Maîtrise d'œuvre : l'architecte et le métavers, du réel au virtuel… et vice versa !

Les droits de propriété intellectuelle sur son œuvre s'adaptent à un monde dématérialisé.

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Quelle ne fut pas la surprise du propriétaire de l'hôtel Conservatorium, situé à Amsterdam (Pays-Bas), de découvrir que son immeuble était reproduit à l'identique, et le théâtre de violents combats armés, dans l'édition intitulée « Modern Warfare II » du célèbre jeu vidéo « Call of Duty », sortie dans le commerce le 28 octobre dernier. La façade du bâtiment s'y trouve percée d'un trou béant d'où s'échappe une épaisse fumée sombre. Problème : l'autorisation du propriétaire de l'immeuble n'a jamais été sollicitée. Mais, outre les droits du propriétaire de l'immeuble, qu'en est-il de ceux de l'architecte qui l'a conçu ?

Le développement de la dématérialisation du réel soulève diverses interrogations juridiques, auxquelles les textes, tels qu'ils existent, permettent selon nous de répondre.

Des créations protégées par le droit d'auteur

L' (CPI) dispose que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». L'article L. 112-2, 12° du même code prévoit, lui, que « sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code [...] les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs […] à l'architecture […] ».

L'architecte est donc titulaire de droits d'auteur sur ses créations, sous la seule condition qu'elles soient originales, c'est-à-dire qu'elles révèlent l'empreinte de sa personnalité. Il détient ainsi des monopoles de reproduction et de diffusion, et un droit moral, c'est-à-dire le droit au respect de la paternité de l'œuvre et de son intégrité. Si les droits des architectes sont assez clairement définis dans le monde réel, se pose aujourd'hui la question de leurs droits dans un monde dématérialisé, que leurs œuvres soient associées à un NFT (Non Fongible Token) ou présentes dans le métavers.

Architectes et NFT

Un NFT est un jeton numérique unique associé à un objet numérique, aussi désigné sous le terme de sous-jacent. Dans son rapport du 12 juillet 2022, le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) propose d'assimiler le NFT à « un bien meuble incorporel, qui correspond à un titre de propriété sur le jeton inscrit dans la blockchain, auquel peuvent être associés d'autres droits sur le fichier numérique vers lequel il pointe » (1).

Si l'émission d'un jeton ne pose pas de difficulté en droit d'auteur, il n'en est pas toujours de même du sous-jacent auquel il est associé. En effet, ce dernier peut consister en la reproduction d'une œuvre préexistante. La question se pose donc de savoir s'il est possible de reproduire numériquement une œuvre sans l'autorisation du titulaire des droits d'auteur ? Et notamment, un bâtiment sans l'autorisation de son architecte ?

Si cette reproduction est réservée à un usage privé, la réponse est positive, au titre de l'exception de copie privée prévue par l'article L. 122-5 du CPI. Cependant, cette exception risque de ne pas trouver à s'appliquer. En effet, l'émission d'un NFT révèle par nature l'intention de commercialiser l'œuvre à laquelle il est attaché, donc de la communiquer au public.

Accord préalable. Il s'agit alors de savoir s'il est possible de vendre la reproduction numérique d'un bâtiment sans l'autorisation de l'architecte tout d'abord, et sans lui verser une quelconque somme à ce titre ensuite. Selon le rapport précité (page 37), « la production de jetons sur un objet ou une œuvre préexistante suppose dans un premier temps la création d'une reproduction de l'œuvre sous la forme d'un fichier numérique, qui n'est pas, en elle-même, soumise aux droits d'auteur. En revanche, une fois ce fichier numérique créé, l'émission du jeton qui lui est associé suppose l'accord indispensable de l'auteur ou de ses ayants droit, au titre de leur droit de reproduction, de leur droit de représentation, et du droit moral dont ils sont les titulaires. »

Ainsi, la reproduction numérique d'un bâtiment associée à un NFT et leur commercialisation sans l'autorisation préalable de l'architecte constituent un acte de contrefaçon de ses droits d'auteur. Ce dernier dispose donc des moyens prévus par les dispositions du CPI pour faire cesser de tels actes et obtenir indemnisation de son préjudice.

