Villefranche-de-Rouergue (Aveyron) le prouve : secteur sauvegardé ne veut pas dire ville musée sous cloche. Déterminée à sortir du déclin le quartier déshérité de La Bastide, la ville a arrêté début mai le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV). Sur 20 ha où se concentrent 1520 habitants, le taux de vacance atteint 39 %.
Dédensification à Villefranche-de-Rouergue
Pas question d’abîmer la trame orthogonale structurée au Moyen-Age par une croix centrale qui délimite quatre carrés. Mais pour arbitrer sur la pérennité d’un bâti densifié au fil des siècles, la ville a trouvé les arguments qui ont convaincu l’architecte des bâtiments de France : « Le cadastre de Napoléon nous a permis de repérer les surélévations et les constructions les plus tardives », témoigne le maire Jean-Sébastien Orcibal.
A l’arrivée, le plan divise les immeubles en trois couleurs, réparties dans les quatre carrés : « En noir, nous autorisons les verrières, côté cour. En gris, les terrasses deviennent possibles. Enfin, le vert correspond aux espaces ouverts à la végétalisation, après démolitions », détaille le maire.
Stop à l’étalement urbain à Chaumont
Le nouveau dessin de la Bastide répond à une stratégie : « Nous ne sommes pas rentrés dans le sujet par le prisme du logement, mais par celui du cadre de vie. D’emblée, cela nous a conduit à changer l’ambiance en implantant des services publics, à commencer par la police », développe Jean-Sébastien Orcibal.
Certes, une situation privilégiée rend possible cette dynamique : le bassin de vie centré sur Villeneuve-de-Rouergue détient la première place de l’attractivité en milieu rural, pour la région Occitanie. Mais dans le top 5 des départements les plus détendus de France, Chaumont (Haute-Marne) se bat avec la même détermination contre le fléau de la vacance dans les centres anciens.
Tout part de la lutte contre l’étalement urbain, ainsi décrit par Anthony Koenig, directeur Cœur de ville, patrimoine et paysage de la ville : « Cette patate chaude que l’Etat et les collectivités ne cessent de se renvoyer, depuis la création des Schémas de cohérence territoriale jusqu’à la loi Zan. Et à la fin, les centres historiques trinquent ».
Stratégie multi-leviers
Alors que Chaumont perd un millier d’habitants par an et que le taux de vacance y atteint 11 %, aucun levier ne doit faire défaut, pour renverser la vapeur : « Montrer le possible par des opérations publiques exemplaires, éviter les contre-références, susciter la discussion, travailler avec les artisans locaux, mobiliser les bailleurs sociaux, créer des réseaux d’investisseurs… ».
Anthony Koenig appelle de ses vœux la création de nouveaux masters spécialisés dans les montages d’opérations de revitalisation. Il insiste sur la stabilisation des règles. « A chaque fois que la roue commence à tourner dans le bon sens, on appuie sur stop », dénonce l’expert haut-marnais.
Un indicateur méconnu
Temps fort du congrès du 25ème anniversaire de Sites & Cités remarquables, le 6 juin à Paris, son plaidoyer pour des stratégies multi-leviers en reflète l’esprit. L’association souligne la diversité des formes prises par la vacance dans les centres anciens : les métropoles détiennent les records de volumes, à l’instar des 3000 logements concernés à Strasbourg, quand les villes détendues se distinguent par les proportions à deux chiffres.
Stabilisé après la flambée occasionnée par le Covid sur le plateau élevé de 1,35 million de cas, dont 1/3 depuis plus de deux ans, le phénomène obéit depuis lors à un plan de lutte. L’Etat et l’association Agir contre le logement vacant en assurent le co-pilotage, à l’aide d’un outil « encore trop mal connu », selon Suzanne Brolly, adjointe à la maire de Strasbourg et présidente de cette association : la base de données Lovac dresse l’état des lieux, ville par ville. Un webinaire d’Agir contre le logement vacant reviendra sur ce plan, le 3 juillet prochain.
Les limites de la réplicabilité
A travers l’exemple de Loc’avantages, les débats du 6 juin ont montré les limites de la réplicabilité des outils d’incitation financière, d’un territoire à l’autre. Confrontée à des propriétaires vieillissants et peu rompus aux démarches administratives, Strasbourg a utilisé avec succès cette carotte, couplée au bâton des taxes qui pénalisent la vacance. « Laissez-nous en fixer le taux selon la situation de nos territoires », plaide Suzanne Brolly.
Châtellerault, au contraire, a vécu la mise en œuvre de Loc’avantage comme une « catastrophe » : « L’arrivée de marchands de sommeil parisiens a mis fin à la dynamique positive engendrée par l’Opah-RU », regrette Maryse Lavrard, première adjointe au maire.
Les Ori, arme de guerre contre l’immobilisme
En revanche, tous les élus locaux s’accordent sur l’utilité des outils de coordination, à commencer par les opérations programmées d’amélioration de l’habitat et de renouvellement urbain (Opah-RU), souvent associées à des opérations de restauration immobilières (Ori).
Avec sa cinquième opération du genre depuis le diagnostic de son centre ancien qui avait mis en lumière le caractère fortement dégradé de 300 immeubles du XVIIIème siècle en 2008, Rennes figure parmi les vétérans, dans l’utilisation de cette arme de guerre contre l’immobilisme des copropriétés. De cette longue expérience, Didier Le Bougeant, adjoint à la maire en charge du quartier Centre, retient une leçon politique : « Il faut tenir bon, quand on vide des immeubles et qu’on ferme des commerces ».
Leçon de courage rennaise
Le courage politique se prolonge dans le volontarisme financier : « Avec des coûts de travaux qui atteignent en moyenne 3800 €/m2 et jusqu’à 6000 € dans certaines opérations, alors que le marché local de l’ancien se situe dans une fourchette de 4500 à 5000 €, ces opérations ne répondent pas à une réalité économique », reconnaît Mélanie Barchino, directrice de projets chez Territoires Publics.
Mais le volontarisme finit par payer, après le traitement de 250 immeubles et 2500 logements depuis 2011 : « Une crèche et une maternelle récemment construites en centre-ville le confirment : nous sommes sur le chemin de la transformation sociale souhaitée », annonce Mélanie Barchino.
Transmission de flambeau
De toutes les expériences de ses membres, Site et Cités remarquables prépare une synthèse d’où elle extraira une série de propositions. L’association entend apporter ainsi sa contribution à la lutte contre le déficit de logements et pour la sobriété foncière. Le 6 juin, ce dossier a marqué le passage de flambeau entre Martin Malvy, président fondateur et président de l'agglomération de Figeac, et Didier Herbillon, son successeur et maire de Sedan.