1 Quels sont les fondements de la loi Montagne ?
L’allocution de Vallouise, prononcée par le président Valéry Giscard d’Estaing le 23 août 1977, est considérée comme le discours fondateur de la politique menée en faveur du territoire montagnard. Cette politique s’est traduite d’abord partiellement par la directive du 22 novembre 1977, dite directive « montagne », puis de façon plus complète au sein de la loi Montagne. Sont alors dénoncées la dépossession des montagnards de leurs terres, la dégradation de l’environnement, l’absence de concertation avec les populations ou encore la priorité donnée au tourisme au détriment des autres activités. C’est ainsi que la loi Montagne a été conçue, dès l’origine, comme une loi d’équilibre, entre protection et développement, appliquant le souhait exprimé en 1977 d’une montagne « vivante, active et protégée ». Ce texte étant instinctivement perçu comme une loi à vocation principalement environnementale, il importe de rappeler ce double objectif. D’ailleurs, le simple fait que ce texte soit, depuis toujours, la cible de critiques de la part à la fois des défenseurs de l’environnement et des promoteurs de la croissance économique est révélateur de la recherche de cet équilibre.
L’originalité première de la loi Montagne est d’avoir appréhendé l’ensemble des dimensions et des activités de l’espace montagnard en posant un droit à la différence pour chacun de ces aspects : protection de la nature, activités économiques, aménagement, services publics, exploitations agricoles, finances locales, sécurité… Cette démarche globale s’est traduite par la définition de principes directeurs encadrant les opérations immobilières ; les questions du foncier et de la construction se posant naturellement comme des préalables sur un espace marqué par la rareté des terrains utilisables, la qualité exceptionnelle des milieux naturels et, parfois, une forte demande d’aménagements. C’est l’article L. 145-3 du Code de l’urbanisme qui définit ces principes d’urbanisation.
Il s’agit surtout, en 1985, d’élever au rang législatif des principes déjà posés en 1977. Celui de l’urbanisation en continuité constitue la clé de voute de cet édifice, devenant une règle là où il n’était auparavant appliqué que « dans la mesure du possible ». Ce principe est assorti d’un ensemble d’exceptions, liées par exemple au développement touristique ou agricole, mais aussi de contraintes complémentaires, telles que celles relatives à l’interdiction de construire sur une bande de 300 mètres aux abords des rives des lacs de montagne.
2 Quels sont les ajustements apportés par le législateur à la loi Montagne ?
Les restrictions aux constructions ont régulièrement été amoindries (sur l’érosion de la loi Montagne : Ph. Juen, Opé. Immo., n° 47, Juillet-Août 2012, p. 18 ; Const.-urb., novembre 2012, n° 11, p. 10). En 30 ans d’existence, pas moins de 34 réformes ont modifié de manière plus ou moins marquée le texte initial, fièvre législative qui porte témoignage des vives réactions provoquées par un texte protecteur de l’environnement sur un espace à forte pression immobilière. Preuve en est, le sens des plus importantes réformes systématiquement orientées vers une modération de la règle. À ce titre, les textes les plus marquants ont certainement été :
- la (possibilité de restauration, reconstruction ou extension d’anciens chalets d’alpage et dérogation ministérielle exceptionnelle à l’interdiction de construire sur les rives des plans d’eau artificiel) ;
- la (possibilités de réfection et d’extension du bâti existant sur les espaces discontinus, de réalisation d’équipements d’intérêt public incompatibles avec le voisinage des zones habitées, de construction à partir d’un hameau) ;
- la (possibilités d’adaptation du bâti existant, de délimitation de zones d’urbanisation future de taille et de capacité d’accueil limitées, de construction à partir d’un groupe de constructions) ;
- la (possibilités de changement de destination du bâti existant, de restauration d’un bâtiment dont il reste l’essentiel des murs porteurs, de mise à l’écart de la règle de la continuité, de dérogation à l’inconstructibilité autour des lacs pour des équipements culturels) ;
- la (extension du champ d’application des unités touristiques nouvelles - UTN, réduction du champ d’application de l’inconstructibilité autour des lacs et moyen d’y déroger par un document local d’urbanisme) ;
- la (remplacement des directives territoriales d’aménagement, au caractère juridiquement contraignant, par des directives territoriales d’aménagement et de développement durables sans portée normative) ;
- la (possibilité d’habitations sur les rives naturelles des lacs).