Droit de suite. Mais émettre des NFT associés à des sous-jacents protégés par le droit d'auteur pourrait être le chemin vers un accord réciproquement gagnant. En effet, l'article L. 122-8 du CPI organise un système de droit de suite au profit de l'auteur d'œuvres originales graphiques et plastiques. Cela consiste pour l'auteur à bénéficier d'une participation au produit de toute vente de son œuvre lorsqu'un professionnel du marché de l'art intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire.

Les architectes et les plateformes hébergeant les NFT ne sont, certes, pas des professionnels du marché de l'art. Mais l'émission d'un NFT s'accompagne de la rédaction d'un « smart contract » (contrat intelligent). Il s'agit d'un programme informatique qui exécute un ensemble d'instructions ou de règles prédéfinies par le rédacteur. Ce smart contract contient des informations précises et en principe intangibles (nom du créateur, date de création, URL où se trouve stockée une œuvre numérique, droits octroyés à l'acquéreur, etc.). Or, le smart contract est personnalisable au gré de son rédacteur. Il peut donc prévoir ce droit de suite de manière générale au profit de l'architecte, alors que la loi le soumet à certaines conditions.

On comprend donc l'intérêt mutuel de l'architecte et de l'émetteur du NFT associé à une représentation numérique d'un de ses bâtiments : l'émetteur de NFT sécurisera son projet par l'accord de l'architecte, et ce dernier sera intéressé aux ventes dudit NFT attaché à sa création numérisée.

Architectes et métavers

Qui dit NFT, dit aussi métavers. Le 24 octobre 2022, un groupe d'experts a déposé un rapport intitulé « Mission exploratoire sur les métavers », établi à la demande du gouvernement. Ce rapport propose, comme définition d'un métavers, « un service en ligne donnant accès à des simulations d'espaces en 3D, en temps réel, partagées et persistantes, dans lesquelles on peut vivre ensemble des expériences immersives ».

Bâtiment reproduit. Les lieux qui composent ces espaces peuvent être constitués de créations nativement numériques, mais aussi de reproductions de quartiers existant dans le monde physique. Qu'en est-il des droits de l'architecte sur le bâtiment qu'il a conçu ? Comme expliqué ci-dessus, la reproduction non autorisée d'un bâtiment est un acte de contrefaçon. On pourrait en conclure que la reproduction d'un bâtiment au sein de celle d'un quartier ou d'une ville est prohibée. Ce n'est toutefois pas si simple. En effet, la jurisprudence a admis qu'il n'y a pas d'atteinte au droit d'auteur lorsque l'œuvre n'est pas prise isolément mais dans son cadre naturel, qu'elle figure en arrière-plan ou occupe une place secondaire, ou qu'elle est accessoire par rapport au sujet principal représenté ou traité.

A notre connaissance, il n'existe pas encore de jurisprudence française sur la question de la représentation du réel dans le métavers. Cependant, on peut raisonnablement estimer que la reproduction de la création d'un architecte sans son autorisation ne sera pas jugée fautive quand l'objectif aura été de concevoir une œuvre, telle qu'un jeu vidéo, de sorte que ladite reproduction sera considérée comme pertinente du point de vue artistique pour l'éditeur de ladite œuvre. En revanche, pour échapper à la critique, cette reproduction devra être à l'identique, à défaut de quoi il serait porté atteinte au droit moral de l'architecte.

Création numérique. Reste enfin à évoquer l'intervention de l'architecte en tant que créateur directement dans le virtuel. L'immobilier virtuel est en effet l'un des marchés émergents avec l'avènement du métavers. Outre les logements et les lieux de travail, celui-ci comprendra des théâtres, cinémas, centres commerciaux, stades, etc. Mais à l'opposé du monde réel, le métavers ne connaît pas les limites que sont le temps, le budget, l'espace ou même les lois de la physique ! Un nouveau champ d'investigation et un gigantesque espace de création s'ouvrent donc aux architectes, qui peuvent donner libre cours à leur imagination dans ce monde virtuel qui est maintenant une réalité.

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