Le Conseil d’Etat tend à sanctionner plus fermement les auteurs d’autorisations d’urbanisme délivrées en méconnaissance des articles L. 146-4 et suivants du Code de l’urbanisme. Rappelons que cet article pose trois principes fondamentaux pour les communes littorales : la règle de l’urbanisation en continuité ; l’urbanisation limitée dans les espaces proches du rivage et enfin, le régime juridique de la bande littorale des 100 mètres.
Par ailleurs, compte tenu des interdictions très fermes de construire édictées par le Code de l’urbanisme, le juge administratif admet de plus fortes indemnisations en cas d’annulation des autorisations d’urbanisme délivrées (voir encadré page 37).
Extension de l’urbanisation en continuité ou en hameau nouveau intégré
Dans son premier alinéa, l’article L.146-4-I prévoit que, dans les communes littorales, « l’extension de l’urbanisation doit se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement ». Malgré une jurisprudence abondante, ces notions soulèvent toujours des difficultés d’interprétation et le ministère de l’Ecologie vient récemment de les repréciser, tout en écartant l’adoption prochaine d’un décret sur ce point (voir encadré page 38).
Qualifications négatives
Il n’y a pas extension de l’urbanisation lorsque, par définition, la construction est située dans une zone déjà urbanisée : ainsi, reprenant les principes tirés de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes du 29 juillet 2008 (« Crilan », n° 07NT01013) concernant la centrale de Flamanville, la CAA de Douai précise qu’une zone industrielle et portuaire (en l’occurrence celle du Havre), qui comporte une densité significative de constructions, même à usage industriel et nonobstant la présence d’une friche, « constitue une zone déjà urbanisée » (1).
En pratique, le juge administratif a pu logiquement refuser la qualification de terrain situé en continuité avec un village pour un terrain bordé d’espaces naturels, voire d’espaces boisés classés au nord, à l’ouest et à l’est, le versant sud du terrain étant simplement constitué de quelques constructions constitutives d’une urbanisation diffuse (2). De même, en l’absence de densité significative de constructions, un terrain bordé au nord et au nord-ouest d’un lotissement, ne peut être considéré comme situé en continuité d’un village ou d’une agglomération. La CAA de Bordeaux a rappelé implicitement à cette occasion que l’article L. 146-4-I s’applique également aux autorisations de lotir (3).
Une simple construction peut constituer une « extension de l’urbanisation », dès lors que l’on se situe en dehors d’un espace urbanisé, notamment dans une zone d’habitat diffus. Tel est le cas d’un terrain situé entre plusieurs hameaux, eux-mêmes séparés des villages ou agglomérations des alentours. Dans une telle hypothèse, le projet constituant une extension de l’urbanisation ne pourra être régulièrement entrepris que s’il est situé en continuité avec une agglomération ou un village existant ou s’il peut être qualifié de hameau nouveau intégré à l’environnement ; à défaut, le permis de construire afférent doit être annulé ().
Densité de constructions
Pour la cour administrative d’appel de Nantes, la continuité avec un hameau n’est pas suffisante pour rendre le projet constructible (4). Toutefois, un terrain situé à 800 mètres du centre d’un bourg, mais relié, d’une part, à ce bourg, par une route bordée d’un tissu pavillonnaire continu et, d’autre part, à un village, par une urbanisation pavillonnaire ininterrompue, doit être considéré comme situé en continuité avec le bourg et le village (5).
Par ailleurs, un hameau nouveau intégré à l’environnement doit comporter un nombre significatif de constructions. C’est le cas d’une résidence de tourisme composée de dix-neuf bâtiments proches les uns des autres, comprenant : sept constructions de deux niveaux, onze autres constructions de trois niveaux et un bâtiment de service sans étage, au motif que « l’ensemble évoque visuellement et architecturalement un petit village provençal » et ce, alors même que le projet développe une surface hors œuvre nette de 10 298 m², comprend 205 places de stationnement et doit accueillir 1 000 résidents (6). Cette décision, annulant le jugement du tribunal administratif de Nice, est surprenante au vu de la densité retenue et surtout car il s’agit d’un village de vacances, les occupants n’ayant donc pas vocation à habiter sur le site de manière continue.
Appréciation des espaces proches du rivage
Enjeu majeur de l’aménagement des communes littorales, la définition et le régime des espaces proches du rivage suscitent un abondant contentieux.
