« Notre organisation oppose les métropoles au reste du territoire. Il faut créer en parallèle des pôles de centralité où les activités économiques, culturelles, sociales… se développeront fortement », a lancé Julien Denormandie, ministre de la Ville et du Logement, lors de la journée de conférences organisée à l'occasion du premier anniversaire de la Banque des territoires (Caisse des dépôts) début juin. Le gouvernement veut faire monter en puissance les villes moyennes, mais comment répondre à ce souhait, quand, depuis 2013, plus de 80 % des emplois créés l'ont été dans les 22 métropoles françaises, selon les données de l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (Acoss).
Le reste du territoire, lui, se débat dans des situations disparates. Ainsi, la Mayenne est aujourd'hui en situation de plein emploi, avec un taux de chômage en dessous de 6 %, alors que la Charente-Maritime peine à « maintenir l'existant », soupire avec lassitude Dominique Bussereau, le président de son conseil départemental. Pourtant, ces collectivités, toutes deux agricoles, se ressemblent beaucoup. Ailleurs, les Vosges sont créatrices d'emplois, alors que les Hautes-Pyrénées en perdent chaque année, bien que ces départements soient tous deux montagneux.
Depuis 2013, plus de 80 % des emplois créés l'ont été dans les 22 métropoles françaises.
La différence ? Un savant mélange d'anticipation de la part des collectivités locales, de maintien de la formation, de prise en compte de la mobilité… et de chance. Au Medef, qui a créé une commission Croissance et Territoires au printemps 2018, on se veut optimiste : « Il n'y a pas de recette miracle, mais nous nous rendons compte que plus les chefs d'entreprises travaillent le terrain en profondeur en coordination avec la puissance publique, via des clusters ou des conventions, plus l'industrie peut prendre racine [lire p. 15, NDLR]. »
Rapprocher logement et lieu de formation. Le sujet le plus épineux est celui de la mobilité. « Nous sommes une entreprise d'insertion professionnelle pour des personnes éloignées de l'emploi, et 60 % de nos salariés n'ont pas le permis. Ils dépendent donc des transports en commun, explique Michaël Bruel, directeur opérationnel de LVD Energie, qui travaille sur l'écoperformance des bâtiments. Or, entre Marseille et La Ciotat (Bouches-du-Rhône), où nous avions une antenne, ça ne fonctionne tout simplement pas. Nous avons donc dû nous montrer flexibles et déménager à Marseille, où vivent nos salariés. » Tant pis pour La Ciotat… A Nancy (Meurthe-et-Moselle), l'Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) a pris les choses en main et trouvé une solution ad hoc en rapprochant logement et lieu de formation : « Nous avons fait le constat que la mobilité était un frein en matière d'apprentissage : les CFA étant parfois éloignés des entreprises, soit il faut une voiture, soit il faut deux logements. Par conséquent, nous perdions beaucoup de jeunes qui pourtant se seraient épanouis entant qu'apprentis », témoigne Fanny Feller, directrice générale du pôle formation de l'UIMM Lorraine. La fédération patronale adonc construit un internat en face du CFA de Nancy. Succès : ouvert en septembre 2018, les 160 studios sont tous loués.
En revanche, attirer hors des grandes villes les cadres et les jeunes diplômés relève de la mission quasi impossible. En la matière, la Nouvelle-Aquitaine est l'exemple à ne pas suivre : Invest in Bordeaux, l'agence de promotion de l'investissement métropolitaine, rabat inlassablement les entreprises vers la capitale star régionale. Attractive, la ville a aussi vu le prix de l'immobilier y monter en flèche : les Néo-Aquitains travaillent donc à Bordeaux, mais sont de plus en plus nombreux à ne pas avoir les moyens d'y vivre. La congestion automobile aux heures de pointe est infernale. Quant aux transports en commun, en particulier ferroviaires, la région a acheté du matériel flambant neuf qui… roule au pas sur des voies dégradées. Toutes les lignes mènent à Bordeaux, sans radiales, et une multitude de petites gares ont été fermées. Résultat ? « Le Blayais et le Médoc n'ont plus de CSP+ et sont devenus l'empire des Gilets jaunes », s'inquiète Gilles Savary, ancien député (PS) de Gironde. Chez NGE, entreprise du BTP proche d'Avignon (12 000 salariés, en très forte croissance), les cadres qui acceptent de bouger ont désormais droit à un « pack mobilité » : loyer ou mensualités de remboursement pris en partie en charge pendant trois ans, déménagement offert… Dans la plupart des départements ruraux, les entreprises passent des conventions avec Pôle emploi pour accompagner dans leur recherche les conjoints des cadres que l'on veut attirer.
Avoir des terrains équipés. Si la mobilité est un écueil majeur, les territoires ont un avantage incontestable : le prix du foncier. « Nous avons impérativement besoin de surface pour produire : notre plus grande machine couvre 25 m² !, explique Franck Raymond, directeur général de CVSI-EA, l'un des leaders de la signalétique et de la communication visuelle. Nous nous sommes donc installés à Braud-et-Saint-Louis, dans le Blayais. Le foncier n'y est pas cher, c'est une condition sine qua non pour pouvoir faire face à la concurrence chinoise, car nos premiers prix commencent à… 5 centimes ! » En revanche, les entreprises doivent trouver des terrains équipés (Internet…).
« Notre maître mot, c'est l'anticipation, confirme Didier Kuss, directeur d'Ariège Attractivité. Nous avons ici une importante réserve foncière aménagée et disponible immédiatement, à très bas prix (15 euros/m² maximum pour un terrain équipé). Nous travaillons très en amont pour que ces terrains soient attractifs. » Par exemple, la puissance publique, soutenue par le syndicat départemental de l'énergie, a investi 4 millions d'euros dans un poste source à Mazères (au nord de l'Ariège), de manière à pouvoir fournir de l'énergie en quantité. Taramm, une fonderie à l'étroit à Toulouse, est tout naturellement venue s'y implanter en 2017, doublant ses effectifs en deux ans. Autre avantage des petits territoires, la proximité géographique des institutions et leur disponibilité : « Il est possible de réunir rapidement tous les acteurs impliqués pour un permis de construire autour d'une même table et, en deux heures, d'identifier tous les points bloquants », poursuit Didier Kuss.
Entre les métropoles toutes puissantes, mais congestionnées, et le rural mal desservi, mais peu cher, les villes moyennes périurbaines ont une carte maîtresse à jouer. « Nous nous focalisons sur ces zones qui sont de mieux en mieux desservies, confirme Philippe Rosio, P-DG de Foncière Inea. C'est là qu'il est encore possible de construire du neuf : enfin d'année, nous livrerons ainsi trois immeubles en bois à Mérignac, dans la périphérie de Bordeaux ; nous avons également un projet à Blagnac, à côté de Toulouse : dans les deux cas, les transports en commun sont nombreux, vous êtes moins dépendant de votre voiture et vous pouvez choisir de ne pas vivre dans la métropole. » Christophe Soscia, conseil en immobilier d'entreprise à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), voit lui aussi un avenir pour ces villes moyennes, proches des métropoles, mais autonomes : « A Salon-de-Provence ou à Aubagne, les maires ont rénové le centre-ville où ils ont protégé les commerces de bouche et les enseignes de prêt-à- porter, créé des places de parking et freiné l'expansion de galeries marchandes en périphérie. Résultat, ces deux villes sont dynamiques et en plein essor. » Les territoires n'ont pas tout à fait dit leur dernier mot.
