En principe, un contrat entre deux personnes privées ne peut pas être administratif. « Sauf dans l’hypothèse d’un mandat », rappelle Nicolas Lafay, avocat au barreau de Paris. Dès lors, pour déterminer la compétence de la juridiction administrative dans le cadre d’un contentieux entre deux personnes privées, le juge doit rechercher l’existence d’un mandat. A défaut, le juge judiciaire sera compétent. C’est ce que vient d’illustrer le Conseil d’Etat dans une décision du 25 octobre.
Dans cette affaire, une communauté urbaine a conclu avec une société d’économie mixte (SEM) une concession d’aménagement, en vue de la réalisation d’une zone d’aménagement concerté (ZAC). Dans cette optique, cette SEM a, à son tour, conclu avec une entreprise un marché de travaux, relatif à l’aménagement des espaces publics et à la viabilisation de la ZAC. Mais, par la suite, la SEM a décidé de résilier ce marché pour motif d’intérêt général.
L’entreprise titulaire du marché a alors saisi le tribunal administratif qui a rejeté sa demande comme portée devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître. La cour administrative d’appel (CAA) ayant également rejeté le recours, le Conseil d’Etat a été saisi.
Le Conseil d’Etat va rechercher l’existence d’un mandat pour déterminer la juridiction compétente. Pour cela, il note que la « concession d'aménagement, qui prévoit la construction d'immeubles à usage privé destinés à la vente ou à la location au profit de la [SEM], concessionnaire, n'a pas comme seul objet de faire réaliser des ouvrages destinés à être remis à la communauté urbaine […] dès leur achèvement ou leur réception. »
Les juges concluent ainsi au fait que la société concessionnaire n’agit pas pour le compte de la personne publique par mandat, « y compris lorsqu'elle conclut des marchés de travaux ayant pour objet la réalisation d'équipements destinés à être remis à la personne publique dès leur achèvement ».
Le fait que l’objet du contrat concerne des travaux publics est donc indifférent en l’absence d’une personne publique partie au contrat. « Cette indifférence quant au caractère de travaux publics avait déjà été jugée par le Tribunal des conflits dans son arrêt « Solon et Barault » de 1972 , analyse Me Nicolas Lafay. Et plus récemment encore, dans un arrêt de 2008, qui juge « qu'alors même qu'il est relatif à l'exécution de travaux publics, ce contrat, conclu entre deux personnes privées, présente le caractère d'un contrat de droit privé ; qu'il s'ensuit qu'il n'appartient qu'à la juridiction judiciaire de connaître de ce litige » (TC, 2 juin 2008, n°C3642) ».
Pour l’avocat, « l’arrêt du 25 octobre est un arrêt faisant application de solutions classiques, mais qui a l’avantage de récapituler dans un seul considérant l’ensemble des différents arrêts rendus sur cette question [de compétence]. »
Ainsi, énonce le Conseil d’Etat, « dès lors que ce contrat a été conclu entre deux personnes privées, est sans incidence sur l'incompétence de la juridiction administrative la circonstance que la société [concessionnaire] soit investie de prérogatives de puissance publique, qu'elle soit un pouvoir adjudicateur au sens de l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics, que le marché se réfère au cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux, qu'il comporte des clauses exorbitantes ou qu'il ait pour objet l'exécution de travaux publics. »
Fort logiquement, les juges du Palais-Royal rejettent la requête de l’entreprise pour incompétence de la juridiction administrative.