Covisibilité
Le Conseil d’Etat a été amené à faire application de la loi Littoral à l’Etang de Berre, dans le cadre de la légalité du décret approuvant la directive territoriale d’aménagement des Bouches-du-Rhône (7). Une commune contestait notamment l’objectif d’urbanisation limitée concernant son territoire, alors que certaines parcelles ne se trouvaient pas en covisibilité avec la mer. A cette occasion, la haute juridiction a rappelé les trois critères, énoncés à l’article L.146-4-II du Code de l’urbanisme, qui permettent de qualifier un espace proche du rivage comme étant régi par le principe d’extension limité de l’urbanisation : la distance le séparant du rivage, son caractère urbanisé ainsi que la covisibilité entre cette zone et le rivage. L’objectif d’urbanisation limitée implique que l’espace proche du rivage soit retenu dans sa totalité dès lors qu’il forme un ensemble cohérent. Mais le critère de covisibilité n’implique pas que chacune des parcelles soit située en covisibilité de la mer.
Lotissements
Par un arrêt du 30 décembre 2009 (8) rendu en sous-sections réunies, le Conseil d’Etat a considéré que constitue une extension limitée, en zone proche du rivage, la réalisation de 17 pavillons pour une Shon totale de 2 593 m², avec un COS de 0,3. Le permis de construire était délivré dans le cadre du développement d’une Shon globale de 13 992 m². En l’espèce, le Conseil d’Etat a refusé d’analyser le projet entrepris globalement avec l’arrêté de lotir initial et non contesté par les requérants. Il a également refusé d’analyser la densité du projet autorisé par le permis de construire contesté avec celle d’un permis de construire ultérieur délivré à un autre promoteur pour le même lotissement. Cette décision est logique puisque, l’arrêté de lotir n’ayant pas été attaqué et chaque autorisation d’urbanisme constituant une autorisation distincte, la densité de chaque projet doit être analysée séparément.
Destination du projet
La cour administrative d’appel de Douai a considéré que, dans les espaces proches du rivage, l’examen du caractère limité de l’extension envisagée doit s’opérer non seulement au regard des caractéristiques propres du projet, mais également au vu de la destination du projet, des caractéristiques topographiques du front de mer et de l’implantation des immeubles dans l’agglomération où ils s’insèrent (9). C’est ainsi qu’un projet portant sur la réalisation de 103 logements, d’un hôtel de 29 chambres et d’un restaurant à réaliser sur le front de mer d’une commune s’ouvrant sur un site classé (la baie de Somme) et entouré de constructions de taille modeste, ne peut être considéré comme une extension limitée de l’urbanisation, seule autorisée dans les espaces proches du rivage.
Protection de la bande des 100 mètres
La cour administrative d’appel de Bordeaux a retenu le caractère absolu de la protection posée en dehors des espaces urbanisés par l’article L. 146-4-III du Code de l’urbanisme : en conséquence, l’interdiction des « constructions ou installations » dans la bande des 100 mètres s’applique également aux permis de construire portant sur un changement de destination d’une construction existante hors d’une zone urbanisée et non pas seulement aux constructions nouvelles. Le permis de construire portant sur le changement de destination d’un hôtel en résidence collective à usage d’habitation et impliquant une modification de la façade extérieure doit donc être annulé (10).
Préservation des espaces sensibles et remarquables
Les zones littorales présentant un intérêt faunistique ou floristique spécifique peuvent être qualifiées d’espaces remarquables au sens de l’article L. 146-6 du Code de l’urbanisme. Dans un tel cas, le Code de l’urbanisme pose un principe général d’inconstructibilité dans ces zones, à l’exception des seuls aménagements légers nécessaires à la gestion ou la mise en valeur de ces espaces.
L’insertion d’un terrain dans une zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (Znieff) ou son inscription à une zone Natura 2000 constitue un des indices forts de son éventuelle qualification en espace remarquable. Néanmoins, les juges du fond doivent procéder à une analyse in concreto de son intérêt écologique ( ; et dans un sens contraire, concernant le faible potentiel floristique d’un terrain d’ailleurs non visible de la mer : CAA Marseille, 6 novembre 2009, « Bureau de mobilisation de créances et d’investissement », n° 07MA02528). Cette appréciation est essentielle puisque, dans ces espaces remarquables, seuls des aménagements légers sont autorisés. Plus généralement, est qualifié d’espace remarquable, donc insusceptible de constructions, tout espace naturel et boisé qui ferait l’objet d’une inscription ou d’un classement au titre de la réglementation des sites (CAA Marseille, 25 septembre 2009, « Brizion », n° 07MA01719).
