Jusqu'où le simulacre peut-il restituer le réel et s'immiscer dans le paysage ?
C'est l'une des questions que soulève le travail de Gregor Sailer. Dans sa dernière série, exposée cet été aux Rencontres d'Arles, le photographe autrichien s'intéresse aux différentes formes d'architecture artificielle. Le Village Potemkine, titre de la série et d'un livre, fait référence aux façades de carton-pâte édifiées, selon la légende, lors d'une visite de Catherine II en Crimée afin de camoufler la pauvreté des villages. Dans leur version contemporaine, ces décors urbains n'ont pas forcément de desseins propagandistes.
Certains visent à anticiper des combats de rue, à l'instar de ces villes édifiées à des fins d'entraînement militaire aux Etats-Unis ou en France. Des stations-service, des aéroports ou des tunnels de métro sont reconstruits à l'identique en vue d'y simuler des attaques terroristes. En Chine, Gregor Sailer a également photographié des cités à l'architecture européenne très stéréotypée : moulins à vent, façades néogothiques, églises aux lignes austères. Des touristes viennent se photographier dans ces parcs d'attractions donnant l'illusion d'un voyage à peu de frais.
Large spectre
Dans ces déclinaisons de terrains de jeu pour adultes, le souci de réalisme peut se nicher jusque dans les carcasses des étals de boucheries, ou dans les pierres tombales. Des détails incongrus apparaissent, pointés par le cadrage, telle cette enseigne gift shop au premier plan d'une ville moyen-orientale recréée pour l'armée américaine. Une façon de souligner le caractère surréaliste de cet urbanisme. Et le photographe de s'interroger sur l'incongruité de ces architectures hors sol, comme ces devantures de boutiques de Harlem qui jalonnent un circuit automobile en Suède, saisies au milieu des sapins enneigés.
Lors d'un précédent projet, Closed cities, Gregor Sailer a documenté des communautés dans différents endroits de la planète : en Algérie, Argentine, au Qatar ou en Russie. Un travail au long cours (2009-2012), qui avait déjà nécessité de nombreuses recherches et autorisations. Là encore, cet urbanisme replié sur lui-même apparaît multiple : protection de secrets industriels ou de ressources sensibles, camps de réfugiés politiques, résidences de personnes fortunées pratiquant l'entre-soi.
« Je ne voulais pas me cantonner à un seul type de ville, par exemple industrielle, mais présenter un large spectre de situations, témoigne l'artiste. Je montre à la fois des cités du Qatar ou d'Azerbaïdjan, où les conditions de travail sont terribles, et donc fermées au public, mais également les nouveaux lotissements de Buenos Aires, où les gens vivent entre eux, avec l'illusion d'une vie parfaite. » Eloigné d'une démarche strictement journalistique, Gregor Sailer privilégie les traces visibles. Vraies ou fausses, ces architectures se révèlent surtout par leur caractère déserté et inhospitalier.