Il est impossible de recenser de manière exhaustive les évolutions tant elles ont été nombreuses, mais cette chronologie, égrenant les modifications les plus importantes, témoigne clairement de l’esprit du législateur post loi Montagne, sans compter que cet espace n’a pas été exclu des réformes générales telles que la majoration des droits à construire () ou la suppression des coefficients d’occupation des sols ( n° 2014-366 du 24 mars 2014).
3 Quel est l’apport de la jurisprudence dans l’application de la loi Montagne ?
La doctrine a rapidement souligné que la démarche globale suivie par le législateur avait conduit à l’adoption d’un texte assez approximatif. Sans aller jusqu’à considérer, comme certains, que la loi Montagne avait alors accouché d’une souris, il faut en effet noter l’imprécision de notions clés, imprécision originelle démultipliée par les ajouts successifs de dérogations. Or, si les approximations du législateur offrent a priori une marge de manœuvre aux autorités exécutives, ce sont les juridictions qui, in fine, fixent le cadre juridique applicable. L’apport de la jurisprudence dans l’application de la loi Montagne est de fait décisif. Les lignes directrices qui s’en dégagent mettent en évidence la rigueur du juge, rigueur qui n’est d’ailleurs pas étrangère aux multiples réformes législatives visant à contourner l’obstacle jurisprudentiel.
Le juge a opté pour une opposabilité extensive de la loi Montagne et a pris soin d’interpréter strictement les notions gouvernant les quatre objectifs prioritaires :
1. Protection de l’agriculture ;
2. Préservation des espaces, paysages et milieux caractéristiques du patrimoine montagnard ;
3. Maîtrise de l’urbanisation ;
4. Développement touristique (article L. 145-3 du Code de l’urbanisme).
Par exemple, la notion d’activité agricole ne peut pas être détournée au profit d’une activité qui relève davantage de l’économie touristique (). Le juge développe au contraire une vision extensive, indépendante d’une protection normative, de la notion d’espace caractéristique du milieu montagnard (), espace dont la protection est renforcée par un contrôle du bilan () et des instruments de droit commun (article R. 111-21 du Code de l’urbanisme et ). Le juge analyse encore strictement chaque terme de la notion d’urbanisation en continuité de l’existant. Il contrôle enfin rigoureusement le respect, par les projets UTN, de la qualité des sites et des grands équilibres naturels, toujours indépendamment de tout label normatif, et ajoute même un examen du risque, pourtant non prévu à l’article L. 145-3, IV du Code de l’urbanisme (). Au surplus, notons que le juge se montre prudent au regard des récentes modes environnementales : contrairement à un mouvement général qui tend à sacrifier la protection des paysages au bénéfice des énergies renouvelables, les caractéristiques du milieu montagnard l’amène à rester plus ferme sur les exigences esthétiques ().
Le mode d’appréhension de la loi Montagne par les élus est un enjeu majeur puisque, détenant la compétence en matière de délivrance des autorisations d’urbanisme, voire d’UTN, les maires constituent le premier maillon de la mise en œuvre du texte. Il est toutefois difficile de définir le portrait type de l’élu local de montagne, tant les situations - donc les enjeux - sont variables. Si certaines collectivités privilégient résolument l’environnement ou n’ont simplement pas vocation à se développer, la plupart regrette les rigidités du texte, qu’il s’agisse de communes visées intégralement par les servitudes alors qu’une faible partie de leur territoire est située en zone montagne, ou de communes clairement en zone montagne et qui estiment leur développement freiné. C’est ainsi que les congrès annuels des élus de montagne se concluent invariablement sur des motions réclamant l’évolution du texte.
4 Que reste-t-il du principe de l’urbanisation en continuité de l’existant ?
Imposée par la loi Montagne pour lutter contre le mitage du territoire, l’urbanisation en continuité de l’existant reste le principe directeur de l’aménagement des massifs. Toutefois, alors que le juge avait fait le choix d’une application stricte, le législateur n’a eu de cesse de l’assouplir. En dresser le bilan nécessite d’appréhender quatre dimensions :
- l’urbanisation, qui fixe le champ d’application ;
- l’existant, qui définit le point de référence ;
- la continuité, qui établit jusqu’où l’on peut construire ;
- les exceptions de principe.
