics aux contrats conclus par les SEM, elle pose la règle de l’application des principes qui y figurent. C’est le moyen de respecter le droit communautaire, sans revenir sur le principe de l’exclusion du champ d’application du Code des marchés des contrats conclus par des personnes morales de droit privé.

Reste cependant à définir la nature juridique des marchés des SEM. S’agit-il de contrats de droit public ou relèvent-ils du droit commun ? Le Conseil d’Etat a été amené à trancher cette question par un arrêt du 7 mars 2005 (« Société Seco-Rail », n° 271289).

Conséquences de la «loi Murcef»

Une SEM, chargée de l’exploitation du réseau de transport en commun de l’agglomération nantaise passe avec une société de droit privé – la société Seco-Rail – un marché de travaux portant sur la remise en état des rails du tramway sur une ligne. Après réception des travaux, des désordres sont apparus, justifiant l’engagement par la SEM de la garantie de parfait achèvement. Un contentieux s’en est suivi, porté par la société Seco-Rail devant le juge administratif des référés. La SEM, en défense, a soulevé l’incompétence de la juridiction administrative, arguant du fait que le contrat dont l’exécution était en cause n’était pas un contrat administratif.

Une fois admis qu’il ne pouvait s’agir d’un marché public, la première question que le Conseil d’Etat avait à trancher portait sur les conditions d’application aux marchés des SEM des dispositions de l’article 2 de la loi du 11 décembre 2001, dite « ». Celles-ci prévoient en effet que « les marchés passés en application du Code des marchés publics ont le caractère de contrats administratifs ». Ce texte a ainsi fait disparaître de manière immédiate la catégorie des marchés publics relevant du droit privé (voir pour certains contrats informatiques : TC, 5 juillet 1999, « Commune de Sauve », Rec. CE, p. 465 ; pour les contrats de courtage : TC, 14 février 2000, « Commune de Baie-Mahaut » et « société Roddlams », Rec. CE, p. 747).

Contrats passés en application du CMP. L’application de la loi se heurte à une première difficulté liée à la notion de contrats passés « en application du Code des marchés publics ». Doit-on estimer que les marchés passés par des organismes qui ne sont pas soumis au CMP relèvent de cette catégorie si des textes particuliers renvoient expressément à tout ou partie de ses dispositions (exemple des marchés conclus par les organismes de sécurité sociale) ou si les règles appliquées sont la reproduction pure et simple des règles contenues dans le Code (exemple des marchés conclus par de nombreux établissements publics à caractère industriel et commercial) ?

Les dispositions précitées du I de l’ introduisent ici un doute, dès lors qu’elles renvoient expressément à l’application des principes de publicité et de mise en concurrence prévus par le Code des marchés publics.

Cette question délicate avait cependant reçu un commencement de réponse de la part du Conseil d’Etat dans son avis contentieux du 29 juillet 2002 « Société MAJ Blanchisserie de Pantin » (Rec. CE p. 297). Il considérait que l’expression « en application du Code des marchés publics » utilisée par la visait les marchés entrant dans le champ d’application du Code et donc passés par des personnes soumises à ses dispositions. En revanche, lorsqu’une personne non soumise au CMP décide de se soumettre spontanément à ses règles, les contrats qui en résultent n’entrent pas dans les prévisions de la . Ils ne constituent donc pas des contrats administratifs.

Soumission aux principes du Code. Autre question : celle des contrats soumis par un texte aux principes figurant dans le Code des marchés publics. Sans surprise, la Haute Assemblée poursuit dans la même ligne, estimant que les marchés considérés n’ont pas été conclus en application du Code, puisqu’ils ne sont pas soumis à l’ensemble du régime qu’il définit et que la personne qui les conclut échappe normalement au champ d’application du CMP. Le Conseil d’Etat rappelle ainsi que ni l’article 48-I de la loi Sapin, ni aucune autre disposition n’ont pour effet de rendre le Code des marchés publics applicable, de façon générale, aux marchés des SEM. Il confirme à cet égard la solution déjà retenue dans un cas de figure très proche par la Cour administrative d’appel de Lyon (3 avril 2003, « Société Lyon Parc Auto » et « Société Solétanche »).

