Le projet de loi pour l'Evolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 16 juillet, après avoir été adopté par la commission des affaires économiques de la chambre haute, la semaine dernière, qui l’a en partie amendé. Les architectes, toujours mobilisés contre le texte, y voient une nouvelle fenêtre de tir pour faire entendre leurs arguments sur ce texte qui vise à « construire mieux, plus vite et moins cher ».
« Beaucoup d’inquiétudes »
La profession ne digère toujours pas un dispositif qui rend moins systématique leur rôle dans le logement social, au point de prévoir une "catastrophe" en matière de qualité des bâtiments. "On a (...) beaucoup d'inquiétudes" même si "après l'inquiétude il y a aussi l'espoir", déclarait jeudi Christine Leconte, présidente du Conseil régional de l'Ordre des architectes d'Ile-de-France (Croaif), ouvrant le bal annuel de la profession à Paris, au couvent des Récollets près de la gare de l'Est.
Derrière la musique latino et les conversations enjouées, la fête se tenait dans un contexte particulier: les architectes combattent, pour l'heure sans succès, le projet de loi du gouvernement sur le logement.
Le spectre des majors
"C'est une catastrophe qualitative", renchérit Denis Dessus, président de l'Ordre des architectes, au sujet de mesures qui touchent essentiellement au logement social. Pour mémoire, au moment de lancer la construction de logements, les bailleurs sociaux n'auront plus à organiser un concours d'architecture, comme c'est actuellement le cas pour certaines opérations. Le texte leur permet aussi de déroger à certains volets de la loi MOP (maîtrise d'ouvrage public), qui encadre précisément les modalités de recours au privé.
Pour Denis Dessus, ces mesures font un gagnant, omniprésent dans ses propos: "les grands groupes du BTP", qui pourront "sans contre-pouvoir" gérer des projets à tous les maillons de la chaîne.
L'exécutif s'en défend et répète que la loi ne remet pas en cause le rôle des architectes mais laisse plus de liberté aux bailleurs. "Certains bailleurs sociaux peuvent se dire ‘moi j'ai un architecte en mon sein’", répétait début juillet Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des Territoires, sur France Culture, rappelant qu'il faut payer tous les participants à un concours. "La relation que (le bailleur) aura avec l'architecte, c'est lui qui la définira."
« Très bon lobby »
Il est peu probable que le gouvernement cède. Selon plusieurs acteurs, c'est en allégeant ainsi les contraintes des bailleurs sociaux que l'exécutif a fait accepter l'objectif annuel de 1,5 milliard d'euros d'économies. "Le gouvernement pense que l'on gagne très bien notre vie sur les projets, alors qu'on est autour de 2000 euros par mois", regrette l'architecte Ingrid Taillandier, basée à Paris, qui s'inquiète plus de l'assouplissement de la loi MOP que de celui des concours.
Le contexte n'empêche pas les architectes de faire le siège depuis le début de l'année: lettre ouverte de figures de l'architecture comme Jean Nouvel, manifestation devant le ministère de la Culture en mai... Au long de ces actions, la profession a été rejointe par des associations de locataires et de défense des handicapés, tout en se plaçant comme rempart contre une vision "comptable" qui provoquerait une dégradation du logement, notamment social.
Parlementaires et promoteurs agacés
"C'est du pipeau", juge Norbert Fanchon, président du directoire du bailleur social Gambetta. "L'immeuble on doit le louer 50 ou 60 ans... Si c'est pour faire un truc qui n'est pas gérable, économiquement, on sera perdant." Plus largement, le discours des architectes, frappé au sceau de l'intérêt général, tend à agacer parmi leurs cibles, comme chez certains parlementaires.
Un promoteur juge ainsi les architectes aveuglés sur une loi ayant dans l'ensemble vocation à leur donner "plus de travail". Chez les politiques, le député UDI Jean-Christophe Lagarde évoquait en juin à l'Assemblée un "lobby puissant".
"Le lobby des architectes est très bon", appuie Norbert Fanchon, estimant qu'il a été particulièrement efficace sous le quinquennat de François Hollande avec, par exemple, la loi sur la liberté de la création, l'architecture et le patrimoine (CAP) de 2016.
Chez les architectes, on s'inscrit en faux et souvent sur un ton ému contre ce type de propos, qui font "beaucoup de peine" ou sont "extrêmement violents" à entendre. Denis Dessus admet simplement que "les ministères nous écoutent" - mais pas actuellement. "On n'est pas seulement là pour défendre notre profession: nous aussi, on veut plus de logements", conclut Ingrid Taillandier, reprenant l'objectif de la loi Elan.