Sur le premier point, le juge a développé une vision extensive, appliquant la règle à de simples installations énergétiques, voire à une urbanisation virtuelle permise par un zonage ().
Concernant le deuxième aspect, les positions strictes du juge ont été débordées par le législateur avec l’ajout en 1995 de la référence au hameau, contournant la définition des bourgs et villages () ; encore en 2003 avec l’addition des « groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations » contrant la délimitation trop rigide du hameau () ; cela s’ajoute au fait que les points d’ancrage incluent l’existant des communes voisines ().
La troisième dimension, relative à la continuité, a entièrement été laissée à l’appréciation du juge, celui-ci se prononçant in concreto, de telle façon qu’il est très difficile de mettre en avant telle ou telle décision. Une lecture globale permet de fixer une limite haute entre 80 et 100 mètres, sachant que cette distance peut être encore réduite en cas de rupture physique. Le juge vérifie que le projet et l’existant peuvent être considérés « comme appartenant à un même ensemble » ( ; ).
Enfin, les dérogations de principe se sont multipliées, fragilisant la règle : adaptation, changement de destination, réfection ou extension limitée des constructions ; équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées ; équipements liés à la recherche scientifique, à la défense nationale, aux ressources minérales, à la protection contre les risques ou à certains services publics ; UTN (unités touristiques nouvelles); réfection de chalets d’alpage ; installations agricoles ; délimitation de hameaux et groupes d’habitations nouveaux intégrés à l’environnement ou de zones d’urbanisation future ; constructions motivées par l’intérêt de la commune ; mise à l’écart de la règle par un Scot ou un PLU…
La liste est à la fois impressionnante et imprécise, ce qui réduit considérablement la portée de la rigueur du juge, y compris celle concernant la continuité qui se voit relativisée par la création de nouveaux points d’ancrage. En définitive, ce qu’il reste du principe de l’urbanisation en continuité de l’existant dépend fortement des choix de l’autorité locale.
5 Que permet la dérogation liée aux unités touristiques nouvelles (UTN) ?
La procédure UTN permet de conduire des opérations d’aménagement touristique sur des sites vierges et discontinus de l’existant. Initiée en 1977, cette procédure a d’abord été déconcentrée et décentralisée par la loi de 1985, marquant ainsi un recul de la protection puisque le caractère centralisé avait été motivé par l’affirmation de l’autorité gouvernementale face aux promoteurs. Puis, le régime a été adouci par la loi de 2005 qui va simplifier la notion et alléger la procédure d’autorisation.
Sont aujourd’hui concernés : les hébergements ou équipements touristiques, les remontées mécaniques et les aménagements touristiques sans surface de plancher. Il ressort de cette procédure que les communes peuvent échapper à la maîtrise préfectorale pour les opérations de moindre importance, mais également pour les plus lourdes si elles sont prévues dans un Scot. De bout en bout, de la conception jusqu’au permis, les autorités décentralisées peuvent donc avoir l’entière maîtrise des UTN. De fait, le contrôle strict du respect du champ d’application, notamment les réalisations par tranche (), ne constitue en rien un frein à la réalisation des projets.
Reste alors le respect des conditions de fond, réelles, puisque les UNT sont soumises à l’ensemble des sujétions de l’article L. 145-3 du Code de l’urbanisme, à l’exception évidente de la continuité : priorité agricole, préservation du patrimoine naturel et culturel ; qualité des sites et grands équilibres naturels ; communautés d’intérêt des collectivités ; équilibre des activités économiques et de loisirs ; utilisation rationnelle du bâti existant ; formules de gestion locative. Ces conditions sont examinées de manière assez sévère puisque le juge retient les « impacts éventuels » et contrôle la suffisance des mesures compensatoires (). En définitive, l’UTN constitue une dérogation majeure aux principes de la loi Montagne. Si le juge exerce un contrôle normal (), la procédure reste maîtrisée par les autorités locales. D’ailleurs, les faits montrent que les projets UTN se heurtent davantage aux obstacles économiques que juridiques. En outre, la loi Macron, en cours d’adoption au Parlement, prévoit de supprimer la procédure d’autorisation et d’attribuer la création des UTN aux seuls documents d’urbanisme. Cette « simplification », marquant un nouveau recul de la protection, est notamment justifiée par l’idée - sans rapport - que « la question n’est plus tant l’aménagement de nouvelles zones que la gestion des structures existantes ».