Théorie du mandat

L’examen du litige ne s’arrêtait pas là. Restait à examiner si la SEM ne pouvait pas être considérée comme mandataire de la personne publique pour le compte de laquelle elle aurait en fait ordonné l’exécution des travaux. Si tel est le cas, le contrat conclu est un marché qui relève du champ d’application du CMP : l’article 2 y inclut en effet les marchés conclus en vertu d’un mandat donné par une des personnes entrant dans le champ d’application du Code.

Construction d’infrastructures routières. Depuis la loi du 28 pluviôse an VIII, les contrats relatifs à l’exécution de travaux publics constituent des contrats de droit public dont le contentieux relève de la compétence du juge administratif. Toutefois, encore faut-il que le critère organique – présence d’une personne publique comme partie au contrat – soit rempli. Ainsi, un contrat portant sur la réalisation de travaux publics, conclu entre deux personnes privées, relève de la compétence de l’autorité judiciaire (TC, 24 novembre 1997, « Bourcy et Sole », Rec. CE, p. 540), la circonstance qu’il comporte des clauses exorbitantes de droit commun étant sans incidence sur cette situation (CE, 9 février 1994, « Société des autoroutes Paris-Rhin-Rhône », Rec. CE, p. 63).

La théorie du mandat permet cependant de s’affranchir du critère organique dans le cas des marchés de travaux conclus par une SEM d’autoroute avec des entreprises pour la construction d’infrastructures autoroutières (TC, 8 juillet 1963, « Société entreprise Peyrot c/ Société de l’autoroute Estérel Côte d’Azur », Rec CE, p. 787 ; ). L’idée qui sous-tend cette jurisprudence est la suivante : ces travaux relèvent de la responsabilité de la puissance publique et la personne qui les fait effectuer le fait nécessairement pour le compte de l’Etat. Cette jurisprudence a été étendue à d’autres travaux, comme ceux relatifs à la construction d’un tunnel routier (TC, 12 novembre 1984, « SEM du tunnel de Sainte-Marie-aux-Mines », Rec. CE, p. 666) ainsi qu’aux travaux commandés par des sociétés entièrement privées (CE Section, 3 mars 1989, « Société des autoroutes de la région Rhône-Alpes », Rec. CE, p. 69).

La question était alors de savoir si cette jurisprudence pouvait être étendue à la réalisation de travaux portant sur une ligne de tramway. Une telle extension aurait de fait abouti, à terme, à la remise en cause du principe organique et à une solution où tout contrat portant sur des travaux publics aurait constitué un contrat administratif, même conclu entre deux personnes privées.

Travaux accomplis pour lecompte de la collectivité. Restait la deuxième hypothèse d’application de la théorie du mandat : celle des marchés conclus pour des travaux réalisés par une société concessionnaire agissant pour le compte de la personne publique concédante (1). Dans ce cas, ce qui commande l’application de la théorie du mandat, c’est la reconnaissance du fait que la société a agi pour le compte de l’autorité publique concédante. Le concessionnaire est alors « transparent » et le régime juridique applicable est celui qui l’aurait été si le concédant avait agi directement.

Le mandat n’a pas besoin ici d’être express. Il peut être tacite. Il doit cependant ressortir de l’analyse des liens juridiques unissant le concédant au concessionnaire. S’il est démontré que le concessionnaire n’agit que pour le compte de la personne publique, la théorie du mandat jouera, faisant des contrats conclus des marchés publics (2). Si le concessionnaire agit pour son propre compte, le critère organique reprend alors tous ses droits (3).

En l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé qu’étaient en cause des travaux de maintenance lourde, relevant de la responsabilité de la SEM et il a conclu à la compétence de la juridiction judiciaire.

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