Une entreprise dont le marché public est résilié pour motif d’intérêt général peut demander réparation. Dans le même temps, la personne publique peut relancer une consultation pour les mêmes prestations. Dans ce cas, le juge administratif devra en tenir compte si le requérant est de nouveau sollicité. C’est ce qu’a précisé le Conseil d’Etat dans une décision du 26 mars 2018.
Dans cette affaire, un groupement composé de trois entreprises s’est vu confier un marché de travaux. Suite à la défaillance de deux d’entre elles, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a prononcé la résiliation des parties du marché dont elles avaient la charge. Puis la personne publique a notifié à la troisième entreprise sa décision de résilier le marché pour motif d’intérêt général. Après des rejets en première instance et en appel, cette dernière a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat pour demander réparation de son préjudice.
La Haute juridiction commence par rappeler que le juge, saisi d’une demande d’indemnisation du manque à gagner résultant d’une telle résiliation, doit « tenir compte du bénéfice que le requérant a, le cas échéant, tiré de la réalisation, en qualité de titulaire ou de sous-traitant d'un nouveau marché passé par le pouvoir adjudicateur, de tout ou partie des prestations qui lui avaient été confiées par le marché résilié ».
Dans ce litige, la cour administrative d’appel (CAA) a relevé que la personne publique – après avoir résilié le marché - a conclu un nouveau contrat. Et il s’avère que la société requérante, qui s’est retrouvée sous-traitante, devait réaliser des prestations pour l’essentiel identiques à celles qui lui avaient été attribuées au titre du marché initial. La juridiction d’appel a également estimé « que la société [requérante] n'établissait ni même n'alléguait que le bénéfice qu'elle était susceptible de réaliser au titre de ces prestations identiques aurait été minoré par rapport à celui qu'elle avait évalué pour le marché initial, ni qu'elle aurait définitivement perdu le crédit d'impôt qui aurait été attaché aux investissements réalisés, ni enfin que ces nouvelles prestations ne lui auraient pas permis de couvrir ses frais généraux. »
Le Conseil d’Etat considère ainsi que c’est à bon droit que la CAA a tenu compte, dans son estimation du manque à gagner, du bénéfice qu’est susceptible de réaliser le requérant en tant que sous-traitant de ce nouveau contrat.
Le juge administratif doit par ailleurs vérifier le cas où le titulaire du marché résilié est seulement « susceptible d'être chargé, dans un délai raisonnable, de tout ou partie de ces prestations à l'occasion d'un nouveau marché. » Autrement dit, la réalisation des mêmes prestations postérieurement à la résiliation doit être certaine.Sans cette certitude, le juge doit surseoir à statuer sur l'existence et l'évaluation du préjudice né de la résiliation.
Or, en l’espèce, le nouveau marché a lui aussi été résilié avant la réalisation des prestations par la société requérante. Et le Conseil d’Etat va considérer sur ce point que la CAA a commis une erreur de droit en jugeant que le préjudice du requérant n’était finalement qu’éventuel, au seul motif qu'il « n'était pas établi que [la personne publique] aurait, après la résiliation du second marché, définitivement décidé de renoncer à passer un nouveau marché pour les mêmes prestations ni que la société [requérante] ne pourrait être chargée d'exécuter tout ou partie de celles-ci ». L’arrêt de la CAA est annulé.
CE, 26 mars 2018, n°401060, mentionné aux tables du recueil Lebon