6 Qu’autorise la dérogation liée aux hameaux et groupes d’habitations nouveaux intégrés à l’environnement ?
La notion de délimitation de hameaux et de groupes d’habitations nouveaux intégrés à l’environnement est incertaine, alors même qu’elle soutient une dérogation majeure permettant de créer un nouveau point d’ancrage en discontinuité de l’existant. Elle porte donc atteinte au principe même d’urbanisation en continuité, tout en étant le vecteur potentiel d’un étalement ultérieur. Alors que la loi Montagne ne permettait que les hameaux nouveaux, la loi de 2003 a ajouté la référence aux groupes d’habitations. Le hameau se définissant lui-même comme un petit regroupement de bâtiments (réponse du ministère des Transports, de l’Équipement et du Tourisme, JOAN du 25 avril 2006, à la question de J. Le Guen, n° 83002, JOAN du 17 janvier 2006), cette adjonction a utilement permis - aux yeux du législateur et des édiles - de contourner une définition jurisprudentielle stricte du hameau : ni « quelques habitations dispersées qui ne révèlent pas une urbanisation continue » () ; ni des constructions, portant sur des parcelles contiguës mais non groupées (). La référence aux groupes d’habitations permet de tenir compte des caractéristiques locales et de rejoindre la définition du hameau de la loi Littoral : petit nombre de constructions de faible importance, proches les unes des autres et formant un ensemble s’inscrivant dans les traditions locales (). Elle permet aussi d’admettre plus facilement les lotissements, non assimilés par principe à un hameau dans la jurisprudence. La dérogation ne permet toutefois pas un programme de 30 000 m² () mais, à l’autre extrémité, deux constructions ne sont pas non plus constitutives d’un groupe d’habitations (). La distance maximum entre les bâtiments n’apparaît pas clairement en jurisprudence : une approximation de quelques dizaines de mètres se dégage, mais cela dépend des circonstances. Quant à l’intégration à l’environnement, le juge est sensible au traitement architectural du bâti () ou au règlement fixé (). Enfin, cette dérogation ne peut être admise que dans le respect des autres principes de la loi, telles la priorité agricole, la protection du patrimoine ou la prévention des risques (). Il s’avère qu’en pratique, cette dérogation est peu utilisée compte tenu des coûts liés aux réseaux induits et au risque juridique entourant la notion. Toutefois, elle peut permettre, y compris à l’initiative privée, d’envisager la réalisation d’une vingtaine de constructions en totale discontinuité.
La problématique du logement n’est pas homogène en zone montagne. Toufefois, les études mettent généralement en évidence : l’exiguïté et la vétusté du parc, l’inflation du nombre de lits « froids » dans les stations de montagne, une hausse des prix de l’immobilier, un besoin en construction de logements, ainsi qu’un faible taux de logements sociaux. Malgré les besoins, la politique du logement se heurte à un problème évident de foncier sur des territoires marqués par de fortes contraintes physiques et juridiques. À ce titre, la densification, permise notamment par l’
7 Comment peut-on aménager les rives des plans d’eau de montagne ?
La loi Montagne protège spécifiquement les plans d’eau d’une superficie inférieure à 1 000 hectares, sachant que les grands lacs relèvent des dispositions encore plus protectrices de la loi Littoral. Il s’agit d’une protection essentielle eu égard aux appétits immobiliers suscités par ces espaces aussi remarquables que fragiles. Le dispositif consiste en une interdiction, sur les parties naturelles des rives des plans d’eau, de « toutes constructions, installations et routes nouvelles ainsi que toutes extractions et tous affouillements », ceci sur une bande de 300 mètres autour du lac (article L. 145-5 du Code de l’urbanisme). Le juge apprécie de manière relativement extensive le caractère naturel des rives, quelques constructions isolées ne leur retirant pas cette qualité (), à l’inverse cependant de l’existence d’une route nationale (). À l’image des autres principes de la loi Montagne, cette protection spécifique a progressivement été affectée de nombreuses dérogations. Certaines sont légères, dès lors que leur objet même est en lien avec le site : bâtiments à usage agricole, pastoral ou forestier, refuges et gîtes d’étapes, installations à caractère scientifique, équipements de baignade ou de sports nautiques. D’autres sont plus critiquables. Ainsi, des habitations sont envisageables, quoique conditionnées par un changement de destination ou une localisation dans le périmètre d’une ancienne exploitation agricole. Surtout, la protection peut être mise à l’écart par un document local d’urbanisme, même si l’accord du préfet est nécessaire. Malgré cette érosion du régime, les lacs restent un milieu assez bien protégé. D’une part, les dérogations les plus fortes restent conditionnées par un bâti déjà existant ou par l’accord préalable du représentant de l’État. D’autre part, le juge est vigilant quant au recours aux autres exceptions, sachant qu’un village-vacances ou un camping ne sont pas des équipements d’accueil pour la baignade ( ; ), et qu’un refuge ne peut être qu’un hébergement sommaire, pour des randonneurs de passage, caractérisé par une absence d’accès et même une inaccessibilité pendant au moins une partie de l’année aux engins de secours ( ; ).
