ArcelorMittal, Lafarge, Corus,... les sidérurgistes et les cimentiers, dont l'activité est pourtant très polluante, figurent en tête des plus gros portefeuilles de quotas de tonnes de CO2 obtenues en 2008. Autrement dit, plutôt que de devoir acheter des quotas de CO2 pour compenser la pollution dégagée par leurs activités, ils en ont des millions à revendre.
Depuis 2005, un marché carbone, sur lequel sont échangées des tonnes de CO2, a été mis en place en Europe. Ce marché est accompagné d'un « Système européen d'échanges d'émissions». Il permet à chaque Etat membre, via un Plan national d'allocation de quotas - dont le dernier porte sur la période 2008-2012 - , d'attribuer des quotas de CO2 aux sites industriels, les plus émetteurs, installés sur leur territoire (dans l'hexagone, ce sont tous des installations classés pour la protection de l'environnement ). Ces plans sont ensuite validés par la Commission européenne.
En France, c'est un comité interministériel, incluant des membres des Ministères de l'Ecologie et des Finances qui a fixé, pour chaque site industriel concerné, un cap annuel d'émission à partir duquel l'entreprise devra compenser sa pollution. Pour établir le seuil à ne pas dépasser, le comité s'est basé sur une production annuelle de référence, établie à partir des années 2004 et 2005. Cette production est multipliée par un taux de croissance du secteur et pondéré par un taux de réduction combinant un facteur de progrès technique et l'objectif de réduction pour 2020 -, à savoir -21% d'émissions par rapport à 2005.
"Des quotas C02 affectés à partir d'une surestimation de l'activité à venir"
Pour les auteurs de l'étude, si des entreprises très émettrices peuvent obtenir un bilan de quotas CO2 positif, c'est que pour allouer les quotas, les pays membres ne manquent pas de se baser sur une augmentation très optimiste de l'activité de leurs entreprises. L'activité réelle étant bien moindre, la « crise » aidant, les entreprises peuvent se retrouver à avoir des millions de tonnes de CO2 à échanger ou revendre.
ArcelorMittal, grand gagnant du marché carbone en 2008, a obtenu sur l'année, d'après l'étude, un solde positif de quotas à échanger ou revendre de 14,4 millions de tonnes. Ce qui représente au cours actuel (environ 13 euros la tonne), près de 200 millions d'euros. Le cimentier Lafarge a lui obtenu sur la même année un solde positif de 4,4 millions de quotas, soit, au cours actuel, près de 60 millions d'euros. Des stocks qui, selon Yann Louvel, observateur des fluctuations de la « bourse du CO2 » au sein de l'association « Les amis de la terre », ont notamment été revendus par les entreprises, en partie, en octobre 2008, à fin d'obtenir des liquidités au plus fort de la crise.
"Des quotas CO2 affectés de préférence aux secteurs industriels les plus exposés à la concurrence internationale"
Les dix entreprises à détenir à la fin de l'année 2008 le plus de quotas CO2 à revendre sont toutes dans des activités liées à l'acier et au ciment. David Rapin, Directeur du développement à la bourse européenne du CO2 Bluenext, remarque que c'est surtout les entreprises de production d'énergie qui ont dépassé, en 2008, leurs quotas affectés. Cela s'explique, pour les auteurs de l'étude, par le fait que les quotas sont alloués de préférence aux secteurs industriels les plus exposés à la concurrence internationale ; tandis que les activités énergétiques, plus nationales, en profitent nettement moins.
Le Directeur du développement de Bluenext, juge que l'étude de Sandbag offre une "photographie intéressante" mais remarque qu'il faut aussi observer le marché carbone européen dans son ensemble et sur un temps plus long. Il souligne qu'en 2008, pour l'ensemble des 11 500 sites industriels européens concernés par le « Système européen d'échanges d'émissions», il y a eu 150 millions de tonnes générées au-delà des caps fixés.
David Rapin note d'autre part qu'il doit y avoir deux explications à une émission inférieure aux quotas affectés: l'effort de réduction sur la pollution du process industriel et la baisse d'activité, entrainée ces deux dernières années par la crise. Et, il reconnait qu'il est difficile de mesurer la part de responsabilité de la chute exceptionnelle d'activité sur la situation très avantageuse dans laquelle se retrouvent les cimentiers et les sidérurgistes au sein du marché carbone.
La baisse de la production ayant été nettement plus forte en 2009 qu'en 2008, ces secteurs d'activité doivent avoir bénéficié l'année dernière d'un plus excédent de quota de CO2 encore plus important. Autrement dit si les plan nationaux d'affectations de quotas, qui par leur caractère pluriannuelle ne tiennent pas compte de la conjoncture, ne peuvent être réévaluées à posteriori, le marché carbone risque de rétribuer régulièrement les entreprises les plus émettrices de CO2, soit l'opposé de sa raison d'être.