8 Dans quelle mesure la Loi Montagne préserve-t-elle l’activité agricole ?
Considérées comme des activités traditionnelles de l’espace montagnard, donc à encourager pour des motifs à la fois culturels, patrimoniaux, économiques et de lutte contre la désertification, les affectations agricoles, pastorales et forestières font l’objet d’une protection prioritaire.
Outre des mesures d’aide à destination des agriculteurs de montagne (telles les indemnités compensatoires de handicap naturel), a été posé un système de protection foncière (article L. 145-3, I du Code de l’urbanisme). Le principe de préservation des terres nécessaires au maintien de ces activités est opposable tant aux autorisations individuelles qu’au zonage, lequel est évalué en termes d’équilibre entre les différentes affectations au regard des besoins et caractéristiques de la commune vue globalement (), sachant que l’absence de pression foncière ne peut être un motif d’assouplissement de la protection (). La nécessité de préserver ces terres s’apprécie par la combinaison de critères économiques (rôle et place dans les systèmes d’exploitation) et physiques (situation par rapport à l’exploitation, relief, pente, exposition). Le juge réserve ainsi en priorité à l’activité agricole les terres de faibles pentes, lesquelles sont arrosables et mécaniquement exploitables ( ; ).
Comme ailleurs, les dérogations se sont multipliées : aux constructions nécessaires à ces activités et aux équipements sportifs se sont ajoutées la restauration, reconstruction et extension des chalets d’alpage et bâtiments d’estive. Une fois n’est pas coutume, les dérogations sont admises assez largement par le juge (ainsi pour un camping : ), alors que les chalets d’alpage et bâtiments d’estive sont nombreux sur ces espaces et suscitent un engouement certain. Le juge limite toutefois les débordements de l’économie touristique (refus d’un restaurant d’altitude : ). Concernant les constructions nécessaires aux activités agricoles, le juge applique sa jurisprudence classique en la matière, dont on sait qu’elle ne retient pas le critère purement économique. Il admet par contre les constructions en lien évident avec l’activité tels un bâtiment de stockage ou une étable ().
9 La loi Montagne permet-elle le développement des énergies renouvelables ?
La concurrence foncière habituelle entre les enjeux résidentiel, agricole, touristique et environnemental s’est enrichie du déploiement des énergies renouvelables, à propos desquelles la loi Montagne est restée muette. Ces projets sont soumis aux principes d’urbanisation, dont celui de la continuité, lequel est particulièrement handicapant compte tenu des nuisances induites pour les riverains par les projets éoliens et photovoltaïques. C’est pourquoi, dans le silence du texte, c’est la dérogation prévue pour les équipements publics incompatibles avec le voisinage de zones habitées qui est surtout utilisée, avec plus ou moins de réussite puisque ce qui est toléré pour l’éolien est refusé pour le photovoltaïque.
Les parcs éoliens sont considérés comme des équipements publics (participant au service public de l’électricité) incompatibles avec le voisinage de zones habitées (pour des raisons de sécurité, de bruit et de vibration). Toutefois, cette reconnaissance est conditionnée à l’importance et à la destination de l’installation (). Le défaut d’intérêt public étant parfois retenu (). Demeure donc une certaine incertitude, malgré une tendance favorable (), et bien que d’autres voies dérogeant à la continuité aient été explorées, telle celle de l’intérêt local ouverte par l’article L. 145-3, III, c) du Code de l’urbanisme (). En outre, doivent être respectés les autres principes de la loi, parfois renforcés par le droit commun ().
À l’inverse, si la qualification d’équipement public semble pouvoir être retenue (), les parcs photovoltaïques ne sont pas perçus comme incompatibles avec les habitations (). N’est pas non plus accordé le bénéfice de l’article L. 145-8 du Code de l’urbanisme selon lequel les ouvrages nécessaires aux services publics peuvent échapper à la continuité, en cas de nécessité technique impérative (CAA Marseille, 26 mai 2014), nécessité reconnue pour le transport d’énergie (). Il reste donc, comme indiqué dans l’arrêt commune de Saint-Julien-le-Montagnier, à utiliser la dérogation de l’article L. 145-3, III, a) permettant aux documents d’urbanisme de justifier, par une étude dédiée, une rupture de la continuité due aux spécificités locales. Des serres agricoles photovoltaïques pourraient également, au cas par cas, bénéficier de la dérogation prévue pour les constructions nécessaires à l’activité agricole.
10 En quoi consiste le projet de réforme, aussi appelé acte II de la loi Montagne ?
La loi Montagne a fait l’objet de nombreux et réguliers bilans (pour les plus récents : Association nationale des élus de montagne (Anem), Bilan de 25 ans de la loi Montagne, juin 2010 ; Rapport d’information sénatorial n° 384, 19 février 2014), lesquels sont assez unanimes sur les réussites (démographie, activité économique et préservation de l’agriculture et des paysages) comme sur les insuffisances (services publics, fréquentation touristique, auto-développement, adaptation des normes, solidarité financière, inégalités entre massifs ou insuffisance des modes participatifs). Les acteurs locaux, l’Anem en tête, réclament depuis plusieurs années une réforme globale dépassant les multiples corrections sectorielles opérées. Le Code de la Montagne, prévu en 2006 et symboliquement édité en 2015, ne représente en rien cet « acte II de la loi Montagne », lequel a été finalement annoncé par le Premier ministre devant le 30e congrès de l’Anem le 17 octobre 2014. Une mission parlementaire a été constituée et, dans l’attente des conclusions définitives, des propositions ont déjà filtré, axées principalement sur le soutien financier (à divers titres), sur le maintien des services publics (santé, école…), sur la relance du tourisme, et sur l’adaptation des normes (allègement de contraintes, comme par exemple en matière d’accessibilité ou d’agriculture). Cela ne répond que partiellement aux demandes formulées dans les derniers rapports. Si la nécessité d’un soutien financier était transversale, l’accent était également mis sur le renforcement de la participation (à travers le Conseil national de la montagne) et sur certains leviers juridiques (assouplissement des PPRN et des parcs nationaux, prise en compte du fait que les terrains présentent des qualités agronomiques inégales ou encore création au Code de l’urbanisme d’une catégorie d’hébergements touristiques afin de lutter contre les usages non marchands).
En l’état, sont donc envisagés des dotations et investissements publics, des ajustements fiscaux, juridiques et institutionnels, mais sans que les axes directeurs de la loi Montagne ne soient vraiment changés. On soulignera d’ailleurs avec délice que, même dans le rapport de l’Anem, la règle de l’urbanisation en continuité, compte tenu des dérogations introduites, n’est plus un cheval de bataille des acteurs locaux. Les possibilités d’urbanisation sont réelles et le débat se déplace sur un terrain peut-être encore plus délicat eu égard à la conjoncture, le terrain budgétaire.
Une centralisation exacerbée est peu propice au droit à la différence, réclamé au profit de l’espace montagnard. Il n’est ainsi pas neutre que la loi Montagne ait succédé aux lois décentralisatrices de 1982 et 1983, alors qu’une telle législation était revendiquée depuis 1959. À cet égard, l’actuelle réforme territoriale, parachevée par le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) est forcément influente (voir p. 10 de ce numéro). La rationalisation de la carte intercommunale, la généralisation des Scot et l’essor des PLUi devraient concourir à la pratique (enfin) d’un management global de l’urbanisation sur un territoire où la coopération est moins naturelle qu’ailleurs, du fait des contraintes physiques et de la concurrence pour « l’or blanc ». De même, alors que la coopération interrégionale était depuis longtemps requise, la nouvelle carte régionale peut permettre une politique de massif plus cohérente. En définitive, l’élévation de l’ensemble des échelles territoriales est de nature à renforcer la recherche de l’équilibre entre activités, notion centrale de la loi Montagne.

